Vorey, 29 avril 2011
Je pars à sept heures moins vingt.
Je reviens à Retournac par le chemin qui surplombe la Loire et la longe ensuite.
Après Retournac, je respecte scrupuleusement le tracé du GR au lieu de longer la Loire comme mon instinct de marcheur me le serine à tue-tête. Je me dis que je peux me le permettre, car l'étape est courte, à peine vingt-cinq kilomètres.
Le chemin vers Ventressac est un affreux boyau rempli de pierres et de cailloux. La descente après Chantegrail est encore pire. Il y a de quoi se rompre les os à chaque pas : roches lisses, cailloux en surnombre, eau courante, boue glissante, ravine très profonde, descente très raide.
Cette fois, j'en ai la certitude, mon baliseur sadique est devenu fou.
Quand j'arrive à la grand-route qui longe la Loire, j'ai le sentiment d'être un rescapé. Je vais m'asseoir à l'aire de repos toute proche et je tente de reprendre ma respiration et de calmer mes battements cardiaques.
J'ai vraiment eu la trouille. À chaque pas, j'ai eu peur de me casser la figure. C'était vraiment
trop dangereux.
Je décide de ne plus faire confiance aux concepteurs du GR 3 et d'emprunter les routes macadamisées
chaque fois que le GR me semble trop risqué.
J'ai mis une heure quarante minutes pour faire trois kilomètres, ce qui me fait une vitesse moyenne
de 1,8 kilomètre par heure. Si je continue à cette vitesse, je n'arriverai pas à l'étape avant la
nuit.
Et si le chemin reste aussi mauvais, je risque de ne pas arriver du tout.
Je réexamine mon itinéraire, je rédige mon carnet de bord, j'attends d'avoir complètement recouvré mon calme avant de repartir.
En face de moi, en contrehaut de l'autre rive de la Loire, je vois le château d'Artias.
Je traverse Ventressac par la route des Blaches, en évitant la hauteur par où passe le GR. Cela me fait gagner deux cents mètres, mais surtout cela me permet de réduire les risques.
À Viaspre la montée est très raide.
Je reste sur le GR 3 jusqu'à la deuxième traversée de la départementale 35.
C'est une rude montée qui aboutit à un amas de rochers déposés par la voirie. Je le contourne et
j'emprunte la route bitumée à gauche.
Je me méfie des chemins de mon baliseur fou. Le GR passe par Tarrier et le Bois, un chemin qui ne me
dit rien qui vaille.
Ce raccourci me fait gagner un bon kilomètre, mais surtout c'est de l'asphalte et il n'y a quasi pas de circulation routière, c'est rural et agréable.
J'emprunte à nouveau le GR 3 à Prassalat. C'est un chemin raide et pierreux qui monte à la Roche-en-Régnier, où je fais une halte.
Au-dessus de moi se dresse le donjon de la Roche-en-Régnier, avec des restes de remparts.
Je ressens un excès de fatigue ; en fait je paie les efforts d'hier, je n'ai pas vraiment récupéré.
Ce qu'il me reste à faire est une longue descente. J'ai hâte d'en finir.
Il est midi moins vingt. Si j'arrive assez tôt à Vorey, je pourrai dîner dans un snack.
La descente est bonne jusqu'à un petit chemin qui dévale sur les Rouplats.
Je me méfie de mon baliseur fou et je décide de descendre par la route. Même si elle fait un ou deux
kilomètres de plus, j'irai plus vite qu'en tentant de passer sur des éboulis.
Je marche rapidement. Les quelques voitures que je rencontre, ne me gênent pas. Par contre, la route qui suit la Loire, la départementale 103, est très fréquentée et dangereuse.
Je retrouve le GR 3 peu avant Vorey. Je suis littéralement crevé. J'avance en me répétant sans cesse que le but est proche.
Comme j'arrive au bord de la Loire, juste après le Fort, la pluie se met à tomber. C'est une averse mouillante suivie d'une pluie continue.
L'étiage de la Loire est très bas. Le manque d'eau est manifeste et la pluie est bienvenue.
J'en ai marre de ce pèlerinage. Je me demande ce que je fous à marcher ainsi comme
un taré tous les jours. Je serais bien mieux au sec chez moi en train de mettre mes ruminations
par écrit.
J'ai une âme d'ermite, pas une âme de pèlerin.
Je me dis que je pourrais aller jusqu'au Puy-en-Velay et rentrer chez moi en train. Je ferai le reste du pèlerinage une autre fois.
Cela dit, ce serait le comble de l'ironie de m'arrêter au Puy alors que c'est le chemin après le Puy qui m'intéresse le plus.
Je traverse Vorey et j'arrive à l'hôtel-restaurant des Rives de l'Arzon, spécialisé en cuisses de grenouille – France oblige. C'est le gérant de l'hôtel qui a les clefs du gîte municipal.
Je commande le plat du jour pour ne pas devoir faire des courses et devoir cuisiner. Je suis trop
fatigué.
Le patron m'offre une cuisse de grenouille. Je suis vanné et je n'ai pas du tout envie de la manger,
ce qui crée un froid.
Le patron me demande neuf euros pour le gîte au lieu des huit prévus, sans doute une augmentation.
Mon guide date d'il y a deux ans.
La pluie ne cesse pas de s'intensifier. Je mets du temps à trouver le gîte parce que le patron
m'a donné des indications plus que sommaires : « Tout droit devant la mairie puis monter. »
En fait, il faut tourner à gauche avant la poste, qui jouxte la mairie puis, devant une grande maison
de retraite, prendre à gauche et accéder à une petite maison cachée par des travaux.
J'erre un peu avant de trouver.
Dans l'entrée du gîte, une grande affiche précise que le prix est de huit euros.
Je ne me sens pas bien. J'ai froid, je suis fiévreux. J'ai peut-être un rhume.
Comme je sors du gîte, il drache abondamment. Je cours acheter un pain, une quiche au saumon et un pain au chocolat. Je rentre au gîte et je me mets au lit.
Je suis réveillé plusieurs fois par une sirène d'alarme et par des ambulances. Que se passe-t-il ? Je ne vois rien de la fenêtre.
Le gîte est très agréable, il est propre et bien conçu. En plus je suis seul. Je me sens vraiment comme un coq en pâte, et c'est cela dont j'ai besoin pour le moment.
Les prévisions météo ne sont guère réjouissantes : assez bon jusqu'à lundi, ensuite orageux avec des averses jusqu'à vendredi inclus.