Puente la Reina, 4 juin 2011
À partir de quatre heures du matin, le cycliste qui dort au-dessus de moi remue beaucoup. La structure du lit ne cesse pas de trembler. En outre, je reçois l'éclairage public en pleine figure. Je ne dors pas très bien.
Je me lève à cinq heures et quart et à six heures je descends pour déjeuner. Je suis le deuxième pèlerin à venir à table. Tous les échanges se font en allemand, une langue que je maîtrise mal. Je comprends plus ou moins mal ce qui se dit.
Je quitte le gîte le premier, à six heures vingt. Et Doris me fait un au revoir émouvant.
Je visite la vieille ville de Pampelune en suivant strictement le GR.
Un marcheur débouche soudain d'une rue latérale et m'apostrophe sur un ton autoritaire en montrant
le chemin : « C'est là, Camino ! »
Je m'en doute, je suis les balises depuis un bon moment. Il s'est montré tellement péremptoire que je
mets un moment à comprendre qu'il s'agit d'une question et pas d'une affirmation.
Je le regarde plus attentivement. Son sac à dos est de travers, un gros matelas se dandine par-dessus et il porte un chapeau de paille. Il parle allemand. Il a l'air plutôt comique, mais il marche d'un bon pas.
Devant et derrière moi, de nombreux pèlerins marchent vite. Nous traversons des rues, des parcs et des carrefours.
Peu après la sortie de la ville, l'Allemand « comique » me dépasse d'un pas ferme et visiblement forcé, ce n'est pas celui d'un marcheur routiné. Il s'est sans doute arrêté quelque part et il a refait son retard.
Je voudrais lui dire de revoir son chargement et de marcher à son rythme. Avec son sac de travers, son
matelas dansant, ses bagages lourds et sa manie de forcer le pas, il risque d'avoir du mal à finir
l'étape.
Mais je ne sais pas comment dire tout cela en allemand, et son allure autoritaire me dissuade de le
faire.
Après quelques montées, mes jambes trouvent leur rythme régulier et je prends de la vitesse. Je dépasse l'Allemand « comique », ainsi que d'autres pèlerins, mais je ne vois aucune trace de mes compagnons du Puy-en-Velay.
Dans la dernière montée, qui est plus raide et monte à l'Alto del Perdón, un Espagnol d'un certain
âge me dépasse d'un bon pas. Je suis surpris, car il y a peu de grimpeurs très rapides et ceux qui
le sont, sont en général jeunes.
Il ne pourra pas tenir cette cadence jusqu'en haut d'autant qu'il a déjà le souffle court. Je continue
à mon rythme et je le rejoins peu avant le sommet.
Je lui dis : « Sube Usted muy bien. » (vous montez très bien). Il me sourit et me dit que pour les montées, cela va, mais que pour la marche c'est moins bon.
La représentation des pèlerins en marche couronne l'Alto del Perdón, un des lieux mythiques du camino.
Le texte en relief dit : « Donde se cruza el camino del viento con el de las estrelas » (là où le chemin du vent croise celui des étoiles).
Un marchand ambulant vend de la nourriture et des boissons rafraîchissantes. Il s'est mis au bon endroit, car nous sommes nombreux à avoir soif et faim après cette montée.
Devant moi s'étale le large pays qui m'attend.
Santiago, j'arrive. Fisterra, hasta luego !
Une joie débordante me gagne. Je souris au compañero espagnol avec qui j'ai grimpé. Je ne peux plus attendre, je dois y aller.
Imagine qu'il n'y ait ni paradis ni enfer, ni nation ni possession, simplement le ciel et la terre ! Ni l'enfer (de Platon) ni le royaume de Dieu (de Jésus), mais simplement le ciel, la terre et moi ! Merci, John Lennon.
Au passage je photographie les éoliennes, si nombreuses ici que nous, les Belges, avons toutes les raisons d'envier les Espagnols.
Quand comblerons-nous notre retard dans les énergies renouvelables ?
Je descends de l'Alto del Perdón quasiment seul. Mon compagnon espagnol marche moins
vite que moi et me dit d'aller mon chemin, je le salue et je vais de l'avant.
Les pèlerins se distancient les uns des autres au cours de l'étape.
Quand je traverse Muruzábal, trois hommes assez costauds se lèvent et me suivent à distance. Je suis seul. Me viennent en tête des histoires de pèlerins agressés et volés. Je n'y crois pas trop, mais c'est étrange qu'ils me suivent pendant des kilomètres.
Nous approchons d'Obanos, où je compte m'arrêter pour boire et manger. Je vais dans un bar et je mange un « bocadillo con queso » (sandwich au fromage) énorme et un coca.
Les trois hommes ont disparu. Ils sont entrés derrière moi dans Obanos puis je les ai perdus de vue.
Je visite Obanos, une petite ville qui me plaît. Elle est chargée d'histoire.
Voilà l'église San Juan-Bautista d'Obanos.
Je passe sous l'Arc de la plaza de los Fueros (des Privilèges).
J'examine les hébergements dans mon miam-miam dodo de 2009. Je pourrais aller jusqu'à Mañeru, mais l'hébergement est cher. Quant à Cirauqui et surtout Lorca, c'est loin. J'irai donc à l'albergue Santo Apostol de Puente la Reina.
À l'entrée de Puente la Reina, un panneau indique que l'albergue se trouve trois cent cinquante mètres après le pont roman (et pas « romain » ! ).
Un pèlerin en métal accueille les pèlerins, qu'ils viennent de Barcelone, d'Arles, du Puy-en-Velay, de Vézelay ou de Tours.
C'est ici que commence le Camino Francés.
Un pont roman enjambe le río Arga.
Ce que le panneau ne disait pas, c'est que ces trois cent cinquante mètres sont une solide montée en plein soleil. Je la grimpe au train et je me sens bien sur la hauteur. C'est un plateau relativement isolé qui domine les alentours.
Je m'obstine à parler castillan au responsable du gîte, il s'obstine à me parler français, cela fait des conversations un peu bizarres. Pour ma part, je le trouve sympathique, mais je ne sais pas si c'est réciproque parce qu'il est assez froid dans ses relations.
Dans ma grande chambre il y a un couple étonnant, une francophone qui ne parle pas espagnol et un
Espagnol qui ne parle pas français. La francophone parle bien anglais, une langue que son compagnon
ne maîtrise guère.
Cela engendre de nombreux quiproquos qui les font rire. Ils me demandent de traduire d'espagnol en
français et de français en espagnol. De temps à autre, nous parlons anglais. Cela fait maison des
langues.