La Cropte, 18 avril 2011
J'ai dormi longtemps et j'ai bien dormi. Mon sac à dos est prêt à sept heures et demie.
Je déjeune, je fais tamponner ma crédenciale et je paie.
J'ai tout le temps, car l'étape est courte et facile, vingt kilomètres en terrain plat. Ma seule crainte est la chaleur de l'après-midi.
Le chemin passe par les allées rectilignes de la forêt bien entretenue de Germigny.
Puis, jusqu'à Saint-Aubin, je marche sur une piste cyclable très bien aménagée.
Je suis à quatre cents mètres de la Loire, mais je ne la vois pas, car elle est masquée par la végétation.
Peu avant la Vèvre je vois une chélidoine majeure, une plante qui aime la chaleur et les talus ombragés.
Pour moi elle a une histoire parce que quand j'étais adolescent, je la cherchais avec un ami qui soignait une verrue avec le suc jaune et acide qu'elle contient.
À la Brosse, des chiens me regardent passer.
Peut-être aimeraient-ils se balader comme moi, mais ils doivent assurer la garde de la propriété de leur maître.
Je traverse la Loire sur un pont très long.
Je termine ainsi le premier tronçon du chemin qui va de Vézelay au Puy-en-Velay.
J'ignore si je suis encore en Saône-et-Loire. Et comme je me pose la question, un panneau m'annonce que j'entre dans l'Allier.
Sur le canal latéral à la Loire, une borne indique que Briare est à 172 kilomètres.
Il s'agit d'un important croisement de canaux, mais c'est franchement trop loin pour faire le détour.
À Diou, je me ravitaille dans un Proxi. Je reporte l'achat du pain à la fin, car les
baguettes se trouvent derrière la caisse. Il y en a une bonne dizaine.
Comme j'arrive à la caisse, une cliente achète tout le pain. La caissière me dépanne avec un morceau de
pain.
Elle me dit où je peux trouver une pharmacie, à un demi-kilomètre d'ici dans la direction de
Dompierre-sur-Besbre.
Là je rends l'éther que j'ai acheté à Vitry-le-François et j'achète de la crème solaire.
Je ne vois pas les pèlerins américains. Ils doivent avoir pas mal d'avance sur moi.
En sortant de Diou par la départementale 15 qui va vers Saligny-sur-Roudon, je découvre – enfin, après
soixante ans d'existence ! – la rue Honnête.
Elle se trouve à Diou, juste avant le pont qui passe sur le canal latéral à la Loire. Une rue avec un
nom pareil mérite une halte.
Je rumine à propos de l'inaccessible réel.
Le réalisme prétend se fonder sur le réel. Il est un idéalisme qui cherche à annuler l'écart entre le
réel et l'apparence. Cette quête impossible revient à prendre certaines apparences pour le réel.
Dès lors que tout est apparence, il n'y a pas de place pour le réel.
La seule méthode pour approcher un tant soit peu le réel est la recherche scientifique
rigoureuse.
Par exemple, la théorie de la relativité permet de mieux appréhender le cosmos, les équations de
Schrödinger rendent mieux compte du fonctionnement de l'infiniment petit.
Mais peu d'êtres humains comprennent ces représentations, elles sont tout à fait
étrangères à nos sens. Elles déterminent la frontière qui nous sépare à tout jamais d'une appréhension
correcte du réel !
Nous fonctionnons sans cesse dans les apparences et nous ne pouvons pas faire mieux. Mais cela ne veut
pas dire que nous ne devons pas constamment tendre vers une meilleure perception du réel.
Il est midi quand je quitte Diou, il fait déjà trop chaud.
À Montplaisir, peu après la sortie de Diou, une balise me fait penser à l'art naïf.
Elle indique de tourner à droite, mais son aspect est inhabituel.
Il fait une chaleur de plomb. En arrivant au moulin de la Cropte, j'ai l'impression de porter un sac de vingt kilos.
Je prends mon hôtesse au dépourvu. Elle prépare tout de suite ma chambre.
Je lui demande si je suis le seul pèlerin qui loge ici ce soir. Elle me parle d'un Anglais et d'une femme,
mais je ne suis pas certain qu'elle ait bien compris ma question.
Je prends une douche, je m'installe et je rédige mon carnet de bord.
Mon pied droit va mieux.
Je soupe tôt pour pouvoir me coucher tôt.
Je ne vois ni femme ni Anglais ; mon hôtesse parlait sans doute des derniers pèlerins qu'elle a hébergés.
Je prends un muscat avec mon hôte, nous parlons de tout et de rien.
La météo annonce des nuages au cours de la semaine et un risque de pluie le week-end.
Demain je partirai tôt. Le chemin coupe deux routes et le premier carrefour est aux Truges. Il fera jour avant.