Castildelgado, 8 juin 2011
Une montre-réveil sonne, je m'éveille. Il est quatre heures et demie du matin. Certains pèlerins sont vraiment très matinaux !
J'ai bien dormi en dépit des ronfleurs. Je me sens en forme.
La véritable agitation ne commence que vers cinq heures. Je reste couché, car je n'ai qu'une petite
étape à faire, je peux même me lever à sept heures.
Mais à cinq heures et demie, je me dis que si j'attends encore, les deux lavabos seront assiégés
et que pour le reste il en ira de même.
En fin de compte je dois renoncer à me laver vu les longues files d'attente devant les sanitaires.
Je sors du gîte peu après six heures.
Un Espagnol me suit et dit à ses compagnons qu'il ne fait pas assez clair. Ce qu'il oublie, c'est qu'il
est ébloui par l'éclairage public. Dans ce cas, il est normal que le ciel paraisse sombre. Il
suffirait d'éteindre les réverbères pour qu'il s'en rende compte.
Dès que je quitte l'éclairage public de la ville, il fait suffisamment clair pour suivre le chemin sans difficulté.
Je marche à mon aise, car je n'ai que vingt et un kilomètres à faire. De toute manière la progression est rendue difficile par une boue grasse et rougeâtre qui colle fortement aux chaussures et rend le chemin glissant.
J'admire un beau lever de soleil non loin de l'arroyo de Valdecañas.
Je me laisse pénétrer par sa calme majesté.
Je déjeune à Azofra, je commande un croissant et un « café con leche ». C'est à ce dernier que j'attribue ma forme d'hier après-midi. C'est évidemment surfait, mais j'ai pris goût à cette boisson douce et chaude très répandue en Espagne.
Je continue à flâner, des pèlerins me dépassent sans cesse. Mais après une montée, je prends mon rythme de croisière. Ce sont souvent les grimpettes qui donnent de l'enthousiasme à mes jambes.
Une sculpture trône au beau milieu d'un rond-point près de Cirueña.
Le camino regorge de signes et de symboles qui évoquent le pèlerinage de Santiago de Compostela.
Toute la largeur du chemin est couverte d'une boue rougeâtre et collante. Les marcheurs passent sur les côtés. Les cyclistes y engluent leurs roues. À l'entrée de Santo Domingo de la Calzada, ils vont au car wash pour nettoyer leurs vélos.
À Santo Domingo, une sculpture entre kitsch et baroque symbolise le pèlerinage.
Me voilà au terme de l'étape !
Il est dix heures et demie, il est trop tôt pour s'arrêter ! J'ai déjà entendu cette antienne quelque
part.
Une étape de vingt kilomètres, c'est désormais trop court pour moi.
Je consulte mon miam-miam dodo.
L'albergue de Grañón ne me plaît pas : le topoguide parle de matelas sur le sol, tout le contraire du
confort que je cherche. Par contre, l'albergue de Redecilla del Camino me semble séduisant et je
pourrais aussi aller à un hôtel pour routiers, El Chocolatero, à Castildelgado.
À la sortie de Santo Domingo, je traverse un grand pont sur le río Oja.
C'est la rivière qui a donné son nom à la région, la Rioja.
Le miam-miam dodo conseille une variante par Corporales, car elle évite de longer la grand-route. En principe, ce genre de détour a ma préférence, mais pour une fois je fais une exception.
Et finalement ce n'est pas un si mauvais choix, car un bon chemin longe la nationale et il y a peu de circulation routière.
Je marche à mon aise.
Finalement je décide d'aller à Castildelgado. Comme c'est un hôtel, je peux arriver plus tard, ce sera
plus confortable qu'un albergue et je n'ai pas à craindre une affluence de pèlerins.
Un pèlerin espagnol me dépasse.
Un peu plus loin, il emprunte à gauche un chemin qui va vers Corporales. Je me dis qu'il en a marre de
suivre la grand-route et qu'il va rejoindre la variante, mais en fait, il a mal interprété la balise.
Il me voit sur l'autre chemin, il fait demi-tour et arrive derrière moi. Il me dit qu'il s'est trompé.
Il me sourit, je lui souris.
Il fait de plus en plus chaud. Il y a même d'infimes trous bleus dans le ciel qui reste dans
l'ensemble très nuageux.
Je retire ma veste imperméable et le pèlerin espagnol me dépasse. Je lui souris, il me sourit.
Un peu plus loin, c'est lui qui retire sa veste et moi qui le dépasse. Nous sourions ensemble.
Puis mes jambes prennent leur vitesse de croisière et je le distance.
Je traverse Grañón rapidement.
Un peu plus loin, j'ai la surprise de passer dans des plantations de pavot sur des hectares.
C'est du vrai pavot blanc, celui qu'on utilise pour la drogue, et qui est cultivé ici à des fins
médicales.
Je suis quand même étonné que cette culture ne soit pas plus surveillée.
Peu avant Redecilla del Camino, je rejoins un groupe de pèlerins. Comme à chaque fois, je demande s'ils sont partis du Puy-en-Velay et s'ils ont vu André, car je garde toujours l'espoir de rejoindre mon compagnon d'Aumont-Aubrac.
Un Québécois me dit qu'il a débuté son pèlerinage à Saint-Jean-Pied-de-Port le lundi trente mai. Il y avait un brouillard dense dans la montée, mais au col Lepoeder c'était l'orage avec grêle et tonnerre. Les éclairs zigzaguaient sur le bitume. Une première journée fort dure !
Au gîte de Redecilla del Camino, je vois Joseph, un Alsacien qui marche bien et que j'ai déjà croisé quelques fois. Il a un accent qui ne trompe pas, ce qui ne l'empêche pas de porter un insigne occitan sur son chapeau.
Ce soir il dort à l'albergue de Redecilla, et je constate que le joyeux groupe de Bretons s'y trouve aussi. Pour ma part, je cherche un Breton qui habite en Anjou, mais ma description ne leur dit rien. André doit avoir une bonne avance sur moi.
Je suis content d'arriver à l'hôtel. Mes jambes sont fatiguées par la course en fin d'étape. Je passe à la « recepción » et je vais dans ma chambre. Demain j'irai à San Juan de Ortega. Il n'y a pas d'autre choix d'après mon topoguide.
En fait, il y a plus d'albergues et de casas rurales que dans mon miam-miam dodo de 2009 et je pourrais « pèleriner » à la « suerte de Dios » (au petit bonheur la chance) et ne chercher un hébergement que quand le lieu me plaît ou que j'en ai marre de marcher.
Il n'y a pas de lave-linge à San Juan de Ortega, je devrai attendre Burgos pour laver mon linge. Néanmoins le patron de l'hôtel accepte de me laver une paire de chaussettes. Il est très aimable et disponible. Je le remercie.
À cinq heures, je prends un « café con leche » dans le bar et je rédige mon carnet de bord.
Comme je quitte le bar, je rencontre Michel, le pèlerin français que j'ai rencontré à Espinal. Nous parlons du camino et des étapes que nous avons faites. Il va souvent à l'hôtel. C'est plus cher, mais il n'aime pas trop les albergues.
Justement, à propos des albergues, au début j'étais étonné de les voir ouvrir si
tôt : onze heures, parfois dix. Je m'étonnais aussi de l'agacement de certains pèlerins devant
les albergues qui n'ouvraient qu'à une heure de l'après-midi.
En fait, certains pèlerins appliquent la stratégie suivante : partir à six heures du matin, arriver
à l'étape à dix heures, être parmi les premiers à entrer dans l'albergue, prendre une douche,
dormir l'après-midi, manger vers huit heures, rentrer avant dix heures et tenter de dormir
(malgré les ronfleurs).
Je comprends la manière de « pèleriner » de Michel, mais je préfère la mienne, car elle coûte moins cher : je compense un hébergement cher par quelques albergues et je me repose des albergues dans des lieux plus confortables.
En plus, cela me permet de rencontrer des gens qui voyagent à l'économie comme Robert et d'autres qui ont les moyens comme la pèlerine allemande amatrice de piscine. Je rencontre ainsi toutes sortes de pèlerins.
Michel compte traverser Burgos en bus, un gain de dix kilomètres qui va le faire passer devant moi.
Au repas du soir je demande une truite, car je me suis laissé dire que les Espagnols les préparaient bien, mais le garçon me dit qu'il n'y en a pas. Ce sera pour une autre fois.
Le patron me donne discrètement mes chaussettes lavées. Je le remercie.
La météo annonce de la pluie la nuit de jeudi à vendredi.
Je vais dormir à dix heures avec l'intention de me lever à cinq heures et demie, car le déjeuner a été fixé à six heures.
À trois heures du matin, des gens font un raffut de tous les diables. À les entendre, ils sont sérieusement éméchés et ils rigolent. Ce qui les fait tellement rire, c'est qu'ils sont tellement saouls qu'ils ont du mal à introduire la clef dans la serrure de leur chambre.