De l'aube à l'aurore - L'ermite et le pèlerin - Santiago de Compostela (2 juillet 2011)

Un monde à refaire

Cabo Fisterra

Santiago de Compostela, 2 juillet 2011

Dans le phare, j'apprends qu'on délivre la Fisterrana à l'albergue municipal.

J'achète les soixante-deux cartes postales qui me manquent.

Je descends à l'albergue de Fisterra et j'obtiens la Fisterrana. On ne me demande pas si ma démarche est « religiosa ».
La laïcité, la séparation entre l'Église et l'État a de bons côtés, on ne traite pas différemment les croyants et les autres.

Nulle part je ne vois mes compagnons.

Je vais dans un bar près de l'albergue et je prends un bocadillo et une boisson. Je téléphone à Pierre. Il m'explique qu'ils sont allés au bord de l'eau. C'est pour cela que je les ai perdus de vue.
Ils sont près d'ici, dans un restaurant du port, « A Pirata ».

Je termine mon repas et je les rejoins. Ils sont devant une montagne de fruits de mer.
J'offre un verre de cognac sous le prétexte que l'océan est une cathédrale.
À mon humble avis, c'est même la seule chose qui soit assez cathédrale pour mériter un verre de cognac.

Fatigué et un peu éméché, je leur fais part de quelques ruminations. Je leur dois au moins cela. Ils en feront ce qu'ils voudront.

Je sais beaucoup de choses et vous les ignorez.
Je ne peux pas vous les dire, car je risquerais de vous brûler.
Vous ne pouvez les découvrir qu’en vous-mêmes, par vous-mêmes,
Et j’ignore complètement ce dont il peut s’agir.
Celui qui comprend vraiment cette énigme, sait beaucoup de choses !

Tu ne te chercherais pas si tu ne t'étais trouvé. Regarde-toi sans complaisance, sois fidèle au réel, ne crois pas trop aux fictions que tu t'inventes et tu pourras tracer ton chemin, à la fois modeste et tout entier toi.

Comme je les quitte dans un quart d'heure, je n'aurai pas à répondre à leurs questions, ce qui les laisse libres d'oublier mes salades.

Il arrive que les croyants soient fragiles, et il y a encore tant de croyants de par le monde !

Je leur enverrai peut-être les textes que j'avais prévu d'emporter et que j'ai laissés chez moi pour ne pas alourdir mon sac à dos. Ils en feront ce qu'ils voudront : la fonction « delete » est très pratique !

Je monte dans le bus. Il prend une demi-heure de retard à cause d'une course cycliste.

Ce pèlerinage n'est pas ce que je voulais. Ce qu'il me faut, c'est une retraite paisible où je pourrais consacrer du temps à mes ruminations, avec des marches régulières bien sûr, mais je n'aurais pas à me soucier de l'itinéraire, de l'alimentation et du logement.
Je suis plus ermite que pèlerin, plus ruminant que cheminant.

Mon bus passe devant la gare des trains et s'arrête dans celle des bus. Les deux gares sont assez loin l'une de l'autre, mais je me dis que dans une ville touristique qui accueille tant de pèlerins, il doit y avoir une navette.

Aucun horaire n'est affiché. D'après les panneaux, le bus 5 va à la gare des trains. J'attends sur le quai, mais je suis quasi seul. Il semble y avoir peu de bus sur cette ligne.

Comme le temps passe et que rien ne se passe, je vais au guichet.
L'employé semble tracassé par ma question. Il me dit qu'il ne sait pas quand il y aura un bus pour la gare des trains. Je le regarde surpris, il semble encore plus tracassé et il me dit que je ferais mieux de demander à un conducteur parce qu'ils sauront me répondre mieux que lui.

Je lui propose le bus 5. Il admet que ce bus va à la gare des trains, mais il me déconseille de le prendre. Selon lui, mieux vaudrait prendre le bus 6 qui s'arrête à quelque distance d'ici et ne s'arrête pas très loin de la gare.

Il m'explique comment atteindre l'arrêt du bus 6 et je m'y rends. J'ai de la chance ! Un bus 6 arrive justement. Mais au carrefour qui précède l'arrêt, au début de l'avenue de Lugo, il fait demi-tour et retourne vers la gare des bus.

Je vais à la gare des trains à pied.
Je longe l'avenue de Lugo, qui se transforme en route à grande circulation, conçue pour les voitures, pas pour les piétons. Santiago, la ville des pèlerins en prend un coup pour son grade.

J'arrive à la gare des trains. Tout compte fait, elle n'est pas très loin de celle des bus, mais il faut faire des tours et détours pour éviter les voies à grande circulation.
Cela dit, j'ai bien fait, car je n'ai pas vu passer un seul bus.

J'arrive au guichet à huit heures et demie.
L'employé me dit que le train de demain pour Hendaye est complet. Puis il se plonge dans les réservations et constate qu'en découpant mon trajet en trois parties, il y a encore une place.

Il exige que je paie en liquide. Heureusement il y a un distributeur de billets dans la gare. Bientôt j'ai le précieux ticket pour Paris, avec des couchettes entre Hendaye et Paris.

Il est déjà neuf heures. J'entre dans le premier hôtel que je trouve, le « San Carlos », un hôtel trois-étoiles.
Tant pis ! J'ai gagné une nuit en revenant directement de Fisterra et c'est mon dernier hébergement avant le retour à la maison. Je m'installe.

Je vais à une trattoria conseillée par la réceptionniste. Quand j'y entre, il est déjà dix heures du soir et elle est quasi vide. Je crains d'y être allé trop tard.
En fait je suis trop tôt. Les clients arrivent pendant que je mange. En revenant à la civilisation je vais devoir changer de fuseau horaire.

Non loin de la trattoria, au croisement avec la rúa do Doutor Teixero, je repère une boîte postale. Voilà qui va me servir pour mes envois !

Quand je reviens à l'hôtel il est dix heures et demie. Je dois écrire mes soixante-deux cartes postales et les mettre sous enveloppe.

Je me mets au travail. À onze heures et demie, j'en ai fait vingt. Je suis fatigué, j'arrête et je vais dormir.

Dans mon lit, je me dis qu'après tout, cela me tenterait de refaire une marche comme celle-ci, mais dans une région montagneuse comme les Pyrénées ou le Mercantour. La retraite paisible et les ruminations, c'est déjà fini !