Aubigny-les-Pothées, 19 mars 2011
Il est cinq heures du matin. Je me lève, tout le monde dort. Adriana et Gerhardt récupèrent et notre hôtesse n'est pas une adepte des heures matutinales. Je rédige mon carnet de bord et je me recouche jusqu'à sept heures.
Je descends à huit heures moins le quart. Notre hôtesse a préparé le déjeuner hier soir.
Personne n'est levé. Je sors faire un tour. Il a plu pendant la nuit. Comme il y a de la brume dans la
ville, il y aura probablement du brouillard dans la campagne. Il fait humide et frisquet.
Je reviens dans la chambre d'hôtes, je m'assieds à la table du déjeuner et j'écris.
Nous partons peu après neuf heures. Comme nous sortons de la ville il fait plus froid. Je mets ma
polaire. Mes compagnons hollandais filent comme le vent, j'ai bien du mal à les suivre.
Nous suivons l'itinéraire des Amis de Saint-Jacques de Reims et de Rocroi. Tout le long du chemin, il y a
des flèches jaunes, certaines sont accompagnées d'un petit pecten jaune sur fond bleu.
À Sévigny-la-Forêt mes compagnons, qui sont loin devant moi, hésitent sur le chemin à prendre alors
qu'à gauche il y a des flèches jaunes et à droite une croix jaune.
Je me rapproche d'eux et je leur crie de suivre les « gele pijlen » (flèches jaunes). Ils me remercient
et repartent encore plus vite.
Pour ma part je n'ai pas envie de « tracer », je préfère flâner. Le temps est moins désagréable qu'hier
et je veux en profiter.
Une grande allée bien droite, fière et fraîche, encadrée par de grands arbres traverse la forêt domaniale des Pothées.
Les jonquilles tapissent les bords du chemin, annonçant un printemps précoce.
Je marche seul. Je me dis que je reverrai mes compagnons à l'étape. Je n'ai ni leur force ni leur entraînement. Ils sont partis plusieurs jours avant moi et ils font de longues étapes.
Sur une hauteur je vois le village rural de Chilly. Comme son nom l'indique, il y fait frais (« chilly » en anglais).
J'ai la surprise d'y trouver une « rue Jésus Christ », un nom assez rare pour une rue.
À la sortie de Laval-Morency, je vois mes compagnons grimper la côte qui mène à l'Échelle. Ils ont dû
faire une longue halte à midi.
Ils progressent moins vite qu'au début et je les rejoins à l'Échelle. Ils hésitent sur le chemin à prendre.
Je leur dis de me suivre, mais ils continuent à examiner leur carte.
À la sortie du village, je quitte le bitume pour un chemin de terre. La boue est glissante. Je regarde mes compagnons de loin. Ils sont fort chargés et les roues de Willy freinent dans l'argile. Heureusement, un kilomètre plus loin, on accède à une route bitumée.
Aubigny-les-Pothées n'est plus qu'à trois kilomètres. Je situe les chambres d'hôtes et je reviens vers eux. Je ne tarde pas à les rencontrer et nous arrivons ensemble.
Notre hôtesse est au courant de leur nuit passée en forêt. Elle est convaincue qu'ils se sont perdus
à cause de la mauvaise qualité du balisage en Belgique. Je lui dis ce qu'ils m'ont dit et répété,
à savoir qu'il faisait sombre et qu'ils n'ont pas vu la balise.
Sur la photo, je lui montre le panneau avec la balise. Mais elle ne démord pas de l'opinion que tout cela
est dû au mauvais balisage en Belgique. Elle ajoute que des Hollandais se sont perdus l'année passée
à cause du balisage. Sa conviction est faite.
C'est de cette manière que se répandent des milliards d'opinions erronées de par le
monde.
Elles forment le soubassement des convictions des êtres humains, un mélange de fausses rumeurs
artificiellement maintenues en vie par un amour-propre mal placé : ce que tant de personnes disent
et / ou ce que j'ai dit à tant de personnes, je ne veux pas (ou je ne peux pas) admettre que cela
pourrait ne pas être vrai.
Je fais un tour dans le village au cours duquel je cherche l'amorce du chemin à prendre demain. Le guide parle d'une « rue Abzat » que je ne vois nulle part. Par contre je trouve la rue du Tapecul sur laquelle passe le chemin.
Le souper est impérial, abondant et copieusement arrosé.
Nous parlons beaucoup. Je demande à mon hôtesse où se trouve la « rue Abzat ». Elle me dit qu'elle ne
connaît pas de rue portant ce nom à Aubigny.
Notre hôtesse connaît bien les Amis de Saint-Jacques de Reims et de Rocroi. Il y a peu, elle les a aidés
à débroussailler un nouvel itinéraire pour aller plus rapidement d'ici à Signy-l'Abbaye, mais il n'est
pas encore balisé.
Le repas se termine tard.
Je dois absolument changer de système, car je me fatigue trop, je prends du poids et je suis tout sauf
un pèlerin frugal. Il faut en revenir à la frugalité, qui est ce qui me convient le mieux.
Heureusement je n'ai plus qu'une demi-pension dans mes réservations, celle de la Besace, après quoi j'en
reviendrai à mon pèlerinage tel que je l'avais imaginé, sobre, frugal et simple.