La Loge-aux-Chèvres, 1er avril 2011
Aujourd'hui, comme hier, je coupe au court, mais ce n'est pas en vue de gagner des kilomètres.
Pour assurer l'hébergement et le ravitaillement, le GR passe par des villages, sur des routes bitumées
entre voitures et maisons. Je préfère passer le long du Lac Amance et par les bois.
Je ne résiste pas à l'envie de traverser la Forêt d'Orient de part en part en suivant la belle Route
forestière du Temple. Je serai dans la solitude tout au long de l'étape sauf à Radonvilliers.
Si je fais encore une randonnée, je trace mon itinéraire indépendamment des GR ! Après le coup des trente-quatre kilomètres d'hier et celui des villages d'aujourd'hui, je n'ai plus confiance.
Je quitte Brienne en contournant l'ancien château des Comtes, qui est devenu un centre de santé mentale.
La butte sur laquelle il est bâti semble artificielle dans la plate Champagne. En fait, elle est en partie naturelle et en partie artificielle.
En arrivant à la digue de Radonvilliers au bord du Lac Amance, je réalise que j'ai fait le bon choix.
Je m'arrête au bord du Lac Amance.
Je reste longtemps à me pénétrer de l'ambiance du lieu, de ce grand lac qui anticipe l'infini océanique de Fisterra.
Peu à peu je deviens le lac, le clapotis de l'eau me pénètre le corps, le lac est moi.
Au loin des oiseaux lancent des cris plaintifs. Je pourrais passer toute la journée
sur cette digue !
Mais un pèlerin n'est pas un ermite, l'ermite rumine et le pèlerin chemine, je reprends la route.
En contrebas de la digue, il y a les maisons de Chantemerle.
Peu après c'est l'enchantement de la Grande forêt d'Orient !
Je suis seul dans les bois, loin des bruits de la foule et des machines.
Je marche dans une grande allée bordée de fleurs, la Route forestière du Temple.
Je passe un excellent moment dans le calme de la forêt.
Les anémones et les primevères sont grandes ouvertes, le printemps est précoce. À droite c'est la Route forestière de Charlieu.
J'arrive tôt à la Loge-aux-Chèvres. Nulle part il n'y a moyen de s'asseoir. La petite église est fermée à clef. Je reviens sur mes pas jusqu'à la grand-route.
Peu avant la Loge-aux-Chèvres se trouvent une table et deux bancs en pierre.
Il est une heure, j'ai trois heures d'avance. Je suis en plein vent, j'ai froid et je mets ma polaire. Pas moyen de me reposer !
J'utilise le retardateur pour me prendre en photo.
À deux heures et demie, je vais à la chambre d'hôtes.
Je suis très bien accueilli par Gérard. Nicole, sa femme, tond la pelouse et s'occupe du jardin. Gérard
est un ancien tuyauteur soudeur d'origine parisienne. Il vient d'apprendre qu'il a un cancer du
poumon.
Ils parlent beaucoup et très vite. Quand je parviens à glisser un mot, ils réagissent au quart de tour et en tirent des conclusions personnelles qui me surprennent.
J'ai déjà rencontré cette manière de « communiquer » chez certains Parisiens. Ils parlent plus qu'ils n'écoutent, ils parlent vite et ils abusent des lieux communs et des idées reçues. Cette faconde me réduit au silence.
Gérard me parle de plein de choses. Il me conduit au lac d'Orient et me décrit sa mise en valeur. Il a la passion du rugby. Nicole et Gérard ont contribué à restaurer la petite église de la Loge-aux-Chèvres ainsi qu'un calvaire un peu plus haut.
Il est dommage qu'ils parlent tant. Ils m'enrichissent et ils m'enchantent, mais en ne prenant pas la peine d'écouter le pèlerin qui passe, ils perdent quelque chose.
J'évoque les problèmes de ravitaillement sur le chemin.
Ils me parlent d'un couple de pèlerins allemands qui n'avaient pas mangé depuis trois jours. Il faut dire
qu'il y a peu de commerces et qu'ils ne sont pas ouverts tous les jours. Et si on ajoute à cela le
problème de la langue !
Je fais un petit tour dans le village et je vais dormir à neuf heures et demie.
C'est trop tard ! Je dois m'organiser pour manger moins et dormir plus.
Une balance indique que j'ai quatre-vingt-un kilos, soit six de moins qu'au départ. Mais est-elle fiable ?