De l'aube à l'aurore - Goutte de sang - Entendre (1)

Un monde à refaire

Oradour
Goutte de sang

Entendre (1/4)

Et Maude paraît ! En pleine lumière ! Sa peau ruisselle d’eau luisante dans l'aérienne clarté du soleil estival. Elle est plus belle que jamais, désirable infiniment ! Ce reflet de pure flamme scintillante, je veux le tenir entre mes mains.
Mon cœur bat à grands coups, je lui donne tout. Qu’elle lève le doigt et ma force cède devant sa grâce ! Sur les dunes, au soleil, nos jambes entament une course folle et sauvage. La danse des premiers âges secoue tout mon être d’une joie intense et vibrante.
Je bondis, je me roule dans le sable, je tourne autour de Maude, je me couche, je saute, je joue, je reviens, je lui lance du sable, elle répond et nous jouons de bonheur. Cet instant neuf et irremplaçable est celui de l’intense félicité. Toujours, pour toujours ! Infiniment !

La voilà loin de moi ! Je m’approche en serpentant, je mime des ruses de Sioux. Maude se défile. Je veux saisir ce beau corps souple. Je m'en approche sans faire de bruit, je suis tout près, d’un bond je la touche. Maude s’enfuit.
Je la poursuis, le sable gicle. Les vagues des dunes ondoient autour de nous. Je rejoins Maude, je bondis sur elle, nous roulons dans le sable chaud, nous rions. Puis nous nous asseyons côte à côte et nous parlons.
Nous parlons de tout, des parents, des amis, de la mer, du soleil. L'être humain est un singe bavard. Nous voulons tout savoir l'un de l'autre.

Le soleil se couche, nous allons devoir nous séparer. Assis sur le rivage, nous souhaitons bonne nuit à la mer avant de rejoindre nos refuges terrestres. Le ciel s’illumine d’un grand désert rouge, le dernier salut du soleil.
Maude et moi restons silencieux, nous contemplons le monde qui s’endort autour de nous tandis que nous veillons dans notre écrin de calme. L’instant est unique, le silence se prolonge, une joie profonde nous gagne.

Maude pénètre la première dans les flammes sacrées du crépuscule. Elle brille dans la mer vermillon, flammèche noire dans le feu des yeux. Elle devient toute petite, le brasier marin la sépare de moi.
Et je me trouve devant l'église en feu ! C'est l'horreur, je fais un bond en arrière et je hurle : « Au secours ! Maude brûle. »

J’ouvre les yeux, le cauchemar cesse. Il fait chaud, il doit être près de midi. L'armée de libération n'est toujours pas là.
J’aurais dû aller au secours de Maude le jour de l’église en feu. Même si j’en étais mort, cela aurait mieux valu. Mourir pour Maude n'est pas plus absurde que pour les causes dont les êtres humains font tant de cas !

Je somnole. La clef grince, Cravate entre et ferme la porte.
- Tu dors, gamin ?
Je sursaute. Je me redresse, prêt à me battre.
- Tu as appelé au secours. Tu pensais à ta mort ?
Ce monstre recommence son jeu stupide ! Mais cette fois ses saloperies ne m'atteindront plus.
- Tu n’es qu’un petit peureux pleurnichard, à ce qu'il me semble.
J'ai les nerfs à fleur de peau, je lui tombe dessus. Mais il s’y attendait, il m’empoigne le bras.
- Tu n’as aucune chance, je te tiens.
Je me débats, je tape des pieds.
- Lâchez-moi !
Cravate sort une corde de sa poche.
- Je vais te calmer. Que préfères-tu, la ceinture ou les clous ?
Je lutte en vain, il me noue la corde autour du poignet droit, il fait une boucle autour de l’autre, il les rapproche et les lie fermement ensemble. Je constate mon impuissance avec effroi.
- Que… qu’est-ce que vous allez me faire ?
- Tu le sauras bien assez tôt.
Cravate fait passer la corde par-dessus le barreau du soupirail et la tire de manière à me lever les bras, puis le corps ; la corde des poignets supporte mon poids et m’entre dans la chair. Il sort une deuxième corde et me garrotte les chevilles.
- Pitié, Monsieur ! Détachez-moi, s'il vous plaît ! Mes poignets font mal.
- Laisse tomber ! Tu auras bien plus mal tout à l'heure. Que penses-tu de ta position ?
J’ai la tête vidée par la peur et la douleur. Je tente de défaire les liens des poignets, je les tire, je les tords, mais ils pénètrent d'autant plus dans ma chair. Pendant que je me tortille, Cravate me fixe sans bouger d'un cil. Cette scène se prolonge.

Il rompt enfin le silence.
- Deuxième rébellion ! La première fois j'ai été gentil, je ne t’ai pas puni ; mais cette fois je dois le faire.
Je panique.
- Qu'est-ce que vous allez me faire ? Pourquoi m'avez-vous lié ?
Il me regarde fixement.
- Sadisme ! Sais-tu ce que ce mot signifie, petit ?
Je me sens percé de mille fines aiguilles de peur.
- Réponds, gamin !
- Oui…oui, Monsieur.
- Eh bien, je vais te torturer ! Pour le plaisir !
Il me toise de haut en bas.
- Et quelque part, cela me fait de la peine.
Je vomis ses larmes de crocodile, je suis effondré, ma terreur est sans limites, je tremble de tous les membres.

Cravate sort un canif de sa poche, il l’ouvre.
- Pitié ! J’ai rien fait de mal ! Je veux pas ! Ne me blessez pas ! Non ! Non ! Au secours !
- Petit innocent, tes plaintes ne font qu’accroître mon désir. C’est toi-même qui te condamne aux pires souffrances.
Cravate approche le canif de ma culotte, puis il le place à hauteur du genou et trace une entaille circulaire. Il passe le couteau au ras des cuisses. Il m'entaille la peau à plusieurs endroits. Le sang me coule sur les jambes. Je crie de peur, je hurle ma douleur, ma honte, mon impuissance et ma révolte.
Puis, comme s’il avait trouvé assez d’angoisse chez moi, il me laisse dans mon horrible position. Il se tait, je n'ose rien dire. Le silence se prolonge. Je n’ose pas lui demander de me délier de crainte qu'il se remette à me tourmenter.

Il ouvre un petit flacon ; au moyen d'une pince à épiler il en retire une petit morceau blanc et il me le dépose sur le genou. Cela brûle violemment, cela ne s’arrête pas de mordre dans la chair, je hurle, je pleure de douleur. Il ouvre la porte et se tourne vers moi.
- Promets-moi d’être plus docile à l’avenir !
- Oui, Monsieur, je le promets, je le promets !
Je lui promettrais n'importe quoi pourvu qu'il s'en aille. Quand j'ouvre les yeux, il a fermé la porte du cachot. Je hurle et je me tords de douleur, car la terrible brûlure ne quitte pas le genou.