Negreira, 30 juin 2011
Je me lève à six heures. Je dors à moitié et je me prépare plus ou moins mal. Mes compagnons aussi sont fatigués.
Le pied droit fait affreusement mal. J'ai mis mon dernier Compeed et j'ai renoncé à doubler mes chaussettes, car cela serre trop les pieds.
Je marche péniblement et si je parviens à rester à hauteur de mes amis, c'est parce qu'ils cherchent
un bar.
Ils en trouvent un à la sortie de la ville.
Pendant le déjeuner, j'examine les orteils douloureux. Ils sont rouge vif. Je les couvre avec une compresse que je maintiens à l'aide d'une bande adhésive micropore.
Quand nous quittons le bar, cela semble aller un peu mieux, mais je traîne et je laisse aller mes compagnons.
À Carballal, je vois un bel horreo en excellent état.
La douleur diminue très lentement. Ce n'est qu'après sept kilomètres, à partir de Portela que je
marche un peu moins mal.
J'ai trop de retard sur mes compagnons pour espérer les rattraper. Mon objectif est de ne pas arriver
trop tard à Negreira.
Dans la ligne droite qui mène à Aguapesada, je vois au loin, juste devant moi, un incendie.
La forêt brûle du côté de Carballo. Le camino ne doit pas passer bien loin.
Un incessant défilé de Canadair tente de réduire le feu.
J'observe le coup réussi d'un pilote.
Il remonte à travers la fumée avant de lancer sa charge à contre-feu.
Je dépasse un pèlerin qui se demande si nous n'allons pas droit dans l'incendie.
Je lui dis que si c'était le cas, cela ferait longtemps que la Guardia civil nous aurait mis en garde.
Et de toute manière, si c'est trop dangereux, elle nous barrera la route.
Trop de gens passent par le camino !
Je monte sur la sierra de Trasmonte, un peu inquiet de me rapprocher du feu.
La fumée frôle un quatre-quatre.
À cet endroit l'incendie est sous contrôle, mais au nord il est encore très actif.
À droite de la route, le bois est rempli de volutes de fumée.
J'approche de Carballo, où l'incendie est passé et a été maîtrisé.
« Carballo » est un nom évocateur pour moi, car j'ai des ascendants portugais qui s'appelaient « de Carvalho ». Le chêne se dit « carballo » en galicien, « carvalho » en portugais, mais « roble » en castillan.
Je longe un bois où le feu est sous contrôle.
Des personnes s'affairent pour l'éteindre.
Un homme regarde le désastre et me dit que cela lui fait de la peine.
Une femme arrive en portant une pelle-pioche et elle me salut d'un « ¡ hola ! » désolé.
Je compatis à leur peine, et je me demande comment il se fait qu'on ne parvienne pas à mieux prévenir
et empêcher de tels désastres.
J'arrive dans une jolie petite vallée pittoresque, à Ponte Maceira.
Je traverse le pont de Ponte Maceira sur le río Tambre.
Je regarde un moment le río Tambre.
Puis je marche d'un bon pas jusqu'à Chancela, à l'entrée de Negreira.
Je téléphone à mes amis pour savoir dans quel gîte ils se sont installés. Pierre me dit qu'ils sont
derrière moi. Je tombe des nues !
En fait, ils ont mangé dans un bar à Ponte Maceira, à une trentaine de mètres du camino. Je les ai
dépassés sans le savoir.
Je fais demi-tour et je vais à leur rencontre. Nous nous installons à l'albergue San José, qui est très moderne et très agréable.
Je cherche un livre d'échecs et je n'en trouve pas, mais je tombe sur le « Campos de Castilla » d'Antonio Machado. Je l'achète. J'ai la version française à la maison.
Nous allons boire un verre de vin blanc.
Je lis à mes amis des poèmes de Machado, notamment sa « cantar » (chanson) la plus connue.
« Caminante, son tus huellas
el camino, y nada más ;
caminante, no hay camino,
se hace camino al andar,
... »
« Voyageur, les traces de tes pas,
c'est cela le chemin, et rien d'autre ;
voyageur, il n'y a pas de chemin,
le chemin, on le fraie en marchant,
... »
Plus j'approche de Fisterra, plus une bulle de joie me gonfle le cœur, je me métamorphose.