De l'aube à l'aurore - L'ermite et le pèlerin - La Chaume-aux-Renards (11 avril 2011)

Un monde à refaire

Cabo Fisterra

La Chaume-aux-Renards, 11 avril 2011

Mes hôtes s'étonnent que madame Barbier m'héberge à la Chaume-aux-Renards ; ils pensent que si elle l'a fait, c'est qu'elle n'a vraiment personne en ce moment.

Quinze kilomètres ! L'étape est courte.
Je flâne en descendant vers le pont de Queuzon sur le lac du Crescent. Il y a un peu de brume sur les hauteurs et un épais brouillard dans la vallée, mais il fait plutôt doux. D'ailleurs je transpire dans les montées.

Pecten et balise du GR Des pectens européens accompagnent certaines balises du GR 13.

Même s'il ne va pas directement vers Santiago, le chemin de Vézelay au Puy-en-Velay mériterait d'être considéré comme une voie jacquaire.

Passerelle sur le Crescent Aux Grands Torsots, je traverse une passerelle sur le Crescent, le petit ruisseau qui a donné son nom au réservoir.

Le réservoir du Crescent Je regarde le réservoir du Crescent à partir du pont de Queuzon. Il s'étend loin vers le nord. Il est principalement alimenté par la Cure.

La montée vers Marigny-l'Église se révèle moins dure qu'attendu. Elle est surtout longue et je crains la chaleur, car le soleil pointe déjà le bout du nez.
À Marigny j'achète de quoi manger et je teste une boisson moderne artificielle qui contient surtout de la caféine. Elle ne me plaît pas.

Marigny-l'Église

Je quitte Marigny-l'Église et je prends le chemin en contrebas du mont Pérou.

Chemin après Marigny Je marche sur un joli petit chemin de randonnée.

C'est le chemin qui compte, et non le but. Et les chemins sont variés à l'in(dé)fini, ils ont toutes les couleurs, toutes les splendeurs et toutes les odeurs du monde.
L'infini existe-t-il ? À l'échelle humaine, si petite face au cosmos, n'est-ce pas l'indéfini qui est notre infini ?

Je traverse Crottefou et je descends vers la Cure. Le soleil darde déjà, mais je garde ma veste, car j'anticipe la fraîcheur de la rivière.

Le moulin de Crottefou Et voici le moulin de Crottefou, sur la rive de la Cure.

Il est remarquablement bien restauré.

Gué à Crottefou Un large gué permet de traverser la Cure.

Il fait tellement chaud que la proximité de la rivière ne me rafraîchit pas. Même en été je n'ai jamais connu le Morvan aussi sec et aussi chaud.

Je retire ma veste, je passe sur le pont et j'emprunte un agréable sentier.
Je passe un très bon moment dans le Morvan sauvage et farouche à souhait, comme je l'aime !

Le sentier s'élargit, devient chemin, puis petite route.

Le long de la Cure En contrebas, la Cure court derrière les arbres et le long des prés.

J'arrive tôt à la Chaume-aux-Renards.
Le monsieur qui m'accueille n'est pas au courant, car c'est sa femme qui s'occupe du gîte.
Il me donne la clef. Je m'installe, je prends une douche, je bois une soupe, je prépare l'étape de demain et je rédige mon carnet de bord.

Je fais un petit tour. Cela fait du bien aux jambes de marcher sans le poids du sac à dos.
Un jeune berger allemand est étendu de tout son long dans la pelouse, il fait très chaud.
Demain il fera plus frais ; tant mieux, car j'aurai plus de mille mètres de dénivelée cumulée à grimper.
Ce sera l'étape la plus dure depuis mon départ.

Tant qu'à faire j'explore le chemin que j'emprunterai demain.
Il débute par une franche montée.

Troncs en travers du chemin Deux cents mètres plus loin, des troncs barrent la route.

Coupe sauvage Au sommet de la côte j'accède à une de ces coupes sauvages comme on en voit si souvent aujourd'hui.

On dirait qu'une bande de vandales équipés de machines a fait de son mieux pour casser le plus d'arbres possible et répandre des débris un peu partout.

Je traverse les trois cents mètres de coupe. Comme les balises ont disparu, je cherche la suite du GR. Tout est bousculé et chahuté, mais je la trouve sans peine.

La Chaume-aux-Renards Je reviens au gîte, la Chaume-aux-Renards, un lieu tranquille et reposant.

Je me sens bien dans cette vallée de la Cure, l'artère du Morvan, la rivière sur laquelle les fûts flottaient vers Paris au temps de la drave.
Le flottage du bois fait partie de l'histoire du Morvan.

Je parle de la coupe sauvage avec mes hôtes. C'est une catastrophe parce qu'on va planter beaucoup de résineux pour en tirer un maximum d'argent rapidement.
Décidément les problèmes de la forêt sont les mêmes partout. Argent, argent, quand tu nous tiens, le monde entier peut crever.

Depuis le début de mon pèlerinage, partout où je passe règne une sourde colère. Tout le monde contient sa rage. Les raisons d'être en colère sont très nombreuses et variées et sont parfois contradictoires.
Cela va péter un jour ou l'autre.
Les hommes politiques ne sont pas des sismologues, ils sont trop « bling-bling » pour percevoir les secousses telluriques qui ne cessent de croître sous leurs pieds.

Le jeune berger allemand m'amuse. Il court en tout sens sur la grande pelouse, il s'ébat dans la fraîcheur de la soirée, il joue avec les objets répandus sur l'herbe.

Je rumine à propos des « happy few ».
Ma démarche philosophique veut être prudente et ne s'en tenir qu'à ce qui est vraisemblable. Prétendre que des objets concrets existent n'est guère risqué, car nous en faisons l'expérience quotidienne.
Prétendre que nous n'avons accès qu'à leur apparence me semble aussi tenir la route, car nos sens limitent nos perceptions même quand ils sont secourus par des instruments méthodologiques et / ou scientifiques.
Prétendre que nous faisons appel à des entités qui ne sont pas du domaine de l'apparence ne présente guère de difficultés. Il s'agit du surréel et de l'imaginaire. L'idéalisme en est la forme la plus aboutie : liberté, égalité, démocratie...
Nous vivons complètement immergés dans ces entités que j'appelle « parlées » pour dire qu'elles sont conçues et véhiculées par le langage. Nous vivons dans un univers parlé fictif que nous substituons constamment aux apparences.

Dit simplement, nous vivons en permanence à côté de nos pompes, un peu comme Nicias quand il a refusé de battre en retraite devant Syracuse suite à une éclipse de lune, car dans son imaginaire, celle-ci était devenue un « indubitable » signe des dieux !
La nature a créé l'animal fou par excellence !

Pourrions-nous nous fonder sur les apparences et nous défier des paroles ? Pourrions-nous les mettre à distance et se défaire de l'idéalisme ? Pourrions-nous accepter le réel simplement, tel que nous le percevons, sans l'inonder de nos représentations fictives ?
Cette question appartient au domaine parlé bien entendu. Mais l'être humain est-il capable d'un tel effort de clarté et de lucidité ? Aujourd'hui, avec le nombre élevé de croyants en toutes sortes de fadaises, même les plus saugrenues et les plus archaïques, cela semble improbable.

Cependant, tout espoir de sauver l'espèce humaine n'est peut-être pas perdu. De temps à autre un spécimen résiste à ce fatras de fantaisies. Ces exceptions tracent peut-être une voie nouvelle qui permettrait à l'espèce de s'en sortir. Ces « happy few » mériteraient d'être entendus.

À la télévision, la météo prévoit un temps plus frais demain, suivi du retour du beau temps.
J'ai beaucoup de chance. Je m'attendais à devoir affronter les giboulées de mars et les pluies d'avril. Et il fait sec et chaud !