De l'aube à l'aurore - L'ermite et le pèlerin - Bert (19 avril 2011)

Un monde à refaire

Cabo Fisterra

Bert, 19 avril 2011

Je pars à six heures dix. Il fait encore nuit, j'aurais mieux fait de partir à six heures et demie.

Pour atteindre Bert, un village français dont le nom est un prénom flamand, j'ai une trentaine de kilomètres à faire.

Comme je suis très matinal, j'entends les chants des oiseaux monter par vagues successives et je surprends même une belette en maraude sur le bord du chemin.

Le Château de la Varenne Le château de la Varenne est un manoir de la Renaissance. Il est moins connu que ses homonymes.

Au chemin des Peurs Et voilà qu'au chemin des Peurs, peu avant Gros Loup, un escadron de « vaches » me protège ou me surveille, je ne sais trop.

Je grimpe la forte côte du Puy Saint-Ambroise avant la grosse chaleur.

Vue sur le Bourbonnais Du sommet, j'ai une large vue sur le Bourbonnais en direction du nord.

La ferme est celle du Font des Crues.

Le Puy Saint-Ambroise Au Puy Saint-Ambroise, l'ensemble des bâtiments et de l'église est propriété privée.

Je ne peux accéder qu'à un belvédère, à un café et à une aire de pique-nique.
Cela ne me donne pas envie de m'y attarder.

La chaleur rend la montée vers Montcombroux-les-Mines pénible.
Je me repose dans le village, un peu après l'église. La chaleur est accablante, le relief est exigeant. Et ce n'est qu'un début !

Les pieds me font mal, mais j'arrive bientôt à Bert.
Sur la rue principale du village, les enfants s'interpellent en flamand. Un moment, la fatigue aidant, je crois être en Flandre. Puis je me dis qu'il s'agit sans doute des familles flamandes qui sont en vacances ici.

Au passage je repère un bar-restaurant qui fait aussi épicerie. Je ferai mes achats après avoir situé le camping municipal, là où je dors ce soir. J'y arrive à une heure moins vingt.
Je m'assieds, je regarde l'étape de demain et je rédige mon carnet de bord.

L'étang de Bert

En face de moi il y a l'étang de Bert.
L'eau et un petit vent me rafraîchissent. L'endroit est très agréable.

Je rumine à propos du trop accessible imaginaire.
À défaut de pouvoir accéder au réel, l'être humain fabrique de l'imaginaire avec beaucoup d'aisance. Images, symboles, concepts se bousculent dans sa tête et dans ses mots. Ce jeu de Meccano intellectuel, dont le vecteur est le langage, ne nous lasse jamais.
Il faudrait se demander si l'autisme n'est pas simplement l'absence d'accès à ce Meccano, le fait de prendre les choses « au premier degré ».

Ce Meccano intellectuel est propre à l'espèce. Comme la langue d'Ésope dont il est le proche parent, il peut être la meilleure ou la pire des choses.
Il est particulièrement dangereux quand il se réfugie dans la thématique de la vérité, le sentiment d'avoir raison seul contre tous, le culte du juste injustement persécuté ou la volonté d'imposer « la » vérité aux autres.

L'être humain tend à superposer aux apparences des entités surréelles sans réaliser qu'elles sont des artéfacts de ce Meccano et n'ont d'autre réalité que leurs énonciations verbales et leur pouvoir de conviction sur des esprits humains, accoutumés à fonctionner dans cet univers factice.

Un agent municipal entre dans le camping. Je lui explique que j'ai réservé pour un mobil-home, il me dit de téléphoner à madame Buisson. J'obtiens un répondeur et je laisse un message.

Une heure et demie plus tard, comme je suis sans réponse, je téléphone à nouveau. La responsable me dit qu'elle viendra dès qu'elle le pourra.

Il va être quatre heures.
Cela fait trois heures que j'attends devant cette mare. Je me suis mal organisé. J'aurais dû demander à madame Buisson si j'avais le temps de faire des achats. Et d'ailleurs, j'aurais dû les faire lors de mon entrée dans le village.

Elle arrive et me donne accès à un mobil-home. Elle me montre la pièce des enfants et me propose d'y dormir. Il y a deux petits lits et je lui dis que je préfère dormir dans le grand lit des parents.
Je la paie et elle tamponne ma crédenciale.

Je vais enfin faire mes achats.
Le seul magasin du village, c'est le bar-restaurant que j'ai vu tout à l'heure. J'arrive dans une maison en plein désordre. Il semble y avoir eu une razzia.
Et j'ai la surprise d'entendre parler flamand. L'établissement est tenu par des Limbourgeois.
Ils ont reçu de la famille et il ne reste quasi rien ou plus exactement il reste ce dont ils ont besoin pour le restaurant.

Le monsieur s'obstine à me demander ce que je veux. Je lui demande ce qu'il a, car cela me semble mieux correspondre à la situation.
La dame comprend mon idée et me présente ce qu'elle peut me vendre. Finalement ce n'est pas mal du tout, j'obtiens des couques au chocolat, de l'eau, un coca, du fromage, du jambon, une pomme et quelques tartines.

Je leur parle des pèlerins américains. Mes compagnons sont passés chez eux ce matin vers sept heures et demie. Ils ont déjà un jour d'avance sur moi.

Sortie de Bert J'explore le chemin de demain, ce qui me permettra de partir avant le lever du soleil.

Il s'agit d'une montée dans les bois avec quelques petites difficultés. Il ne doit pas être facile d'y progresser dans la pénombre.

Je m'installe. Le mobil-home est très chaud. Il sera très froid demain matin, d'autant que je suis près d'un étang. J'aère le mobil-home en ouvrant la fenêtre de la cuisine et celle de la chambre des parents.
À huit heures, il fait plus frais et je ferme tout.

Je reprends mes ruminations.
Un des principaux utilisateurs de ce Meccano intellectuel est l'orant agenouillé devant son idole. La question n'est pas de condamner cette attitude, qui est constitutive de l'espèce humaine, mais mieux en avoir conscience permettrait sans doute de réduire les tensions entre les « vérités » antinomiques.

Nous devons avoir l'humilité de reconnaître que ce processus de fabrication de vérités factices, s'il nous rend souvent service en réduisant l'effort d'analyse et de synthèse, crée aussi beaucoup de problèmes et de conflits inutiles. Une certaine modestie serait de mise.

En outre, ce Meccano intellectuel est souvent simpliste et les artifices auxquels il recourt, sont plus souvent paralogiques que logiques. Finalement, ce n'est pas tellement la vérité qui nous intéresse, mais notre pouvoir sur notre environnement.
Selon Paul Valéry, ce qui est simple est faux et ce qui est compliqué est inutilisable. Nous préférons l'intelligible à l'intelligent et c'est pourquoi le simplisme l'emporte si souvent sur la simplicité.

Osons le dire ! Nous baignons dans des monceaux d'idées simplistes et donc fausses. En démocratie, c'est là l'avantage des partis radicaux et extrémistes sur les partis de gouvernement.
Le recours à la « vraie vérité » est trop humain pour ne pas paraître suspect.
Quand un prédicateur vous dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis... », surtout ne l'écoutez pas !

À dix heures, il fait franchement froid, je mets le chauffage en route.
Il chauffe la cuisine et le salon et un peu la chambre des enfants.
Mais la chaleur ne parvient pas jusqu'à la chambre des parents, qui est à l'autre bout du mobil-home.
Voilà pourquoi mon hôtesse m'a suggéré de m'installer dans la chambre des enfants !

Sur le matelas il n'y a ni drap ni couverture.
Plus la nuit avance plus j'ai froid.
Je mets tous mes vêtements et je passe la nuit complètement habillé dans mon sac de couchage.