De l'aube à l'aurore - L'ermite et le pèlerin - Auxerre (7 avril 2011)

Un monde à refaire

Cabo Fisterra

Auxerre, 7 avril 2011

Je me lève à six heures moins le quart et je déjeune. Je pars à sept heures pile. Le jour se lève, il fait frais.

Je suis joyeux. Ce soir je dormirai à Auxerre, à deux étapes de Vézelay.
Le premier tronçon de mon pèlerinage est sur le point d'être accompli, ce qui me semble de bon augure pour la suite. Il ne me restera plus que trois tronçons à faire, de longueur plus ou moins comparable.

À Chablis il y a partout des flèches jaunes parce que les promenades locales sont fléchées de cette manière. Si l'itinéraire des Amis de Saint-Jacques passe par ici, cela ne simplifie pas la recherche du chemin.

Je traverse Milly et je grimpe la côte de Léchet, très raide entre les vignes. En haut je retire ma polaire. Ensuite le chemin est facile et je progresse rapidement vers Beine.

Après Beine le GR est bizarrement balisé dans des passages peu évidents entre les vignes. Je fais attention à ne pas louper une balise. Par la suite le chemin ne présente pas de difficulté.

À Haut Soleine, pour éviter trois cents mètres d'asphalte, le GR prend un sentier à gauche, traverse un gué boueux et longe un petit ruisseau. Je préfère prendre le petit bout de route, qui est d'ailleurs peu fréquenté.
Tout de suite après ce détour boueux, cent mètres avant l'ancien moulin de Gimois, le GR emprunte une route asphaltée alors qu'un chemin balisé PR conduit directement au pont sur l'A6 après Venoy. Le but de ce détour est de passer par le village.

Ceux qui tracent les sentiers de grande randonnée (GR) choisissent des mauvais chemins pour éviter un petit bout de goudron puis empruntent des voies goudronnées pour passer dans un village.
Ils sont pris dans des contradictions et leur choix n'est pas nécessairement celui du marcheur.

Auxerre Ici, comme pour Tonnerre, le GR fait un détour avant de se diriger vers Auxerre. Et la vue sur la ville est splendide, le détour vaut la peine.

Une légère brume rend la photo peu nette, mais à l'œil nu c'est superbe.

Me voici à deux jours de Vézelay. La joie de la réussite me gagne. Je me demandais si j'étais capable de faire des randonnées. La réponse est oui ! J'irai au Puy, à Roncevaux, à Santiago, à Fisterra ! J'irai !
La joie me prend tout le corps. Je descends à vive allure. À midi je suis devant la gare d'Auxerre. J'ai marché plus vite qu'hier. Chaque jour je marche avec plus d'aisance. J'ai de plus en plus l'impression de me promener plutôt que de marcher.

J'ai réservé à « La Maison des Randonneurs », rue Bénard.
À l'entrée de la ville, un panneau m'indique la direction du gîte. Les panneaux se suivent et me font traverser le pont Paul Bert sur l'Yonne. Le dernier panneau est après le pont.
Ensuite, plus rien !
Je monte la rue du Pont en hésitant. Il y a de nombreuses bifurcations, mais pas un seul panneau. J'ai dû en rater un.
Je descends la rue du Pont et je reprends à partir du dernier panneau. En remontant j'examine attentivement chaque rue. Toujours rien !
Je demande à un cafetier où se trouve la rue Bénard. Elle est plus loin sur la rue du Pont.
J'arrive au gîte. Il est propre, grand et accueillant, vraiment un très bon gîte avec des hôtes très disponibles.

Dans ma chambre il y a un marcheur taciturne et deux Américains. Ces derniers sont dans la force de l'âge et transportent des sacs très lourds.
Nous échangeons en anglais. Ils sont allés à Paris en avion, puis ils ont marché jusqu'ici en passant par Fontainebleau. Ils prennent le même chemin que moi : le GR 13 et le GR 3 jusqu'au Puy-en-Velay, la voie du Puy, Roncevaux et le Camino Francés.
Ils portent leur matériel de camping sur eux. Ils font des étapes de longueur moyenne. Le barbu me dit qu'il ne pourrait pas faire plus de vingt-cinq kilomètres sans avoir des problèmes aux pieds, ce que je comprends vu le poids de son sac.

Avec l'aide de mon hôte je lave le plus de linge possible. Ainsi je suis remis à neuf. En fait je lave tout sauf ma veste et mon pantalon bleu. J'utilise le pantalon kaki pour la marche et le pantalon bleu aux étapes.

Je compte partir tôt demain. Je passerai près d'une grande surface à Champs-sur-Yonne, ce qui me permettra de déjeuner, à condition que les magasins soient ouverts.

Tout à l'heure, en montant la rue du Pont, j'ai vu un panneau dirigeant vers une bibliothèque municipale. Je m'y rends et je recopie le « pater noster » de Jacques Prévert (in « Paroles ») :

« Notre Père qui êtes aux cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit canal de l'Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son océan Pacifique
Et ses deux bassins aux Tuileries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terre
Offertes à tout le monde
Éparpillées
Émerveillées elles-mêmes d'être de telles merveilles
Et qui n'osent se l'avouer
Comme une jolie fille nue qui n'ose pas se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légions
Avec leurs légionnaires
Avec leurs tortionnaires
Avec les maîtres de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant l'acier des canons. »

Notre résurrection débutera par l'acceptation pleine et entière des beautés et des laideurs du seul monde qui existe et par la prise de conscience de sa richesse et de sa diversité.

Je recopie aussi le texte de Khalil Gibran sur les enfants (in « Le Prophète ») :

« Vos enfants ne sont pas vos enfants,
Ils sont les fils et les filles du désir de la vie pour elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous
Et bien qu'ils soient à vos côtés, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour mais non vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez abriter leurs corps mais non leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain que vous ne pouvez pas visiter, même en rêve.
Vous pouvez vous efforcer de leur ressembler, mais ne tentez pas de les rendre semblables à vous,
Car la vie ne revient pas en arrière et ne s’attache pas au passé.
Vous êtes les arcs par qui vos enfants, tels des flèches vivantes, sont projetés.
L'archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de sa puissance pour que ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l'archer soit pour la joie ;
Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable. »

Notre résurrection débutera par l'acceptation pleine et entière de l'altérité de toute autre personne et par le désir de tracer notre propre chemin.

Ce sont deux textes que j'aime bien et j'avais envie de les avoir sur moi pendant mon pèlerinage.

Il est sept heures et demie. Je suis fatigué et j'ai envie de dormir.
Il y a beaucoup de mouvements et de bruits dans le gîte. Je ne sais pas quand je dormirai. Cela me change de ma solitude.