Santiago de Compostela, 29 juin 2011
J'ai bien dormi. Il y a longtemps que cela ne m'était plus arrivé.
Pour ne pas avoir trop mal au pied droit, je mets deux paires de chaussettes. Je me dis que deux
chaussettes élimées sont à peine plus épaisses qu'une chaussette neuve.
Je quitte la pensión à cinq heures et demie.
En dépit de l'obscurité, beaucoup de pèlerins sont déjà en route.
Je fais un petit tour dans le village avant d'aller à la cafétéria. Comme j'arrive, mes compagnons sortent de l'hôtel. Nous allons déjeuner ensemble.
Pierre, André C. et moi partons dans une foule de pèlerins tandis que Paul et André restent avec Ruben qui a des problèmes avec le service qui s'occupe du transport de son sac à dos.
Peu avant Lavacolla, une borne est couverte de symboles jacquaires.
Nous marchons d'un bon pas, nous traversons Lavacolla, un village emblématique du camino. Je le trouve assez semblable aux autres.
Je me sens plein d'enthousiasme à l'approche de Santiago. Je devance un peu mes compagnons et j'arrive devant l'innommable monstruosité sise au sommet du Monte del Gozo (mont de la Joie).
Nous prenons tous des photos de l'immonde sculpture.
En cela nous prouvons que nous appartenons à l'espèce humaine, à la fois attirés par l'insolite et mus par le souci d'imiter les autres.
Nous restons un moment sur le Monte del Gozo, nous mangeons sur le pouce, nous faisons tamponner notre crédenciale et nous parlons avec des pèlerins. Ils sont nombreux autour de nous, et il y en a dans tous les genres !
Quand nous repartons, le pied droit fait à nouveau fort mal. La douleur est clairement localisée
dans les deux petits orteils trop serrés.
Je ne parviens pas à suivre mes amis.
Je suis content d'avoir pu faire quinze kilomètres, mais je préfère progresser à petite allure.
Mes amis m'attendent à l'entrée de Santiago. Je leur dis d'aller de l'avant, que je finirai bien par les rejoindre.
Je passe devant le templier pèlerin à l'entrée de Santiago (rúa de San Lázaro).
Je regarde attentivement le monument dédié aux pèlerins illustres.
Finalement je dois admettre avec dépit que mon nom ne s'y trouve pas. Preuve que malgré la douleur, je garde le sens de l'humour !
En fait j'ai beaucoup de joie en moi. Je suis allé à pied de chez moi à Santiago, et cela importe bien plus que la douleur.
D'ailleurs, peu à peu, la douleur des deux orteils coupables diminue. Je prends ma vitesse habituelle et je rejoins mes compagnons peu avant d'arriver à la cathédrale.
Des indignados manifestent devant le gouvernement de Galice.
La femme d'André nous rejoint.
Quand elle apprend que je ne suis pas croyant, elle me sort le classique « on ne peut pas nier qu'il
existe quelque chose » qui rend compte de l'espoir sans cesse renouvelé d'un « autrement »
« autre part » « dans un autre temps ».
Cela me fait sourire, car cela me rappelle mes réflexions à Notre-Dame-de-l'Hermitage. Humain, trop humain ! L'être humain changera-t-il un jour ? Est-il capable de se surmonter ? C'est peut-être une question de survie pour l'espèce !
André termine ici son pèlerinage, Ruben aussi. Par contre, Paul, Pierre, André C. et moi, nous irons jusqu'à Fisterra.
Je revois Joseph, l'Alsacien qui a un insigne occitan sur le chapeau.
Nous allons chercher notre Compostela.
Ils me la refusent parce que je ne dis pas que ma démarche est « religiosa ». André C., qui passe avant
moi, a la même farce, mais il rectifie le tir en disant que sa démarche est spirituelle. Et il
l'obtient. Cela n'a pas l'air très sérieux.
Pendant que mes amis vont à la messe, j'achète des cartes postales, des timbres et des enveloppes. J'ai une bonne septantaine d'adresses dans ma liste.
Je compte surtout envoyer des vues de Fisterra, le véritable terme de mon voyage, mais j'achète aussi des cartes de Santiago, notamment pour les institutions religieuses, qui seront sans doute plus intéressées par la ville sainte que par le phare.
Je me renseigne aussi sur les albergues situés au centre de la ville. On me donne plusieurs adresses, mais les grands gîtes sont à l'entrée de Santiago.
Je reviens sur la Praza do Obradoiro, où les indignados manifestent pacifiquement.
Joseph me dit qu'ils pourraient aller manifester ailleurs. Je lui dis qu'une manifestation qui irait se
cacher dans un trou serait en quelque sorte un oxymore.
En fait ils manifestent devant le gouvernement de la Galice. La cathédrale et le bâtiment du gouvernement
sont de part et d'autre de la place.
Mes amis sortent de la messe. Pierre parle du balancement de l'encensoir.
Nous allons à l'albergue le plus proche, une auberge de jeunesse. Ma carte AJ internationale ne me
donne pas droit à une réduction, car nous dormons dans une chambre et pas dans un dortoir.
Nous nous installons et nous allons manger.
Mes compagnons vont à la gare des bus. Ils comptent aller en bus jusqu'à Gijón, le port d'Oviedo,
où un bateau les ramènera à Saint-Nazaire.
Pour ma part, je vais m'informer à la gare ferroviaire. André C. me demande de lui rapporter les heures
des trains pour Bordeaux.
À six heures et demie, Pierre me téléphone pour que je vienne en face du quarante, rue Vilar.
André est là avec sa femme. Il est déjà « en civil ». Il nous offre un verre d'adieu. Nous mangeons
ensemble et nous prenons un cognac dans un bar.
André nous quitte. Il sera le pèlerin avec qui j'aurai le plus marché.
Un peu plus loin, nous rencontrons Ruben. Il nous a cherchés toute la journée. Nous allons prendre deux verres avec lui. Et nous le quittons dans un adieu très émouvant. Il compte visiter l'Espagne avant de rentrer chez lui, en Uruguay.
Nous revenons au gîte vers minuit.
Demain le départ sera rude, d'autant que mes pieds sont dans un triste état. J'ai gardé mes chaussures
toute la journée et mes deux petits orteils sont tout écrasés et douloureux. Les Compeeds se sont
décollés.