De l'aube à l'aurore - L'ermite et le pèlerin - La Besace (20 mars 2011)

Un monde à refaire

Cabo Fisterra

La Besace, 20 mars 2011

De nouveau je me lève trop tôt, je suis prêt à partir une heure avant le déjeuner. Je fais un petit tour dehors.

Aubigny-les-Pothées

L'herbe est couverte de gelée blanche.

Flaques gelées Les flaques sont gelées.

Domaine de la Faneraie Le soleil matinal projette l'ombre de la maison voisine sur le Domaine de la Faneraie. Derrière la voiture, une grande porte vitrée donne sur un vaste hall autour duquel se trouvent les chambres.

Flèche jaune Je cherche en vain la « rue Abzat », puis je suis les balises jaunes des Amis de Saint-Jacques. Après le pont de la rue du Moulin, j'aboutis à un carrefour en té.

Comme attendu il y a des balises à gauche, mais il y en a aussi à droite ! Serait-ce le nouvel itinéraire dont notre hôtesse nous a parlé hier soir ?

Une heure plus tard, au déjeuner, je lui en touche un mot. En fait, récemment, le responsable lui a dit que le balisage n'était pas fait, mais peut-être l'a-t-il déjà commencé.
Je décide d'emprunter ce nouvel itinéraire. Cela me fera une petite épreuve d'orientation d'autant plus stimulante que je n'ai ni carte ni guide. Si les balises s'arrêtent, je devrai chercher, ce qui m'amuse. J'ai un demi siècle d'orientation derrière moi.

Mes compagnons hollandais comptent prendre la grand-route. Sur les chemins Willy pose trop de problèmes. Je connais cette grand-route, les voitures y roulent très vite. Mais mes compagnons ne sont guère inquiets, ils me disent que c'est dimanche et qu'il y aura peu de circulation.

Je pars à huit heures et demie. Mon épreuve d'orientation tourne court, car il y a suffisamment de balises pour s'en sortir sans aide. Cela reste quand même amusant parce que pendant huit kilomètres, je suis en dehors de la carte. Si le balisage s'arrête, je devrai me baser sur ma montre et la position du soleil.
Il fait à la fois beau et froid, preuve que l'expression « il fait beau et chaud » n'est nullement un pléonasme.

Après quatre kilomètres je constate que j'ai oublié ma bouteille d'eau à la chambre d'hôtes. Au premier village, qui s'appelle « Marlemont » si j'en crois un panneau rencontré en cours de route, je décide de demander de l'eau.

Comme c'est dimanche, je crains que tout soit fermé. Par une chance incroyable, la mairie est ouverte. J'entre. Il y a là un bureau présidé par des gens sérieux avec des enveloppes devant eux.
Il me faut un moment pour comprendre qu'il s'agit des élections cantonales.
Ils me confirment que je suis bien à Marlemont et ils m'indiquent comment aller à Signy-l'Abbaye. En fait la grand-route n'est pas loin. Par contre ils n'ont pas accès à l'eau de la mairie.

À la sortie du village, je vois un monsieur sur le seuil de sa porte et je lui demande de l'eau. Il m'offre une grande bouteille d'eau fraîche et je le remercie. Je suis sauvé.
Pour rencontrer des gens sympas, je dois être capable d'oublier ma bouteille d'eau de temps à autre, ce qui n'est pas trop dur.

Les balises jaunes me mènent à un lieu-dit appelé la « Guinguette », puis au hameau de la Saboterie. Je traverse un fond marécageux. C'est peut-être ici que mon hôtesse a aidé à débroussailler.

Je pensais qu'après la Saboterie, le chemin irait vers le sud (Noirval, Fosse à Vaux, Librecy et Signy). Ce qui me tracasse, c'est qu'il s'oriente nettement à l'ouest.
Je débouche sur une grand-route, qui ne peut être que la départementale 27.
Les flèches jaunes me disent de la traverser alors que devant moi se trouve la Forêt domaniale de Signy, ce qu'un panneau me confirme en m'apprenant que je suis sur la Route forestière de la Grande terre. En fait, cet itinéraire court-circuite Signy-l'Abbaye.
Il en résulte que je suis bien trop tôt. Il est dix heures et la Besace est à huit kilomètres d'ici. Je décide d'aller passer un bon moment à l'étang de la Héronnière.

Je prends la Route forestière de la Vierge et je passe devant la Maison forestière Saint-Hubert.

Chemin inondé

J'emprunte un petit sentier humide, très accidenté et par endroits inondé. Il me conduit à l'étang en passant par les bois.

Comme la terre est glissante, je progresse lentement. L'endroit est sauvage et agréable à souhait. Je ne me lasse jamais de ces petits chemins en forêt.

Pont en bois Je traverse un joli pont en bois et j'arrive à l'étang de la Héronnière.

Étang de la Héronnière L'endroit est paisible à souhait. Il fait étonnamment doux pour le mois de mars, même si le vent reste un peu froid.

Je m'assieds à une table de pique-nique.

Le calme du lieu me fait penser à la « doulce France », elle mérite bien son nom ici et maintenant.

Il est onze heures et demie. Il me reste soit quatre kilomètres par la voie directe soit six et demi par les petits sentiers. Or j'ai rendez-vous à quatre heures. Cela me fait deux à trois heures d'avance.

Je pense à mes compagnons hollandais qui poussent leur charrette en suivant les axes routiers, entre voitures, coups de klaxon et gaz d'échappement. J'ai un peu peur pour eux, car je sais à quel point les voitures roulent vite sur la départementale 985.
Après Signy-l'Abbaye, je présume qu'ils passeront par la Forêt domaniale de Signy. Ils peuvent difficilement arriver à l'étang avant une heure de l'après-midi. Si j'attends assez longtemps, je les verrai peut-être.

Je mange puis je me laisse gagner par la quiétude du lieu. À une heure j'irai par les petits sentiers pour m'amuser un peu. De cette manière je suivrai fidèlement le GR 654 – GR 12.

Plus une « vérité » semble l'emporter sur les autres, plus elle suscite d'enthousiasme parmi ses fidèles. La joie du croyant est de même nature que celle du supporteur de l'équipe de football gagnante : « On a gagné, on est les champions. »
C'est pour cela qu'il y a bien plus de diseurs de vérités que de penseurs de vérités. Ceux-là privilégient les formules qui font mouche et les campagnes publicitaires. Même le pape et le Vatican s'y sont mis, mais plus tard que les autres.

Je ne critique pas, c'est profondément humain. Mais nous devrions nous méfier de ces fameuses vérités auxquelles nous aliénons une part de nous-mêmes pour pouvoir communier au sentiment de puissance qu'elles suscitent en s'imposant.
Les grands mouvements de foule engendrent le même type d'enthousiasme, qu'il s'agisse de paix et de démocratie ou de guerre et de dictature. L'aliénation au sentiment dominant est toujours suspecte et la méfiance à l'égard des travers de l'espèce humaine est de rigueur.

Sente dans la forêt de Signy

À une heure, mes compagnons hollandais ne sont toujours pas en vue. Je me lève et j'emprunte la sente entre les arbres.

C'est un vrai petit sentier ardennais avec ses gués, ses ronces, sa boue, ses raidillons et j'en passe. Je m'amuse bien.

J'aime marcher. Après quelques heures, une joie profonde me prend, une sensation de plénitude s'empare de moi. J'ai envie de crier, de danser, de chanter. Mais je ne le fais que quand je suis certain d'être seul.
J'ai longtemps cru que je devais cette euphorie à une amélioration de ma circulation sanguine, mais depuis j'ai appris que la marche favorise la production d'endorphine, une substance proche de la morphine.

J'ai du mal à traverser un petit gué situé dans un creux. Je ramasse un bâton qui m'aidera à franchir les passages difficiles.

Ici c'est déjà la saison des primevères, il y a du jaune tendre partout. Même l'ail des ours commence à sentir. La saison a presque un mois d'avance.

Le chemin est très bien balisé par les signes rouges et blancs du GR.

Passerelle

Je traverse une petite passerelle...

Source pétrifiante ...et j'arrive à la source pétrifiante.

Quand l'eau sort de terre, elle dépose une partie de son calcaire et forme ainsi une pierre qu'on appelle du tuf calcaire.

Bâton de marche Peu après, je retrouve la Route forestière de la Grande terre. J'abandonne mon bâton à la fin du sentier.

Un demi kilomètre après la Maison forestière des Quatre frères, j'ai le choix entre le GR qui passe par un réservoir et l'itinéraire balisé par les Amis de Saint-Jacques.
Comme le GR me semble ignoble – boueux, raviné à souhait et plein de ronces – , j'emprunte le chemin des Amis de Saint-Jacques.

En fait il est aussi ignoble que le GR. Rapidement mes chaussures deviennent des mottes de boue. Je déchire mon pantalon et je me blesse à une ronce.

Je me demande comment mes compagnons vont pouvoir passer. Ce sont les deux seuls chemins qui permettent d'aller d'ici à la Besace et Willy ne sait passer dans aucun d'eux. Le baliseur doit être une espèce de sadique.

À la Crottière, il y a une table avec deux bancs. Je passe trois quarts d'heure à redonner un aspect de chaussures aux grosses mottes qui m'entourent les pieds.
Crotté comme je suis, je trouve que le hameau porte bien son nom.

Je vais à mon aise vers la Besace.
À trois heures un quart, je suis à cinquante mètres de la chambre d'hôtes, trois quarts d'heure avant l'heure convenue. Je m'assieds sur un banc, j'envoie un message de bonne arrivée sur ma balise, je la coupe et j'attends.

Peu avant quatre heures, une voiture s'arrête à ma hauteur. C'est madame Carpentier, mon hôtesse, qui va voter pour les élections cantonales. Elle tient à d'abord m'accueillir dans ses chambres d'hôtes.
Mes compagnons sont arrivés il y a deux heures. Je leur demande s'ils sont passés par la forêt de Signy. Ils me disent qu'ils ont suivi les grand-routes et qu'ils comptent continuer de cette manière jusqu'à Santiago.

Je vois un échiquier. Cela me rappelle des souvenirs. De 2000 à 2009 j'ai joué aux échecs. J'ai commencé à cinquante et un ans et je n'ai jamais bien joué. Je bouge quelques pièces pour le plaisir.

Nous mangeons un excellent repas avec vins et apéritifs.

De plus en plus je m'éloigne de ce que j'aurais voulu faire : marcher, méditer et faire preuve de frugalité. La marche se réduit à peu de chose. J'ai peu de temps pour méditer. Quant à la frugalité...
Le pèlerin chemine, l'ermite rumine. Ce que j'aime, c'est ruminer. J'aurais dû me faire ermite.

Je demande à mon hôtesse si elle a le topoguide du chemin, car mes compagnons semblent avoir des informations fort anciennes. Elle le prête aux pèlerins hollandais, qui sont tout heureux, car cela leur permet de préparer leur itinéraire pour Reims en passant par les grand-routes.
Je leur conseille d'aller à la cathédrale de Reims pour rencontrer les Amis de Saint-Jacques et préparer avec eux l'itinéraire de Reims à Vézelay.