De l'aube à l'aurore - Goutte de sang - Lutter (3)

Un monde à refaire

Oradour
Goutte de sang

Lutter (3/4)

Gants-blancs parle à Balafre, qui est posté derrière moi. Je frissonne, c’est la brute baraquée qui m’a envoyé sur le mur lors de ma capture. Mais il ne me fait rien. Il allume posément une cigarette comme si l'ordre de son chef lui était indifférent.
- Que signifie « Oméga » ?
C’est le nom du réseau auquel appartient monsieur Bonergues ; nier me semble dangereux.
- C’est un réseau de partisans, Madame.
- Un réseau de terroristes ! Monsieur Bonergues en fait-il partie ?
- Euh... je ne le connais pas, Madame.
- Et ton frère ?
- Euh... je crois que non, Madame.
- Et toi ?
- Moi !? Ah mais non, Madame !
Comtesse esquisse un sourire.
- Tu es candide, gamin. Mais nous commençons à y voir clair. Qui dirige ce ramassis de terroristes ?
- Je ne sais pas, Madame.
- Quelles personnes du réseau connais-tu ?
- Personne, Madame, sauf Pierre et monsieur Bonergues bien sûr.
Oups ! Ça m’a échappé.
- Cesse de mentir ! Tu le fais très mal.
Je n'aurais pas dû parler de Pierre et de monsieur Bonergues. Mais c'est sa faute, c'est à cause de ces sales questions vicieuses avec lesquelles elle m'embrouille. En plus j'ai honte de trahir Pierre. Je suis écœuré, j’ai envie d’en finir, je bredouille à voix basse.
- Oh ! Et puis je m'en fous !
- Que dis-tu ?
- Je dis que cela ne me concerne pas.
Vlan ! Une gifle m’envoie à terre, c’est Balafre. Avec les menottes, j'ai du mal à me redresser. Balafre me saisit à pleines mains et m'installe sur le tabouret.
- Menteur ! Qu’as-tu dit, mot pour mot ?
- Je m'en fous.
Une vive douleur me perce le bras. Balafre vient de me presser sa cigarette allumée sur le bras.
- Tu mens !
Ce n’est pas juste, j’ai répété ma phrase mot pour mot. Je suis outré. Trop c'est trop. S’ils croient que les coups vont me faire parler ! La douleur de la brûlure se répand dans le bras. Je ne céderai pas sous la torture.
- Juste un petit avertissement, jeune homme, au cas où tu refuserais de coopérer.
- Je ne suis pas un partisan.
Balafre m'envoie un coup de poing dans l’avant bras ! Il devient dangereux de ne pas mentir. Mais je ne peux pas me taire non plus, ils me battraient aussi.

- Il s'agit de terroristes, petit, pas de partisans ! Connais-tu Jacques Bonergues ?
- Non, Madame.
- Tu mens !
Une seconde gifle, plus violente que la première ! Mais l’effet de surprise n'a plus joué et je suis resté assis sur le tabouret.

Comtesse me propose d'autres noms ; il y a des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, du village et d’ailleurs. Ceci, c’est pour ceux que je connais, mais la plupart me sont inconnus. Je nie en bloc.
Je ne connais personne, je viens de la planète Mars et je débarque à l'instant de ma soucoupe volante. De temps à autre je reçois une gifle, une brûlure ou un coup de poing, mais ma revanche, c’est que ces monstres ne tireront rien de moi. Pas un mot ! Pas une info !

Vu de loin la scène me semble grotesque : Gants-blancs avec son uniforme calandré, Balafre et son air de vieux baroudeur, Trompette le nigaud et Comtesse à mi-chemin entre gentille animatrice et sévère institutrice. Ils me semblent tous ridicules.
Et moi, le petit vagabond dans son pyjama rose, je complète idéalement la scène ! Une connerie monstrueuse en pleine guerre dans un village martyr !

N’empêche qu’ils exagèrent ! Balafre fait mal. Pour avoir la paix, je suis prêt à avouer n’importe quel crime, même l'assassinat de Jules César. Excédé, je me tortille pour placer la tête hors du faisceau de la lampe ; Trompette me contraint à garder les yeux tournés vers la lumière.
Je feins la résignation, Trompette me lâche et je bondis vivement vers la porte. Balafre et Trompette m'empoignent, me maîtrisent, me ramènent sur le tabouret et me maintiennent en position.
J'en ai marre, j'ai mal, j'ai peur, j'ai faim. Je ferme les yeux et j'attends patiemment la fin du cauchemar. Ce sont eux qui mentent, moi je dis la vérité.
- Qu'est-ce que je dois dire, Madame ?
- Les noms de tes amis !
- Je ne suis pas un partisan.
- Un terroriste ! Ton frère l’était.
- Mais moi, Madame, je ne sais rien, je vous jure.
- Parle ! Sinon tu vas souffrir de plus en plus. Tant que tu refuseras de parler, tu ne recevras rien à manger.
Les salauds ! Ils me tiennent.
- Et si je parle, Madame... ?
- Nous te donnons à manger et nous te libérons tout de suite.
- Je…
- Parle !
- Non ! J'ai rien à dire.
Balafre me donne un violent coup de pied dans le tibia gauche, je crie. La crapule ! Comme c’est facile de frapper quelqu'un qui est lié !
- Brutes ! Lâches ! Salauds ! Aïe !
Ce deuxième coup est plus dur que le premier. Je me raisonne et je me calme.