Pujols, 20 mai 2011
J'ai bien dormi et je me sens mieux, je n'ai plus mes sensations de faiblesse. Peut-être étais-je vraiment en manque de sel ?
Je déjeune rapidement, puis je vais chez mon hôtesse pour la payer. Mais je dois attendre qu'elle cesse de rire et de plaisanter avec son portable, ou plutôt avec son mari qui est à l'autre bout de la ligne.
Ce rire m'est sympathique. Je préfère les gens qui rient à ceux qui pleurent. Je préfère Démocrite à Héraclite. Puisque tout n'est que de la foutaise de vanité humaine à l'infini, autant s'en foutre ! Foutons-nous du foutoir ! Ce n'est pas Hippocrate qui me contredira !
Elle m'offre le déjeuner. Je la paie.
Elle n'a pas de tampon pour ma crédenciale, car un conflit l'oppose à l'évêché ou à la municipalité,
je ne sais pas trop. En tout cas, elle ne parvient pas à obtenir un tampon pour les crédenciales,
un comble pour un hôtel qui s'appelle « le Compostelle ».
Je pars à huit heures pile, l'heure convenue.
Pour tester le numéro de portable de Robert, je lui téléphone à la sortie de Penne-d'Agenais. Il
m'attend au gîte, car il a compris que je lui donnerais un coup de fil en quittant l'hôtel.
Je m'assieds sur un banc au bas de la descente et je l'attends.
Il me rejoint et nous marchons ensemble.
Cette étape est ridiculement courte (seize kilomètres) suite au manque d'hébergements.
Elle débute par une sévère montée vers le Pech de Vacquéry. Je la monte au train, mais elle est plus raide que je ne m'y attendais.
Le chemin est agréable pendant plusieurs kilomètres. Il descend franchement à l'approche de l'église Saint-Germain. Je propose à Robert de nous y arrêter, ce qui lui permettra de réserver à Lamontjoie.
À l'entrée de l'église, il y a un banc à l'ombre.
Robert obtient le bruit d'un fax, l'administration communale est probablement fermée.
Après l'église Saint-Germain, le tracé du GR n'est pas celui de mon topoguide. Mais il est sans problème et nous voyons bientôt la zone industrielle et le complexe scolaire de Villeneuve-sur-Lot.
Robert a faim, il voudrait manger un steak frites. J'ai exactement la même envie. Il me propose de faire le détour par Villeneuve-sur-Lot. Cela me convient d'autant mieux que j'ai des achats à faire, ceux que je n'ai pas pu faire à Penne-d'Agenais.
Dès le premier snack, Robert propose de s'arrêter, mais il n'y a pas de steak frites. Je l'en dissuade.
Nous passons devant un lycée. Des lycéennes sont étonnées d'apprendre que nous venons de si loin et surtout que nous allons aussi loin. Je leur parle du camino.
Je fais des achats à l'intermarché : cahier, savon et dentifrice.
En sortant du magasin, je n'ai pas de casquette. Je ne m'inquiète pas, car je crois l'avoir mise dans
la poche supérieure de mon sac à dos.
Je rejoins Robert, j'ouvre la poche du sac et je ne la trouve pas. Robert est certain que je suis entré
dans le magasin avec ma casquette sur la tête. J'ai dû l'oublier dans un rayon.
Je fais le tour du magasin, je demande à la caisse principale : pas de casquette !
C'est stupide de piquer une casquette. Mais cela m'ennuie car il y a beaucoup de soleil.
J'apprends qu'il y a un magasin de sport, « Intersport », à l'est de la ville, à quatre kilomètres d'ici.
Je ne vais pas faire huit kilomètres pour acheter une casquette !
Sur ces entrefaites nous repérons un snack qui affiche des steaks frites à son menu. Nous nous asseyons.
Le patron, qui est d'origine asiatique, nous explique qu'il s'agit d'un steak haché dans un sandwich
avec un accompagnement de frites. Robert veut rester, je veux chercher plus loin.
Le patron se montre très intéressé par le pèlerinage de Compostelle. Nous lui en parlons un peu.
Sur quoi il décide de nous faire des vrais steaks frites. Robert loue son sens commercial que, selon
lui, « plus aucun restaurateur français n'a encore le jour d'aujourd'hui ».
Mon compagnon recourt souvent à des clichés.
Notre restaurateur vient nous parler du camino, il voudrait faire le pèlerinage. Avec une grande
ouverture d'esprit Robert lui dit que ce pèlerinage n'est pas réservé qu'aux seuls Chrétiens,
qu'il est ouvert à tout le monde, même aux gens qui ont une autre religion comme lui.
Sur quoi il répond qu'il est un fervent catholique et que sa motivation première est religieuse. Robert
est un peu décontenancé tandis que notre restaurateur asiatique fait preuve d'une foi chrétienne
tout ce qu'il y a de plus sincère, citant les Évangiles, etc.
Il s'intéresse à nos topoguides. Robert lui donne une série d'informations sur le chemin.
Notre restaurateur nous demande où il peut se procurer des topoguides. Nous lui disons que l'Office du
tourisme ou même l'évêché pourra lui dire où les trouver.
J'expose à notre restaurateur mon problème de casquette, il me propose de me conduire à Intersport, je le remercie beaucoup. Le magasin ouvre à deux heures, il est onze heures et demie.
Nous mangeons bien.
Près de nous vient s'asseoir un ancien d'Afrique un peu éméché qui en écluse pas mal. Robert se met à longuement parler avec lui. Lui aussi a quelques souvenirs d'Afrique.
À deux heures, je pars avec notre restaurateur à la recherche d'une nouvelle casquette. Il m'accompagne
dans le magasin.
J'en choisis une et en revenant vers la caisse, j'aperçois des topoguides. Je les lui montre. Cependant
le seul topoguide qui parle des chemins de Compostelle est celui qui va de Namur à Vézelay.
Ça alors ! Il faut venir à Villeneuve-sur-Lot pour le trouver !
Nous revenons au snack. Robert parle toujours avec l'ancien d'Afrique, qui est de plus en plus éméché. Le patron est enchanté de nous avoir rencontrés et il ne nous fait pas payer grand-chose pour le repas.
Nous partons ensuite pour Pujols. Je sais que nous allons devoir grimper une rude montée et que Robert
est fatigué. Pour l'encourager, je lui présente cette côte comme rien du tout par rapport à ce que
nous avons fait.
Non seulement elle est rude, mais elle est franchement très raide. Je ne l'imaginais pas aussi difficile.
Et avec le soleil qui est au mieux de sa forme, des filets de transpiration dégoulinent sous mes vêtements.
Nous arrivons tous les deux en eau à Pujols.
Le responsable de l'Office du tourisme nous conduit au gîte et nous nous installons.
Comme j'ouvre mon sac à dos, je vois la casquette que j'avais « perdue ». Je ne l'avais pas mise dans la poche supérieure du sac, mais dans le sac lui-même. Maintenant j'ai deux casquettes et moins d'argent.
Le bar-restaurant du village fait office de dépôt de pain, mais il n'en a plus. Comme la patronne doit
aller chercher du pain pour les repas du soir, je négocie pour qu'elle prenne aussi deux baguettes
pour Robert et moi.
Dans la foulée, je nous réserve deux repas dans son restaurant.
Comme Penne-d'Agenais, Pujols est une ville fortifiée implantée sur une butte. Elle a été entièrement rasée lors des guerres de religion. Toute la région est marquée par la croisade des Catholiques contre les Albigeois (les Cathares).
Au nord de Pujols, on a une large vue vers Villeneuve-sur-Lot, dont le nom est celui de la bastide que les Pujolais ont construite après la destruction de leur ville.
La maquette représente la ville de Pujols au XIVe siècle.
Le château est à l'est de la ville.
Robert et moi visitons la ville séparément.
J'explore le chemin que nous emprunterons demain. Il descend très fort. Quand je remonte, je transpire
comme un bœuf. Je me demande pourquoi j'ai pris une douche ! Mon comportement est absurde.
Je rédige mon carnet de bord. J'achète les baguettes pour Robert et moi. Je vais manger un mauvais
steak avec des frites (c'est la journée des steaks frites).
Je ne vais dormir qu'à neuf heures et en plus je dors mal.
C'est vraiment la journée des bizarreries. C'est le hasard qui fait les choses. Bien
ou mal, qui le sait ?
Il y a de quoi relire l'Ecclésiaste, s'en remettre à l'« amor fati » des Anciens ou chanter avec Frank
Alamo : « Tu pleures ou tu ris, tu n'as pas choisi, tout ça c'est la vie. »