Cabo Fisterra, 2 juillet 2011
C'est mon dernier jour de marche.
À six heures moins le quart, j'attends mes compagnons devant As Pias. Il fait sombre, mais beaucoup de pèlerins sont déjà en route.
Paul et André C. arrivent à six heures moins dix.
Je prends la route avec eux tandis que Pierre nous crie que nous sommes fous de partir si tôt. C'est vrai qu'il faut parfois chercher où se trouvent les flèches jaunes, mais peu à peu nos yeux s'habituent à l'obscurité.
Nous montons vers la Cruz de Olveiroa.
Les éoliennes tournent dans la « madrugada ».
Le soleil levant rosit les tours des éoliennes.
J'explique à mes compagnons que je voudrais voir le soleil se coucher au terme de l'ancien monde et se lever à la naissance du nouveau, au phare de Fisterra. Comme il fait beau, cela sera superbe.
Comme nous n'avons pas déjeuné, nous sommes contents d'arriver à un bar à la sortie d'Hospital, un petit village. Après ce bar, il n'y en a plus pendant quinze kilomètres.
Nous déjeunons bien et nous empruntons la route vers l'océan.
C'est un long chemin caillouteux dans les grandes collines de la Galice. Il monte et descend sans cesse.
Les pieds souffrent, les muscles aussi.
Il fait assez bon, mais l'horizon est barré par de sombres nuages.
Un kilomètre après l'ermitage de Nosa Senora das Neves (Notre-Dame des Neiges), nous entrons dans les nuages. Le temps devient frais et gris.
Je suis le premier à apercevoir l'océan, la ria de Corcubión.
André C. qui est à côté de moi, hésite un instant, puis se rallie à mon point de vue.
Il faut dire qu'il fait très brumeux et que l'océan se confond avec les nuages.
Et voici, dans la brume, Cée, Corcubión et la plage de Concha.
La descente vers Iglesia est raide, caillouteuse et couverte de gravillons, un vrai casse-gueule. Nous sommes soulagés d'arriver au niveau de l'eau. Nous prenons la variante qui longe la plage à Cée (praia da Concha).
Nous cherchons un bar. Nous en sautons quelques-uns, car nous voulons en trouver un « bon ». Je reste en arrière avec Paul, qui va acheter des timbres. Pierre et André C. s'arrêtent dans un bar à l'entrée de Corcubión, non loin de l'hôtel Horreo.
Je parle avec un Galicien qui m'explique comment accéder à l'ancien chemin des pèlerins, celui qui passe par les bois de Vilar.
Paul et moi, nous rejoignons Pierre et André C. et nous prenons tous un bocadillo et une boisson.
Je les mène ensuite vers le chemin indiqué par le Galicien, mais ils hésitent à me suivre.
À partir de l'hôtel Horreo, il y a trois routes, celle qui longe la mer et passe par le cimetière,
celle qui traverse le centre-ville et l'ancien chemin des pèlerins.
La ville ne m'intéresse pas et des plages, nous n'en manquerons pas ! Je poursuis ma route et je les perds de vue. Je monte lentement et je prends des photos pour leur permettre de me rattraper.
Je passe dans le pittoresque chemin ancien des pèlerins entre Corcubión et Sardiñeiro de Abaixo.
Mes compagnons me rejoignent à San Roque, peu après un horreo.
Nous accédons à une vue superbe vers la plage de Langosteira et Fisterra !
C'est ici le vrai mont de la joie.
Nous poursuivons notre route avec entrain.
Il fait chaud, mais sans excès, il y a du vent et le ciel est gris.
Je crois que le chemin sera plat jusqu'à Fisterra, mais en fait, pour éviter la grand-route, il ne cesse pas de monter et de descendre.
Voilà la borne des 9,296 kilomètres (une distance au mètre près) à Sardiñeiro de Abaixo.
Cette fois nous arrivons. Il n'y aurait qu'un Anglo-saxon qui pourrait s'affoler en croyant qu'il lui resterait plus de neuf mille kilomètres à faire.
Nous voyons la plage de Langosteira.
Fisterra est à gauche, on aperçoit la petite pointe du phare de Cabo Fisterra. Le but est en vue !
Nous foulons la longue plage de Langosteira. La proximité du but me donne des ailes, je m'envole vers Fisterra.
Peu avant de quitter la plage, je vois encore mes compagnons ; l'instant d'après je ne les vois plus, mais alors là, plus du tout ! Où sont-ils passés ? J'hésite à faire demi-tour. Je suis étonné qu'ils soient partis sans rien me dire. Ils n'étaient pas loin derrière moi.
Et puis je me dis que le hasard fait bien les choses, cela me donnera l'occasion d'aller jusqu'au phare, le kilomètre zéro du camino. Je me sens en forme.
Ce que mes amis ne savent pas, c'est que je suis innombrable. Chanteurs, poètes, philosophes, tous marchent à mes côtés. Nous avons de longues conversations ensemble. Alors, de temps à autre, j'ai besoin d'être seul avec mes nombreux compagnons spirituels.
Je traverse Fisterra en repérant l'albergue municipal ainsi que l'arrêt du bus pour Santiago et ses horaires.
Tout en marchant je me dis que je pourrais revenir à Santiago aujourd'hui même. Je me sens dans la peau du héros de Georges Remi (R.G.) : le pèlerinage est terminé, « en route pour de nouvelles aventures ! »
Il y a des pèlerins pour qui Fisterra ou Santiago sont des buts et une fois arrivés, ils jouissent de leur réussite. Mais pour moi, seule l'arrivée importe ; la seconde d'après c'est déjà autre chose.
Nous ne sommes jamais, nous devenons toujours. S'établir, c'est cesser de vivre.
Je monte d'une traite jusqu'au phare.
Je salue un pèlerin qui monte au phare comme moi.
J'arrive au phare à deux heures.
Voilà Cabo Fisterra.
Dans le phare, je fais tamponner ma crédenciale.
Et voilà la borne du « kilomètre zéro » avec l'infini de l'océan devant moi.
Une fois franchies les vieilles illusions des cultes de Mammon et de Dieu, de la finance et du péché, un monde nouveau s'ouvre à nous.
Ni Dieu ni Mammon, mes amis, m'avez-vous compris ?