Aire-sur-l'Adour, 26 mai 2011
Je me lève tôt. Je me prépare silencieusement, car tout le monde dort.
Je pars à cinq heures et demie.
Je suis ébloui par l'éclairage public et complètement aveuglé par les phares de rares voitures, mais je
repère quand même les balises. Dès que je quitte la grand-route, je vois mieux les balises en dépit
de l'obscurité.
Le chemin est facile et j'avance d'un bon pas.
Je salue des pèlerins à la « Maison Labarbe » de Lanne-Soubiran, non loin de Villeneuve.
Ce gîte me semble agréable et sympathique.
Devant moi le couple néo-zélandais marche d'un bon pas.
À Rigade, peu après la traversée de la Daubade, Patrick me dépasse en marchant à grandes enjambées. Il me demande à quelle heure je suis parti et me dit non sans fierté qu'il est parti un quart d'heure plus tard.
Vanité ! Ce sont les pieds, les jambes et le corps qui décident de la vitesse de la marche, pas des défis ou des envies. En plus, avec sa « tendinite (?) » et le repos qu'il compte prendre à Aire-sur-l'Adour, il serait mieux avisé de marcher doucement.
Un peu plus loin, à Lelin-Lapujolle (que je lis Lelin « la plus jolie »), je retrouve Patrick. Il mange à une table de pique-nique près de l'église. Je remplis ma bouteille d'eau. Il me dit qu'il a faim parce qu'il n'a pas déjeuné ce matin.
Douce folie ! Il a mal à la cheville, il craint d'avoir une tendinite, il part sans manger, il force le pas, il est fier de dépasser des pèlerins et il va prendre trois jours de repos parce que cela ne va plus.
Dans la vallée de l'Adour, à hauteur de Devèze, un coin repos redonne du courage aux pèlerins.
J'en ai vu plusieurs depuis le Puy-en-Velay, mais celui-ci est le plus beau jusqu'à présent.
Peu après Costefort, je rejoins un pèlerin qui termine à Aire-sur-l'Adour. Il me dit qu'il est parti du Puy-en-Velay il y a vingt-deux jours. Je salue son effort.
Le chemin longe la grand-route, il ne traverse pas le pont sur l'Adour près de Casamont.
J'arrive à Aire-sur-l'Adour vers onze heures.
Je mange des petits-beurre en contrebas du pont.
Puis je visite la ville. Je repère le gîte ainsi qu'un restaurant qui offre des menus pèlerins, le Coq Hardi.
Je trouve un coiffeur qui fait aussi la barbe, ce qui n'est pas courant en France.
Il est impressionné par la distance que j'ai parcourue. Il me dit qu'il ne pourrait pas le faire.
Pourtant il me semble bien plus jeune et plus sportif que moi.
Je crois que la marche est accessible à quasi tout le monde ; ce qu'il faut, c'est s'entraîner, mais cela ne demande pas des aptitudes exceptionnelles.
Je vais manger au Coq Hardi, ce qui me semble obligé pour un Wallon, puisque selon l'héraldique, le drapeau wallon est de « coq hardi de gueules sur fond d'or ».
La patronne du restaurant m'apprend que le « coq hardi » était un signe de ralliement des membres de
l'OAS, mais elle n'a pas changé le nom de l'établissement quand elle l'a repris.
Voilà une information à communiquer au Ministre-Président de la Région wallonne !
Je vais au gîte. Un couple occupe déjà la chambre ; ils ont l'intention d'aller à Santiago.
Je rédige mon carnet de bord, je suis à la fin de mon premier cahier de brouillon et j'entame un
nouveau cahier.
Je vais à la poste pour envoyer mon ancien cahier chez moi. Tout est bon pour ne pas alourdir mon sac.
Comme j'arrive au bureau de poste, je rencontre Patrick qui attend sa sœur qui va venir le prendre
en voiture.
Il fait une pause jusqu'à dimanche. Il ajoute qu'il me rattrapera bien avant Santiago.
Il reste pareil à lui-même, un mélange d'énergie, de volonté et de fantaisie !
Le quatrième occupant de notre chambre vient d'Aix-les-Bains et compte aller jusqu'à Fisterra.
Je vais boire un litre de potage au rez-de-chaussée. Je croise Jean-Michel, dont les affiches réparties
dans le gîte vantent les qualités.
La faconde des autres pèlerins ne me permet pas de lui adresser la parole. Ils racontent leurs exploits :
neuf jours entiers de marche ! Et ce n'est pas fini, car ils comptent aller jusqu'à
Saint-Jean-Pied-de-Port !
Le pèlerin qui vient de Belgique et va à Fisterra se tait.
Ce genre de situation m'amuse et me comble. Dans le monde, il y a les vacarmes de
peu d'intérêt et des silences qui en disent long. Moins on a à dire, plus on parle fort. Il y a
aussi une histoire avec des tonneaux vides.
Mais j'admets volontiers que je n'aime pas me mettre en avant.
Je dis bonsoir et je me défile.
Je m'intéresse aux aphorismes qui couvrent les murs du gîte. J'ajoute des guillemets et le nom d'Antonio Machado sous le très connu : « Voyageur il n'y a pas de chemin. Le chemin, tu le traces en marchant. »
À force d'en lire, je découvre l'aphorisme qui manque : « Ce n'est pas le doute, mais la certitude qui rend fou. » Voilà de quoi faire réfléchir les croyants sûrs de leur fait, qu'il s'agisse de christianisme, de marxisme ou d'économie de marché.
Et je ferais bien d'y ajouter le nom de Friedrich Nietzsche, qui a aussi écrit, dans « Ainsi parlait Zarathoustra » : « Vous ne vous étiez pas encore cherchés : alors vous m'avez trouvé. Ainsi font tous les croyants ; c'est pourquoi la foi est si peu de chose. »