Thézac, 18 mai 2011
Au déjeuner, je confie quelques ruminations à mon hôtesse, notamment à propos de la
pensée scientifique. Elle me répond de manière intelligente.
Enfin quelqu'un qui non seulement écoute mes ruminations mais sait en parler avec pertinence ! Je tombe
des nues. Et quand je parle de Kuhn, elle le connaît !
Elle m'explique qu'en fait son mari, un artiste, Ed Herring, était très intéressé par
ces questions, notamment par les travaux de Thomas Kuhn.
Je suis déçu de devoir partir, car j'ai envie de lui parler de Popper, de Wittgenstein et de bien
d'autres philosophes. Mais c'est l'ermite qui rumine ; le pèlerin, lui, chemine.
Mon hôtesse aimerait signaler aux auteurs du guide l'ambiguïté de leur commentaire sur la localisation de sa chambre d'hôtes. Je n'ai que les pages utiles pour mon trajet. Je lui dis que si je trouve les références, je les lui communiquerai.
Je pars à sept heures et demie. Si Robert a dormi au camping de la Thèze, il est parti trois kilomètres
avant Montcabrier, mais aussi bien plus tôt. Il devrait donc être devant moi. J'ai donc de bonnes
chances de le rattraper.
Mais j'ai beau forcer le pas, pas de Robert en vue !
Le GR 652 et le GR 36 ont un kilomètre en commun. Mais à leur point de rencontre, une voiture cache
la balise cruciale. La seule balise visible est celle du GR 36 vers Bonaguil.
La direction ne me plaît pas, car je sais que je dois suivre la vallée de la Thèze. Je contourne la
voiture et je vois la balise du croisement des GR.
Mais gare à celui qui n'a pas le sens de l'orientation !
Il n'y a pas de magasin d'alimentation à Touzac. Au bar, on me vend une baguette, c'est mieux que rien. Il n'y a pas de point d'eau non plus. C'est un peu la galère.
Le chemin monte doucement et longtemps jusqu'à Pechaussou. Heureusement il y a de l'ombre.
À l'église de Cabanac, j'ai une pensée pour ma tante qui a vécu la fin de sa vie à Lacapelle-Cabanac, non loin d'ici.
Cette église, perdue en plein champ, désertée par ses fidèles, serait-elle une métaphore de l'Église avec ses monuments grandioses vides de fidèles et remplis de touristes ?
La chaleur se fait sentir. Les fortes montées sont pour la fin de l'étape !
Il n'y a ni bar ni fontaine aux coupoles astronomiques. Elles ne sont d'ailleurs ouvertes que le vendredi à neuf heures du soir. C'est vraiment le bled ici, et je risque de manquer d'eau.
Les descentes et les montées me mènent à l'entrée de Lansac. Je rate une balise et je traverse le village. J'arrive sur la route qui mène à Tournier. Je ne veux pas revenir sur mes pas.
En allant à droite vers Tournier puis vers l'ouest je devrais retrouver le GR, mais j'ignore la
qualité du chemin.
J'examine le lieu et je trouve une alternative : prendre à gauche ! La route semble horizontale
jusqu'à Thézac, ce qui m'épargnera la montée de Reillou.
Au pire cela me fera un kilomètre de plus. Et je trouverai peut-être de l'eau à Thézac.
J'essaie, et cela marche comme sur des roulettes.
Je ne tarde pas à arriver à l'église de Thézac.
Le village me déplaît, il est trop poli pour être honnête. C'est un village tellement ripoliné
qu'il ne semble habité que par des rupins obsédés par la crainte des voleurs.
En plus, tous les robinets que je rencontre sont « eau non potable ». Enfin il n'y a ni service ni
commerce. Il n'y a d'ailleurs personne dans les rues.
Pour trouver le lieu-dit « Castelfred », je rejoins le GR à Reillou et je l'emprunte. Peu après Miret, je vois le panneau Castelfred. Il n'y a qu'une maison, ce sera celle de mon hôte.
Je suis reçu comme un roi par un ancien pèlerin qui est ravi de m'héberger. Nous parlons du chemin et
des voies de Compostelle.
Il me montre mon logement, un mobil-home bien plus vaste et confortable que celui de Bert. Je suis aux
anges.
Je lui parle de la moustache de Robert ; il me dit qu'il ne l'a pas vu passer.
Je lui demande les références du guide pour mon hôtesse de Montcabrier ; il me les donne et je les note.
Je bois un thé, je m'installe, je prends une douche et je rédige mon carnet de bord.
Je me réveille à cinq heures et demie. Je vais à la rencontre de mon hôte.
Il vient de voir Robert passer. Mon compagnon est épuisé, il a réservé à Tournon-d'Agenais, quatre kilomètres plus loin. Mon hôte l'a invité à loger à Castelfred, mais Robert a préféré continuer.
Hier il est allé à Montcabrier avant d'apprendre que son gîte était sept kilomètres avant le village.
Son hôte est venu le chercher en voiture.
Ce matin, il lui a proposé de l'accompagner jusqu'à Montcabrier. Robert croyait qu'il allait le ramener
en voiture, mais son hôte l'a accompagné à pied, ce qui fait que Robert aura fait onze kilomètres
de plus que moi aujourd'hui.
Je fais tamponner ma crédenciale et je prépare mon donativo. Mon hôte m'a laissé un petit carton pour que je lui laisse mes coordonnées avec éventuellement un petit mot.
Je suis très content. Il est très accueillant, très enthousiaste et très encourageant.
Je l'ajoute à ma liste d'adresses. Cette liste reprend les personnes à qui j'enverrai une carte postale
quand je serai à Fisterra. J'en ai une petite cinquantaine pour le moment.