Notre-Dame-de-l'Hermitage, 24 avril 2011
Le jour de Pâques est la plus grande fête catholique même si certains fidèles accordent plus d'importance à la Noël. Je décide de suivre tous les offices sans exception.
Même si la foi religieuse n'est pas au centre de mon questionnement sur les croyances,
elle en draine un grand nombre et il n'est peut-être pas inutile de me plonger dans cette ambiance.
Et de toute manière c'est une forme de politesse pour mes hôtes.
Cela m'aidera peut-être à comprendre un peu mieux sur quelles bases fonctionne la foi. Parmi ce qui fonde
la foi, il y a les rituels répétitifs, les psalmodies, les lieux et les moments « sanctifiés » et les
émotions religieuses.
Je vais à la messe de dix heures et demie. Il y a beaucoup de monde. Les gens sont venus d'un peu partout, surtout de Noirétable parce qu'il y a peu de messes dans les environs.
Ce que j'observe, ce sont des attitudes, des paroles et des mélodies qui imitent des
émotions et sont censées les provoquer dans le cadre d'une convention sociale qui relève d'un réflexe
identitaire.
Je ne suis pas chrétien parce que je vends tous mes biens et que je suis Jésus dans une sorte de délire
mystique, je suis chrétien parce que je vais à la messe et que je me comporte de la même manière que
les autres Chrétiens.
C'est le processus mimétique, l'inverse même du processus spontané.
Dans le processus spontané, c'est l'émotion qui provoque la parole, la mélodie et l'attitude ; je suis
tout entier dans ce que je fais, chante et dis. Dans le processus mimétique je vis dans l'inquiétude
de ne pas faire le bon geste ou de ne pas chanter comme il faut au bon moment.
Seule une espèce « simiesque » est capable de tels simulacres. Et je pense aux travaux de René Girard.
Le repas est long, il y a beaucoup de monde, cela me pèse. J'ai du mal à concevoir qu'on puisse consacrer tant de temps à manger. Où est la frugalité des anciens Grecs ? Et le cynisme de Diogène de Sinope ?
J'explore le chemin que je prendrai demain. Parmi tout ce monde venu pour la messe, certains sont aussi venus pour l'ambiance du lieu et la cueillette des jonquilles. Elles sont superbes, je n'en ai jamais vu de si grandes.
Voilà un champ de jonquilles non loin d'une ruine appartenant au sanctuaire.
Les gens cueillent les belles jonquilles sans vergogne, c'est une sorte de raz-de-marée humain.
C'est un peu dur à supporter pour moi qui ai longtemps marché seul. Ce flux « touristique » m'indispose et je retourne dans ma chambre.
Ce jour de repos forcé me ramène à mes ruminations d'ermite.
Il faudrait réprimander l'espèce humaine et mettre un terme à ses illusions vaniteuses, à ces dieux parfaits auxquels nous prétendons ressembler ou sous une forme plus moderne, à ces prétendus extraterrestres qui nous auraient transmis certains de leurs pouvoirs, et à toutes les autres illusions vaniteuses qui alimentent notre prétention à être des « animaux supérieurs ».
Les trois qualités de l'espèce animale humaine sont le cortex cérébral très développé,
la motricité fine des mains et le larynx avec ses cordes vocales. Le reste est du blabla.
Cela ne fait pas de nous des dieux, tant s'en faut.
Nous sommes convaincus que nous sortons de la cuisse de « Jules Pieter ». Nous en
avons l'intime conviction.
« On ne peut pas nier qu'il existe quelque chose. » Eh bien, précisément non, il n'y a rien. C'est ce
« quelque chose qui soi-disant existe » qu'on peut, qu'on doit nier.
En revenant je prends une photo de l'église de Notre-Dame sur son flanc sud.
Nous avons tous ressenti quelque chose de spécial qu'on pourrait appeler le parfum enivrant de la vanité humaine. Et nous avons tous vécu des expériences qui nous confortent dans la croyance en ce quelque chose de spécial qui nous ferait échapper à l'écume des jours.
Nous sommes des enfants. Quand notre ego est en jeu, nous faisons preuve d'une ingénuité puérile, nous croyons au Père Noël, à l'oncle d'Amérique (merci Laborit) et nous ne cessons pas de bâtir des châteaux en Espagne.
Je présume que dans la fable de La Fontaine, la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf, a dû ressentir quelque chose d'analogue. Tout cela est humain, trop humain, beaucoup trop humain pour que nous puissions y accorder du crédit.
Cela ne mérite que les larmes d'Héraclite et le rire de Démocrite.
« Il me semble avoir vécu cent ans et quand j'entends vos croyances puériles et
tellement humaines, il me vient des envies de rire et de pleurer, et il me semble avoir vécu mille
ans. »
De la Bible on peut tout oublier sauf l'Ecclésiaste, la parole du sage Qohelet qui s'adresse à la
foule : « Illusion des illusions, et tout est illusions. »
Nos mots recouvrent nos courtes vies d'un voile parfumé enivrant et vain. Et voilà comment je retrouve le « je-ne-sais-quoi » et le « presque-rien » de Vladimir Jankélévitch.
Je vais au chapelet. C'est une répétition lassante qui me fait penser aux « Hare Krishna » des
adeptes de la conscience de Krishna.
Je vais aux vêpres aussi. Et j'entends de fraîches jeunes filles vouer impitoyablement les ennemis de
Dieu aux pires tortures.
Les mêmes n'hésiteront pas ensuite à se montrer très tolérantes. Bien sûr ces textes
anciens sont le reflet d'époques plus cruelles que la nôtre. Mais cela me semble un peu schizo de
réciter des textes aussi radicaux et d'agir différemment ensuite.
Comment le clergé ne serait-il pas amené à mimer des actes et des gestes non ressentis quand il baigne
dans ce genre de culture ?
Il y a une réunion de responsables des congrégations à l'occasion de Pâques. Elles sont toutes jeunes et d'origine étrangère, malgache, angolaise et philippine. Il n'y a qu'une sœur française et elle est fort âgée.
Il règne ici une ambiance de désenchantement !