Saint-Anthème, 26 avril 2011
Six heures et demie, le soleil se lève sur le col du Béal.
Je grimpe le long du Peyre Mayou dans la lumière montante du jour.
Tout autour de moi, les vallées sont plongées dans le brouillard.
Les roches du Peyre Mayou rougeoient dans la lumière du soleil levant.
Partout des amas rocheux, comme ici celui des Grands Rochers, témoignent du passé volcanique de la région.
Des poteaux hauts de quatre mètres bordent la piste, car en hiver, la neige peut atteindre trois mètres de haut.
Le temps est exceptionnellement chaud cette année, mais il n'est pas rare qu'en avril il y ait trop de neige ici pour pouvoir marcher.
Je suis seul à l'infini, je suis en état de plénitude en grimpant vers le point le plus élevé de mon pèlerinage, Pierre-sur-Haute.
Un reste de neige s'est dissimulé dans l'ombre de Pierre-sur-Haute.
Il souffle un vent terrible sur les Hautes Chaumes, un vent du nord-est.
Il fait beau et lumineux.
La base militaire est le point le plus élevé de mon pèlerinage (1.634 mètres). Je passe en contrebas, à 1.618 mètres d'altitude.
Le pays est splendide, les paysages sont superbes.
Le brouillard semble tenace dans la vallée du ruisseau de Vertolaye, là où mes compagnons marcheurs se rendront aujourd'hui.
Cet amas de pierres semble être une énigme venue du fond des temps.
J'en vois plusieurs du même genre en descendant vers les Burons de la Richarde.
Le vent me déséquilibre et le sac à dos en renforce l'effet. Je lutte pour garder l'équilibre sur un
sol souvent irrégulier.
Ce vent fou ne cesse pas. Bien que j'aie mis mon singlet chaud, ma polaire, ma veste et ma capuche, je
sens le froid.
Les jasseries de Pradoux.
Une jasserie est un abri pour le berger qui garde le troupeau sur les estives.
Un cairn improvisé confirme la balise.
Je fais une pause en contrebas du plateau de Pégrol (1.405 mètres).
Un ancien chemin monte sur le plateau, il est complètement raviné par le passage des véhicules. Le sol est très fragile.
Je pense au livre que je devrais écrire si j'en crois mon hôte de Lentilles.
Je le découperais en trois parties.
D'abord le « grand système du monde » serait une tentative pour montrer que le réel échappe à nos sens
et surtout à notre « bon sens ».
Ensuite le « petit système du monde » décrirait comment le « primate bavard » se dépatouille là-dedans.
Et la troisième partie esquisserait une philosophie : laisser les choses tranquillement s'échouer autour
de soi et consacrer ses forces à tracer par soi-même, un mélange de calme stoïcisme et de dionysisme
nietzschéen.
Je dois écrire un livre d'aphorismes. Je pense au tohu bohu du monde et au silence de
ces lieux sobres. En bas, dans le monde ordinaire, chacun parle et personne n'écoute.
Qohelet a probablement écrit l'Ecclésiaste un jour où il marchait sur les Hautes Chaumes.
Il subsiste très peu d'arbres sur les Hautes Chaumes.
À deux reprises j'ouvre et je ferme des barrières d'estives, mais le chemin est bien balisé. Il n'y a aucun risque de se perdre, du moins par temps clair.
Au-dessus des jasseries de Garnier, je traverse un terrain fagnard, une tourbière séchée avec des jonquilles.
Je vais jusqu'à la Grande Pierre Bazanne, à trois cents mètres du chemin.
Elle a la réputation de faire dévier l'aiguille des boussoles. Ma boussole ne réagit pas, peut-être parce que son aiguille baigne dans de l'huile.
Aux Combes, je passe entre des petits arbres qui me protègent du vent fou.
À Baracuchet, j'emprunte les sept kilomètres d'asphalte qui descendent à Saint-Anthème.
Le gérant du magasin d'alimentation m'apprend qu'Yvan Col tient toujours un gîte à Saint-Yvoye. En
plus j'ai le bon numéro de téléphone.
Je ne sais pas pourquoi j'ai obtenu la tonalité des abonnés non inscrits quand j'ai essayé de le
joindre.
Ce matin il a vu un pèlerin qui allait au Puy-en-Velay par la grand-route, via Viverols et
Craponne-sur-Arzon.
Ce compagnon pèlerin va-t-il suivre la grand-route jusqu'au Puy et ensuite emprunter les chemins de
la Via Podiensis ?
Pour ma part je préfère les chemins à la grand-route pour aller au Puy.
J'arrive à l'hôtel des Voyageurs de Saint-Anthème et j'apprends que je n'ai pas réservé. Dans mon
guide, le numéro de l'hôtel des Voyageurs de Saint-Anthème est celui de l'hôtel des Voyageurs de
Vertolaye.
Ce n'est pas grave, car la confusion est fréquente et la gérante de l'hôtel peut m'héberger.
Je téléphone à Vertolaye pour signaler mon erreur.
Je pense à mon repos forcé à Notre-Dame-de-l'Hermitage. Décidément, l'hébergement après les Hautes Chaumes n'est pas sans surprise !
La gérante de l'hôtel est très sympathique et très disponible. Elle m'indique le chemin le plus court
pour rejoindre le GR, en passant par La Rochette et les Chazots.
En fait, elle confirme que le chemin que j'ai repéré sur la carte, est autorisé et praticable, il s'agit
même d'une promenade locale.
Je me sens bien en jambes, surtout sans mon sac à dos et j'explore le chemin jusqu'aux Chazots, cela me fait cinq kilomètres et une dénivelée de deux cent septante mètres. Au retour je ressens un peu de fatigue.
Il y a beaucoup d'orages en vue, surtout jeudi et vendredi. Il y en aura moins le week-end, mais c'est rebelote pour lundi et mardi. C'est dû à des courants chauds en provenance d'Espagne.
Le repas est excellent.
À la table en face de moi, les représentants de l'espèce humaine se livrent à une surenchère qui
m'exaspère. Ils sont très bruyants et chacun joue son cinéma.
Un gosse est traité comme un idiot et joue à l'être parce que c'est pour lui le meilleur moyen de se
faire reconnaître par le groupe.
J'ai le tournis. Pourtant je n'ai pris qu'un verre de vin. C'est peut-être le vent de la journée, ou la fatigue de la marche, ou ces fameux cristaux que j'ai dans le labyrinthe de l'oreille.
Je demande à mon hôtesse si je peux déjeuner à sept heures et demie. Cela la contrarie, mais elle accepte.