Navarrenx, 29 mai 2011
Je me lève à quatre heures et demie.
Je prépare mon sac à dos discrètement. Un autre pèlerin fait de même, mais il a des sacs en tissu.
C'est ce que je devrais avoir aussi, car ils font moins de bruit. Mais ils ne protègent pas contre
la pluie.
Je pars à cinq heures et demie.
Je bénéficie d'un superbe lever de soleil sur le Béarn.
Je traverse le gave de Pau entre Argagnon et Maslacq.
Après la ruine de Guironolé, le chemin monte fortement et donne accès à une ligne de crêtes.
L'usine de Lacq est une raffinerie de gaz qui empuantit l'air pour consommer en abondance des réserves d'énergie non renouvelables, une sorte de comble.
Nous devrions apprendre à modérer notre gourmandise et à respecter la petite planète bleue.
Les fortes montées et les franches descentes se succèdent jusqu'au gave d'Oloron. Je passe d'une vallée à l'autre.
Je fais une halte à Abadie.
J'y trouve la fontaine indispensable au pèlerin.
Et voilà la carte et la bouteille, tout aussi indispensables !
La bouteille est celle que la dame de la Clauze m'a donnée.
Je passe le long d'une grande chasse entre Barsalonnet et Berduque.
Un couple de pèlerins se repose dans la rude montée qui mène à Bugnein.
Au cours de l'étape, je rencontre peu de pèlerins.
Je fais une halte au sommet de la côte, à la station de pompage de Bernata.
La chaleur devient pesante et je dois mordre sur ma chique pour aller jusqu'à Navarrenx sans
m'arrêter.
Dans un coude de la descente vers Méritein, un pèlerin se repose dans l'ombre des arbres.
À l'entrée de Navarrenx, un bar-restaurant, la « taverne de Saint-Jacques », porte un nom de bon aloi. Il propose son menu pèlerin le long du chemin et se déclare même prêt à « tout » faire pour les pèlerins.
Il est bien achalandé, ce qui est bon signe.
Comme j'en approche, je ne vois pas un seul pèlerin parmi les clients, je ne vois que des touristes.
Aurais-je marché si vite aujourd'hui ? Ou bien les pèlerins vont-ils manger ailleurs ?
De toute manière il y a trop de monde.
Je fais le tour de Navarrenx pour trouver un autre endroit où manger. Les magasins d'alimentation sont
fermés. Il y a un autre restaurant, le Bar du Centre, mais il est fermé aussi.
Comme il n'y a que la taverne de Saint-Jacques d'ouverte, j'y retourne. J'ai du mal à trouver une
place libre. À peine me suis-je assis que je me fais virer parce que je n'ai pas réservé !
Je comprends pourquoi il n'y a pas de pèlerins !
Je demande à la serveuse s'il y a moyen de manger ailleurs. Elle m'envoie à l'hôtel, où le refus est
encore plus catégorique.
Il ne me reste plus qu'à jeûner.
Heureusement il me reste ma ration de survie, quelques petits-beurre. Je me réfugie dans le parc public et je grignote mes biscuits.
Alain arrive sur ces entrefaites.
Je le vois de loin, je lui fais de grands signes, mais il ne les voit pas.
En tout cas je me souviendrai de Navarrenx.
Certains pèlerins sont très montés et parlent d'avertir Radio camino et je ne sais tout quoi encore.
Quant à moi, je pense à la rengaine de Frank Alamo.
« Après tout, tant pis !
Sing, c'est la vie. »
Je la fredonne et je souris dans ma barbe. J'ai trop de joie en moi pour en vouloir à quelqu'un.
En leur temps, les remparts de l'ancienne capitale de la Navarre la rendaient quasiment imprenable.
Je ne résiste pas à la tentation de photographier cette belle fresque peinte sur les murs de l'école primaire.
Je me rends à la chambre d'hôtes où je loge ce soir, au lieu-dit « le Moulin », à l'est de la ville.
Je négocie afin de pouvoir déjeuner tôt, mais mon hôtesse ne veut pas préparer le déjeuner avant
sept heures.
Je devrais m'arranger pour ne pas déjeuner dans les lieux d'hébergement.
Jean-Pierre, le restaurateur du Bar du Centre, nous conduira à son établissement et nous préparera un repas. Voilà qui résout mon problème d'alimentation, mais je crains que cela ne se termine tard !
À six heures moins le quart, nous payons, notre hôtesse tamponne notre crédenciale et nous partons à cinq dans la grande voiture de Jean-Pierre. Trois pèlerins nous rejoindront plus tard.
Voilà la seule fontaine de Navarrenx, située place de la Fontaine.
À six heures, dans l'église, j'assiste à un exposé concernant l'histoire du Béarn et de la Navarre. Jean (dit Jeannon) est passionné par son sujet. Au lieu de terminer à six heures et demie comme prévu, il nous parle jusqu'à sept heures un quart, et il est loin d'avoir épuisé le sujet.
Il nous invite à prendre le verre de l'amitié.
À la sortie de l'église, nous sommes accueillis par une grosse averse orageuse. Comme bien d'autres,
je n'ai pas emporté de veste, car les pluies sont rares.
Nous courons tous au local où on donne le verre de l'amitié.
Nous allons ensuite chez le restaurateur qui nous a préparé un repas « belge » (du moins à mon avis) : steak, frites et ratatouille. J'ai rarement aussi bien mangé sur le chemin. Mais je vais dormir tard, aux alentours de dix heures !