Le Col du Béal, 25 avril 2011
Je salue une dernière fois les superbes jonquilles.
Comment vais-je marcher après une journée de repos ? Les pentes me semblent dures et il y aura quelques bonnes côtes les jours suivants. Je ferai des étapes moins longues après le Puy-en-Velay.
Je vois deux chevreuils de tout près, ils sont tout fous en ce moment, c'est le printemps.
Le col de la Loge (1.253 mètres) est une station de ski proche de la Chamba.
Je suis déjà sur le Haut Forez. L'émotion me gagne, je marche un peu au-dessus du sol.
Ici la qualité de la neige permet rarement de skier, on se déplace sur la neige avec des raquettes.
Le panneau couvre une balise ; décidément, les marcheurs ne sont pas les bienvenus.
Sur la Montagnette (1.382 mètres), la végétation ressemble à celle des tourbières sèches des Hautes Fagnes en Belgique.
Ces « Deux Boules » sont des bornes qui datent de l'antiquité. Elles jalonnaient la voie qui traversait le Forez.
Ce sol craquelé est partout présent (ici à hauteur du Puy Gros, 1.428 mètres).
La sécheresse tue les tourbières, l'eau n'alimente plus les plantes.
Et dire qu'en général il pleut et il neige beaucoup sur les monts du Forez !
La crête dénudée de la Roche Courbe (1.432 mètres) domine le col du Béal (1.390 mètres).
J'arrive au gîte à deux heures et demie. Les occupants du week-end sont encore là.
Je m'installe et je me repose. Je partirai tôt demain, je veux voir le soleil se lever sur les Hautes
Chaumes.
Je rumine à propos de notre mise à distance du réel.
Nous ne pouvons pas vivre plaqués contre le réel ou plus précisément les apparences que nous substituons
au réel.
C'est plus amusant et vivifiant d'être décalé, comme l'enfant qui court en faisant « vroum vroum » et
prétend conduire une formule un.
Là où cela me poserait problème, c'est si le gamin croyait vraiment conduire une
formule un et se fâchait si on le contredisait.
Nous pouvons nous inventer des idées, des dieux, des extraterrestres, mais à la condition expresse de
savoir qu'il s'agit d'un jeu mental. Quand nous nous mettons à croire que ces créations de notre
esprit sont « vraies », le malheur frappe à notre porte.
Vers quatre heures, cela se calme dans le gîte. Je prends ma douche dans une baignoire munie d'un
pare-baignoire pliant, mais je suis maladroit et j'inonde le sol.
J'étanche avec mon essuie. Quand je le rince, il en sort un liquide noirâtre. Dès que je le pourrai,
je le laverai.
Demain je traverserai les Hautes Chaumes, le plus haut lieu de mon pèlerinage. Et le temps s'annonce
beau.
Il souffle un vent terrible sur le Béal, cela doit arriver souvent sur ces monts dénudés.
Le Peyre Mayou (1.542 mètres) me regarde fixement, il me lance un défi pour demain.
Le restaurant du refuge du Béal est à droite du gîte.
La responsable du gîte apporte le repas.
Elle me parle de son métier. Nous parlons du lieu, du vent, de la neige et du poste militaire installé
à Pierre-sur-Haute. Je paie ma demi-pension.
Me voilà dans un endroit sauvage et isolé comme je les aime, pays de neige et de vent.
Le repas est copieux. Il est bon, mais je me modère. Je mange avec un couple qui loge à l'étage. Ils font une marche de trois jours dans cette nature superbe. Demain soir ils logeront à l'hôtel des Voyageurs de Vertolaye.
Nous parlons ensemble et j'évoque mes ruminations.
Nous allons dormir tard.
Mes compagnons se lèveront après moi ; je serai seul à voir le soleil se lever sur la beauté solennelle
de la montagne.