De l'aube à l'aurore - Goutte de sang - Voir (4)

Un monde à refaire

Oradour
Goutte de sang

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J'entends des pas dans l'escalier, Cravate revient me tourmenter ! La clef tourne. Quelle attitude tenir ? L’aimer, c’est de la folie ! Lui faire confiance, je ne le pourrais pas. Je dois pourtant tenir mon engagement. La porte s’ouvre, c’est Comtesse !
- Mais !? Qu’as-tu, mon petit bonhomme ? Tu as l’air terrifié.
Je la déteste, mais je suis soulagé que ce n'est pas Cravate.
- Réponds-moi, mon petit chéri. Suis-je si terrible ?
- Non, Madame !
Je ne sais pas quelle attitude prendre. Elle est gentille, mais elle ne tient pas ses promesses.
- Je parie que les soldats ne t’ont rien donné à manger. Ils se foutent de toi, n'est-ce pas ?
- Euh... oui, Madame.
- Ne t'en fais pas, mon petit bonhomme ! J'ai pensé à toi. Je me doutais bien qu'ils n'allaient rien faire.
Elle sort de son sac un petit pain et une bouteille d'eau, et aussi des tartines avec de la confiture.
- Voilà, Olivier ! C'est frugal, mais tout est désorganisé pour le moment.
Cela pue la débâcle, l'armée de libération ne va plus tarder. Et cette nourriture est bénie, car elle m'aidera à prendre des forces et à m’évader. En plus, Comtesse n’a pas fermé la porte. Rusons !
Je regarde le petit pain. D’où vient-il ? Comtesse l'a sûrement volé. Je pense au boulanger du village, il est sûrement mort dans l'incendie. Ce pain a un goût écœurant.
Mais il n’est pas perdu. Peut-être me sauvera-t-il la vie ! Si je m'en tire, je vengerai le boulanger ! Et tous les villageois ! Je le mords avec rage. Je pense toujours à fuir, mais Comtesse me tient à l'œil, je veux réussir du premier coup. Elle sourit.
- Olivier, j’ai une surprise pour toi.
Je me méfie de l’ambiguïté des ennemis, je pense à Cravate. Comtesse sort de sa poche un morceau de chocolat, un aliment ordinaire dans ma vie antérieure. Quel précieux trésor !
- C'est pour moi ?
- Oui.
- Oh ! Merci, Madame !
À elle seule, cette friandise vaut tout l’or du monde. Je la mords avec joie, je m'en délecte.

Comtesse me regarde avec tendresse. Elle regarde mes blessures et mes contusions.
- Il va falloir soigner cela, mon petit bonhomme. Tu dois être en pleine forme.
- Oui, Madame.
- Écoute-moi bien, mon garçon ! Je vais avoir besoin de toi. Et toi, tu as besoin de moi si tu veux sortir d'ici. On pourrait essayer de s'entendre, non ?
Quel piège me tend-elle ? Prudemment je ne dis rien, je laisse le morceau de chocolat fondre dans la bouche, je le déguste. Pour le moment Comtesse est une amie, c’est le moment de lui rappeler ses promesses.
- Quand est-ce qu'on va me libérer, Madame ?
- Pas tout de suite !
- Je voudrais une autre prison, Madame.
- Ne va pas trop vite !
- Si vous pouviez au moins m'apporter une couverture, Madame ?
- Je t'en apporterai une demain.
- Menteuse ! Demain je serai mort !
- Hein ?! Qu'est-ce que tu dis ?
- Inutile de mentir, je sais tout !
- Calme-toi, Olivier ! Qu'est-ce qui te fait croire… ?
Pris de rage, je la frappe partout où c'est possible. Une forte gifle m'envoie au sol. Voilà, c'est fait, Comtesse s’est trahie, elle est aussi méchante que les autres !
- Pardonne-moi, Olivier ! Mais c’était la seule manière de te calmer.
Non, elle ne m'aura pas ainsi. Je ne suis pas calmé du tout ; je contiens juste ma colère pour ne pas recevoir de coups.
- Explique-toi ! Pourquoi crois-tu que demain tu seras mort ?
Comtesse semble sincère, mais je me méfie. Je joue cependant le jeu et je lui raconte la visite de Cravate.
- Il ment, ils ne vont pas gaspiller des ball... Et puis les soldats sont quatre, pas douze. Ils ne vont pas te fusiller, tu peux en être sûr.

Comtesse se tait et réfléchit.
- Écoute-moi bien, Olivier. Et surtout, ne prends pas mal ce que je vais te dire ! Ici, à part moi, personne ne s’intéresse à toi. C'est difficile à dire, mais ce que les soldats t'ont fait, c'est se distraire à tes dépens parce qu'ils s'ennuient et qu'ils ont peur.
- Hein !?
Là je suis soufflé. Toutes ces tortures, c'était juste pour se distraire un peu !
- Essaie de les comprendre, Olivier ! Les nouvelles du front sont mauvaises, ils craignent pour leur sécurité. Ils attendent avec impatience le camion qui leur permettra de se replier. Ils ont bien d’autres préoccupations qu'un jeune garçon qui s'est égaré dans le village.
- Mais alors, Madame, pourquoi vous vous intéressez à moi ?
- Tu m'as l'air intelligent, Olivier. Tu dois comprendre que parmi tous ces morts, je tiens au moins à sauver quelqu'un. Et pourquoi pas un jeune garçon innocent ?
- Oh ! Merci, Madame.
Je la regarde avec sympathie. Puis un doute m'assaille, cela pue l'image d'Épinal.
- Je ne vous crois pas !
- Et pourtant c'est ainsi. Que tu me croies ou non n'a pas d'importance. Et de toutes manières, il est trop tôt pour que je te dise tout. Chaque chose en son temps !
- Non ! Je veux que vous me disiez tout.
Comtesse me regarde durement.
- Quoi que tu penses, je ferai ce que je peux pour te tirer de là. Tu dois vivre.
Elle se dirige vers la porte. Je regrette de ne pas avoir tenté de fuir.
- Madame, s'il vous plaît, laissez-moi sortir !
- Et quoi encore ? Tu veux courir entre les soldats ? Tu espères échapper aux balles ? Non ! Sois patient ! Je veux que tu restes en vie, car j'ai besoin de toi !
Et elle referme la porte. La clef tourne dans la serrure.