Tonnerre, 5 avril 2011
Il est sept heures. Je me lève, je ne suis pas trop frigorifié. Mes effets ne sont pas trop mouillés. Je suis juste un peu enchifrené suite à l'injection d'air glacé dans les narines par mon appareil respiratoire.
Je me prépare beaucoup de café pour me réchauffer. J'écris dans le livre du foyer rural.
En fait, après cette nuit froide je me sens plein de courage. Un de mes atouts, c'est que j'aime marcher. Je gravis avec entrain la pente qui m'éloigne d'Étourvy. Une bonne petite montée, cela me donne encore plus de moral qu'un beau paysage.
Je pense au « pater noster » de Jacques Prévert. Prévert, c'est mon « passaint » Jacques à moi, le pèlerin mécréant et j'ai un grand moment spirituel. Les croyants prient dans les églises, je prie dans le réel. Je célèbre le fait tout simple que je vis ici et maintenant.
Je devrais me constituer un « livre de prières à l'usage du pèlerin mécréant ». Il
comprendrait le « pater noster », les enfants de Khalil Gibran, des textes de Nietzsche, entre
autres.
Puis je pense à rédiger moi-même les prières du mécréant.
Depuis plusieurs jours, quand il fait beau, les alouettes montent verticalement dans le ciel en lançant leurs trilles. Cela me rappelle mes trajets à vélo quand j'allais de chez moi, à Waterloo jusqu'au collège Cardinal Mercier, à Braine-l'Alleud.
Souvent une alouette saluait mon passage, toujours au même endroit. Tout en pédalant, je chantais et je rimais mes émois poétiques de jeune adolescent. Je rédigeais des vers qui parlaient du vent, du ciel, de la lumière et de la Légère eau, un ruisseau que je traversais.
Au-dessus de la vallée de la Melonnière, j'ai la chance de voir un chevreuil sur le chemin juste devant moi. Il ne m'a pas entendu venir. Surpris il détale « à toutes pattes ».
J'aperçois un couple de chevreuils à l'entrée de Mélisey.
Le temps de prendre mon appareil photo, ils sont déjà à la lisière du bois.
Aujourd'hui, animaux humains ou non, nous sommes tous printaniers et nous avons du rose à l'âme.
J'arrive à Mélisey.
Je m'arrête dans le village et je rédige mon carnet de bord.
Le sentiment d'avoir de la chance résulte plus de notre manière de voir le monde que
d'un jugement objectif.
Les chançards sont ceux qui croient avoir de la chance.
Je traverse la ferme de Casse-Bouteille.
Voilà un nom amusant sans que je sache s'il fait allusion à la machine ou à l'ancien métier qui consistait à briser les bouteilles pour alimenter les fours à verre.
Peu avant Tonnerre, le GR passe au nord d'Épineuil, ce qui permet d'avoir une vue d'ensemble de la ville.
Tonnerre est dans la brume, ce qui donne à la photo un aspect d'aquarelle.
J'arrive au Chemin des Cordeliers. Comme c'est un carrefour en té, on ne peut aller
qu'à gauche ou à droite. Il y a des balises des deux côtés ! Je reviens sur mes pas, il n'y a aucune
balise avant le carrefour. Finalement je choisis d'aller à droite, la direction indiquée par mon
guide.
Très vite je me rends compte que la suite du chemin est occupée par une grande surface. Si je continue
à droite, je vais devoir aller loin avant de pouvoir revenir vers Tonnerre.
Par conséquent je reviens au carrefour en té et je prends l'autre direction. J'entre bientôt dans la
ville, par la Côte Putois. La circulation urbaine ne pose pas de problème et j'arrive rapidement
à la gare.
Le gîte coûte dix euros. J'y vais. Je suis accueilli par Cacou, le chien du curé qui s'occupe du gîte. Ils me montrent les lieux. Ils, ce sont le curé et son chien. Je m'installe et je prends une douche.
Ensuite je visite la ville et j'en profite pour recharger mon portable. Pour mes achats, je me rends à
l'Auchan, qui se trouve à deux kilomètres du centre. J'y trouve des piles AAA au lithium pour ma
balise.
En revenant je m'arrête à une pharmacie et j'achète de l'Akiléine. C'est la première fois que je prends
un produit pour mes pieds. Je veux les soigner « préventivement ».
Cela me fait pas mal d'achats, mais à présent je suis paré pour plusieurs jours.
Dès mon retour au gîte je mange et j'examine les prochaines réservations. J'ai un problème pour Chablis. J'ai réservé dans un hôtel et je viens d'obtenir les coordonnées du gîte paroissial. Mais j'ai beau téléphoner au gîte, je n'obtiens pas de réponse.
Je prolonge ensuite ma visite de la ville : la Fosse Dionne, l'église Saint-Pierre, la rue des Anciens Châteaux, le Grippot, Vaucorbe et retour.
En haut de la ruelle des Rosiers, en arrivant à la rue Armand Collin, je rencontre un des ours de Tonnerre sculptés par Yvan Baudoin.
Je le trouve sympathique et je le prends en photo.
Je reviens au gîte et j'examine mon itinéraire après le lac des Settons. Je dois quitter le tracé du GR 13, car si on passe par le Haut-Folin, il n'y a pas d'hébergement.
J'écris dans le livre de Tonnerre.
« Merci pour l'accueil, pour le dormir, le boire, le manger et le rencontrer.
Que s'apaisent nos incessantes affabulations humaines !
Que vienne le temps où nous accepterons pleinement notre condition humaine, avec ses joies et ses peines,
et où nous nous reconnaîtrons en elle !
Que vienne le temps de l'amor fati !
Francis Gielen, parti de Belgique le 14 mars. »
Je vous salue, Antisthène et Diogène de Sinope, vous qui tentâtes d'échapper au constant bouillonnement de nos cerveaux humains.