De l'aube à l'aurore - L'ermite et le pèlerin - Lacapelle-Marival (12 mai 2011)

Un monde à refaire

Cabo Fisterra

Lacapelle-Marival, 12 mai 2011

Très tôt Gaby se lève et réveille ceux qui dorment, ce qui énerve pas mal de gens.
À six heures je sors de l'étuve, je me lave et je fais mon sac d'autant plus discrètement que je ne veux pas encourir de critiques. Je sors du gîte et je m'assieds.
Ouf ! Enfin de la fraîcheur ! Cela fait du bien.

Des nuages sombres et menaçants couvrent le ciel.
Pour éviter la chaleur, Gaby est parti à six heures un quart. L'ironie serait qu'il se mît à pleuvoir et que Gaby aurait réveillé des personnes pour rien.

Christian et moi allons déjeuner à l'heure fixée par le patron, sept heures un quart. Nous constatons que pas mal de pèlerins sont allés plus tôt et ont contraint le patron à ouvrir son établissement plus tôt.

Christian a décidé de marcher plus lentement aujourd'hui. Il s'est trouvé deux compagnons de route qui sont plus « à sa vitesse » que Gaby.
Il a aussi une épine osseuse au talon qui lui fait mal, ce qui l'incite à écourter ses étapes. Il envisage même d'interrompre son pèlerinage.

Nous prenons des chemins différents. Il va vers Cahors, je fais le détour par Rocamadour, ce qui me fait trois jours de marche en plus. Comme Christian avance bien, il y a peu de chances que nous nous revoyions.

Et c'est ainsi que je quitte les pèlerins qui m'ont accompagné depuis le Puy-en-Velay.

Je vais marcher seul pendant quelques jours.
Cela ne m'attriste pas. Quand je marche seul, je me plonge dans mes ruminations d'ermite. Et celles-ci me manquent depuis le Puy-en-Velay. Je me fais même une joie de retrouver mes sensations d'avant le Puy.

Mes pieds sont sensibles. Aujourd'hui je tiens à les épargner d'autant qu'il y a beaucoup d'asphalte. En plus, cela monte bien jusqu'à Cardaillac.

À la sortie de Figeac, je rencontre Robert, le « faux gendarme ». C'est en le voyant que je me rappelle qu'il m'a dit que lui aussi faisait le détour par Rocamadour.

À propos de Robert, il y a une sombre histoire de location dans un camping de Conques. Il estimait que les emplacements du camping étaient trop grands pour sa petite tente et il a voulu payer demi-tarif. Il a dit au gérant qu'il attendait un ami et que celui-ci compléterait la location.
Quand le gérant a constaté qu'il n'y avait pas d'ami, il a exigé le prix plein. Cela a dégénéré en altercation et a débouché sur un petit scandale. Finalement le gérant l'a chassé sans lui rendre son argent. Le gérant était furieux et Robert aussi.

Je pense à l'énervement de Gaby hier après-midi parce qu'il a dû attendre avant de pouvoir entrer dans le gîte. Je crois que nous sommes tous fatigués et que nous nous irritons pour un rien.

Plusieurs pèlerins pensent que Robert a eu tort de vouloir arnaquer le gérant du camping et ils évitent de le fréquenter. Pour ma part, je vois les choses différemment. Une histoire est une histoire, mais une personne est une personne.
Je n'ai pas à m'ériger en juge sur cette histoire de camping ni à faire dépendre mes relations d'un jugement moral. Robert est un compagnon, pas toujours facile il est vrai, mais c'est un compagnon. L'idée de réduire une personne à l'état de coupable ou d'innocent m'est étrangère.

J'ai passé des années de ma vie à tenter de sortir de la logique judéo-chrétienne de la faute et du péché, qui empoisonne nos sociétés au moins autant sinon plus que les délires financiers. Quoique !
Dans notre société moralisante, chacun se veut sans tache, se prétend pécheur tout en pensant que d'autres le sont plus que lui.

Il en résulte une société de gens qui ne supportent pas les critiques, mais sont toujours prêts à s'accuser spontanément, qui consacrent beaucoup d'énergie à trouver des fautes chez les autres et qui croient résoudre un problème en désignant un coupable.
Accuser une entreprise, un ministre ou un architecte de l'effondrement d'un bâtiment n'a jamais permis de le reconstruire ! Et c'est ainsi qu'on dépense bien plus d'argent et d'énergie à juger un prévenu qu'à indemniser une victime !

Robert me dit qu'il va me suivre. Cela ne m'arrange pas, car j'étais content de retrouver ma solitude. En outre, comme son sac est lourd et qu'il marche plus lentement que moi, je doute qu'il puisse me suivre si je marche à mon rythme.
Je lui dis que j'ai l'intention de marcher à ma vitesse habituelle. Il me répond que c'est précisément cela qu'il veut. C'est seulement à ce moment que je réalise qu'il veut s'accrocher à moi pour aller plus vite.
J'ai envie de lui dire que ce n'est pas une bonne idée, mais je me dis qu'il s'en rendra compte lui-même. Je prends mon rythme de marche habituel. Très vite il abandonne en prétextant qu'il a besoin de faire une halte.

Je me retrouve seul. La vallée est calme et agréable, en pleine nature.
Je me lasse vite des représentants de l'espèce humaine. Peut-être en sais-je trop à propos de nous en tant qu'espèce ? J'ai si souvent envie de crier que tout cela est humain, beaucoup trop humain !

La vallée du ruisseau de Planioles Je longe la jolie vallée du ruisseau de Planioles.

La photo est prise peu après Laubard.

La montée vers Doulans se révèle dure. Je plains Robert avec son gros sac à dos. Le soleil joue entre les nuages, il fait meilleur que ce matin. Finalement Gaby a peut-être eu raison de partir tôt.

J'arrive à Cardaillac. Mes pieds sont sensibles. Ils ne font pas mal, mais ils sont comme durcis. J'évite de marcher sur le bitume.

Je ne suis pas très éveillé suite à ma mauvaise nuit. J'achète un coca et des petits-beurre. Je ne trouve pas de fontaine. Je m'assieds et je mange. Ma bouteille d'eau est presque vide.

Je me rappelle que je comptais acheter de l'eau si je ne trouvais pas de fontaine. J'ai oublié de le faire. J'imagine que je trouverai de l'eau à Saint-Bressou, dans quatre kilomètres.

Je téléphone encore une fois à la mairie de Thézac pour réserver un hébergement : je tombe de nouveau sur un fax, la mairie est toujours fermée.

Le fort de Cardaillac Plus haut, sur un promontoire, j'arrive à l'entrée du cœur médiéval du village, le fort de Cardaillac.

Je me trouve devant un bar, je cherche une balise et je n'en trouve pas. Je ne vois même pas par où le chemin pourrait continuer.
Devant mon air égaré, un monsieur me demande si je cherche le GR et sur ma réponse positive, il m'indique deux balises à droite, plus qu'évidentes. Je le remercie.

Décidément cela ne va plus.
En plus je repars sans remplir ma bouteille d'eau au bar. C'est bien plus bas que j'y pense.

Je suis surfatigué, je dors en marchant.
Et dire que je descends un si joli chemin dans un décor agréable.

Un peu plus loin, le chemin est barré par des travaux de remise en état. Un ouvrier m'indique par où il faut passer. Il me dit qu'un groupe de six marcheurs est devant moi, ils sont passés il y a une demi-heure.
Il s'agit peut-être de pèlerins qui ont décidé, eux aussi, de passer par Rocamadour. Mais une demi-heure, c'est trop long pour pouvoir espérer les rejoindre.

Ce que je voudrais, c'est trouver l'ancien tracé du GR 6, qui évite le plan d'eau des Sagnes et va directement vers la Grave. Je repère un sentier qui semble y correspondre, mais je ne vois aucune balise.
Cela me semble risqué. Je décide de suivre les balises officielles et j'arrive à l'étang.

Nénuphars en fleur sur le plan d'eau des Sagnes

Les nénuphars sont en fleur sur le plan d'eau des Sagnes.

L'endroit est calme et agréable.
Finalement j'ai bien fait de passer par ici.

De l'autre côté de l'étang un marcheur disparaît dans un chemin. Au juger il me semble que c'est la suite du GR. S'agirait-il du groupe de personnes dont l'ouvrier m'a parlé ? Ils ont peut-être fait une longue halte à l'étang.

Je ne tarde pas à les rejoindre. Nous échangeons. Ils font quelques étapes d'environ quinze kilomètres. Nous parlons du camino et de Compostelle.

Au sommet de la côte, l'itinéraire du GR 6 est modifié. Il faut aller à gauche, pas à droite. Et il faut encore monter ! Je ne sais pas où je me trouve ni où je vais. Les localités que je traverse ne se trouvent pas sur la carte du miam miam dodo : Espinadet, Lauzou.

Le chemin monte sans cesse. Mon peu d'eau s'épuise. Le soleil est de retour, il fait très chaud. J'arrive au Pech de Rabanel. Rabanel est sur ma carte, mais pas le Pech. Je dois avoir fait plus de quatre kilomètres, peut-être six ou sept, et je ne suis toujours pas à Saint-Bressou.

Le concepteur du GR me balade dans une jolie campagne, mais cela ne m'arrange pas. Il semble apprécier les montées, mais celles-ci sont « tuantes » à cause de la chaleur.

Et soudain j'arrive à Saint-Bressou !
C'est une surprise. Je ne pensais pas en être si proche.
Mais c'est un regret aussi, car l'ancien tracé passait par le hameau d'Arles, ce qui m'aurait permis de raconter que j'avais fait le détour par la « voie d'Arles ». Juste pour rire un peu !

Je ne vois pas de fontaine à Saint-Bressou.
Et la fatigue aidant, je n'ai pas envie de sonner à une porte pour demander de l'eau comme je l'ai fait à Marlemont et à la Clauze. Je râle sur la bêtise que j'ai commise à Cardaillac.
Et sur toutes mes autres bêtises aussi ! En me privant d'eau je veux me punir.

Je poursuis ma route vers Lacapelle-Marival qui se trouve à six kilomètres d'ici. J'ai l'intention de me désaltérer au premier bar que je verrai. La dénivelée cumulée est de cent mètres, mais cela me semble être le double !
Cette fois, mon chemin est celui du miam-miam dodo. J'avance au train avec le sentiment diffus que j'ai trop monté et que le chemin ne peut plus que descendre. En fait de descente, c'est une dégringolade.
Mais cette fois j'approche du but.

Il est temps, car de gros nuages noirs bourgeonnent au-dessus de moi.

Un kilomètre et demi avant Lacapelle-Marival, le GR ne rejoint pas la départementale 15, mais emprunte un chemin qui passe par « le Lac », près d'un camping.

J'arrive à Lacapelle-Marival.

Le château de Lacapelle-Marival Le château se trouve à l'entrée du village.

Je suis fatigué et assoiffé. Je me force à marcher jusqu'à l'Office du Tourisme. Il est fermé jusqu'à deux heures.
Je vais à l'hôtel qui m'héberge. Je commande le plat du jour, qui me goûte bien.

À deux heures, je laisse mon sac à dos dans ma chambre et je retourne à l'Office du Tourisme pour obtenir une réservation à Thézac. Comme j'arrive, il se met à pleuvoir. L'employée me fait entrer.

Elle me dit que Thézac est en Lot-et-Garonne alors que Lacapelle-Marival est dans le Lot. Par conséquent elle n'a guère d'informations. Mais elle est très serviable et elle parvient à toucher la mairie de Thézac.
Elle me la passe et je peux enfin réserver à Thézac.
Hier et ce matin, la mairie était fermée. Ils ne savent pas encore comment ils vont me loger, mais ils me promettent de trouver une solution et de me tenir au courant.

Quand je sors de l'office, il pleut encore, une fine pluie qui ne semble pas vouloir cesser.
Je rentre à l'hôtel.

À trois heures et demie, un violent orage éclate et déverse des trombes d'eau. J'espère que Robert est arrivé.
C'est quasi certain, car on ne prend pas deux heures de retard sans motifs graves. Il sera sans doute allé au camping du Lac. J'espère qu'il ne compte pas loger sous tente. Il y a des bungalows au camping.

Je ne sais pas non plus si mes compagnons qui vont vers Carjarc et Cahors sont concernés par cet orage.

Lacapelle-Marival, c'est la moitié de mon périple. Ce qu'il me reste à faire est moindre que ce que j'ai fait, mais cela ne signifie pas que ce sera la partie la moins intéressante. Je m'attends à encore beaucoup de bonnes surprises.

Je ne mange pas, le repos compte plus que le repas.

Au cours de la nuit je sens la fatigue des jambes et la sensibilité des pieds. Demain je marcherai lentement et j'éviterai le bitume.