Espinal, 2 juin 2011
Je dors bien. Les ronflements de mon voisin ne me tiennent éveillé qu'à partir de quatre heures du matin.
Je me lève à cinq heures et quart. Je prépare mon sac dans la salle commune, je déjeune, je prends mon temps et finalement je ne pars qu'à sept heures moins vingt.
Je suis préoccupé. Je me suis laissé dire que la montée était longue et difficile. Par prudence je démarre à petite allure.
À Othatzénéa la route bitumée descend ! À quel type de « montée » ai-je affaire ?
Je sais qu'il y a une belle côte peu avant Honto. Quand je découvre la pente, je comprends que je
peux marcher bien plus vite. Je prends mon rythme habituel et je m'envole.
Je salue les pèlerins qui s'apprêtent à partir du gîte d'Honto.
Après Honto, au sommet du chemin en lacets, un arbrisseau cache le paysage décrit par la table d'orientation.
À Orisson, je salue les pèlerins qui quittent le gîte.
Une fois en altitude, je suis pris par la magie de la montagne, même s'il ne s'agit que d'une partie
assez basse des Pyrénées.
En dépit de la brume, je devine les vallées et les rampes qui se succèdent. Ce terrain me plaît infiniment
plus que la plate Champagne. La montagne est un être vivant.
Des animaux circulent librement, surtout des moutons et des chevaux.
À Elhursaro, un troupeau de moutons paît dans la brume. Le bélier me surveille attentivement.
À Urdanasburu, je reste un moment derrière des marcheurs qui jouent de la musique, une musique qui s'accorde bien avec la majesté des pentes et avec le mystère du brouillard dans lequel nous baignons.
Je quitte la petite route bitumée pour emprunter le chemin qui va vers Roncevaux (Orreaga en basque, Roncesvalles en espagnol).
La croix Thibault est un lieu emblématique du camino.
La borne 198 est le premier contact avec la frontière espagnole.
Le balisage jaune de l'Espagne est déjà présent.
Si j'en crois la borne située à la frontière, Saint-Jacques-de-Compostelle est à 765 kilomètres d'ici.
La fontaine de Roland est l'ultime point d'eau du territoire français.
En franchissant la barrière canadienne j'entre en Espagne.
Je me rappelle que j'anticipais ce moment au Moulin Manteau, quand je suis entré en France. C'est fait, j'ai traversé la France à pied de part en part.
Peu après, je marche dans un magnifique chemin sous le couvert des arbres.
Je passe un très agréable moment dans cette verdure qui me rappelle le Haut-Jura.
Partout de grands piquets balisent le chemin. On ne peut s'égarer que si les conditions climatiques sont extrêmes : neige abondante, violent orage, brouillard intense, par exemple.
Juste après le croisement qui sépare Changoa du Mendi Chipi, il y a un petit abri perdu dans le brouillard.
Ensuite le chemin monte à nouveau. Il est plus pierreux.
J'arrive au col de Lepoeder dans un état de fraîcheur qui m'étonne.
Je descends vers le Puerto de Ibañeta, car on m'a dit beaucoup de mal de la descente directe, qui est très raide. Si c'est aussi exagéré que pour la montée, j'ai tort.
Je coupe les lacets de la route qui descend rapidement vers le Puerto de Ibañeta.
Roncevaux (Orreaga, Roncesvalles) est en contrebas, dans la brume.
Je m'arrête brièvement à la chapelle d'Ibañeta.
Puis je dévale un joli chemin très marchant vers Roncevaux.
J'arrive à Roncevaux à midi. Je fais tamponner ma crédenciale, ce qui me donne l'occasion de parler castillan.
Il est trop tôt pour que je m'arrête.
En Espagne, on ne réserve pas, on va au gîte et s'il y a de la place, on est hébergé.
Je décide d'aller jusqu'à Burguete (Auritz en basque).
Le chemin est une belle allée très marchante.
À Burguete, il est trop tôt pour que je m'arrête.
J'achète un croissant (« croissant » en espagnol) et un pain au chocolat (« napoleotano con
chocolate »).
Je mange et j'attends.
Burguete est une localité particulière, avec de l'eau coulant le long des trottoirs et une rue principale étroite où les marcheurs doivent négocier leur passage avec les voitures.
À une heure, je décide d'aller à Espinal (Aurizberri en basque).
Je traverse la passerelle à la sortie de Burguete.
Le chemin passe par des estives, mais il est excellent et très bien entretenu.
La montée à Espinal est un peu pénible.
Je m'arrête ici.
J'ignore s'il y a un « albergue » (gîte) à Viscarret et je n'ai pas envie de faire quinze
kilomètres pour aller à Zubiri, même si cela m'assurerait de pouvoir aller jusqu'à Cizur
Menor demain soir et de gagner ainsi un jour de marche.
Je rêve toujours de rejoindre André.
L'église d'Espinal a une allure très moderne qui me surprend un peu.
Je vais à la « casa rural » (chambre d'hôtes) Errebesena, renseignée par mon miam-miam dodo de 2009.
C'est une très belle maison de maître, avec de beaux meubles, des planchers vernis et des tableaux. Je suis très impressionné. Il y a peu d'eau chaude, mais je me débrouille.
Il fait très froid sur les sommets pyrénéens, avec du vent et des nuages, mais il fait froid aussi à Espinal. Le mot que j'entends le plus depuis que je suis en Espagne, c'est « frio » (froid). Il fait anormalement froid pour la saison.
Je fais le tour du village.
Puis je vais au restaurant Ederrena, renseigné par mon miam-miam dodo, 29, calle San Bartolomé, mais
là on me dit qu'on n'y fait plus à manger. Un passant me conseille d'aller à un bar situé à
l'autre bout du village.
Il a raison, il y a même un menu pèlerin.
J'y rencontre Michel, un pèlerin qui loge sur place parce que ce bar-restaurant fait aussi hôtel
et gîte d'étape. Mon miam-miam dodo de 2009 ne le mentionne pas, mais il se trouve dans le
miam-miam dodo de 2011 de Michel.
Cet établissement brade les prix et concurrence les « casas rurales » et les restaurants d'Espinal.
Voilà pourquoi je suis seul dans ma casa rural !
Cela dit, le repas est tout sauf excellent.
Traditionnellement, dans les bars espagnols, les clients disposent des journaux du jour, qui sont déposés sur le comptoir.
Je prends le premier journal qui me tombe sous la main : « Het Laatste Nieuws ». Le suivant
est : « De Standaard ». Il doit y avoir eu une fracture dans l'espace-temps et je me retrouve
en Flandre.
Un groupe de Flamands mangent à une table non loin de moi. Je parcours les journaux flamands pour
avoir des nouvelles de Belgique.
Puis je passe aux journaux locaux. Les prévisions ne sont guère réjouissantes : demain, pluie à Pampelune ; après-demain, pluie avec risque d'orage à Estella. Je découvre une Espagne bien plus froide et pluvieuse que la France. Il y a de quoi y perdre son latin.
Je retourne dans mon frigo non chauffé, je veux dire ma chambre d'hôtes. Je me couvre bien pour ne pas avoir trop froid pendant la nuit. Je ne dors pas bien suite aux émotions de la journée.