Astorga, 19 juin 2011
Je suis prêt un quart à l'avance. Je descends pour déjeuner.
Le bar est fermé et le patron n'est pas là. Quand il viendra, il devra mettre tout en route. À quelle heure mangerons-nous ? Le temps s'annonce caniculaire et l'étape sera longue.
D'autres pèlerins me rejoignent. Nous avons les mêmes appréhensions.
À six heures et demie, certains pèlerins s'en vont sans avoir déjeuné. Comme il y a peu de ressources avant Hospital de Órbigo, ils vont devoir marcher des heures le ventre creux. Ils ne sont pas contents.
Mes amis et moi attendons patiemment.
À sept heures, tout le monde a quitté l'albergue sauf nous. Nous nous mettons en route. Heureusement,
hier nous avons acheté de quoi manger.
À peine sommes-nous partis que le patron arrive ! Nous préférons poursuivre notre chemin.
Cela me rappelle ma mésaventure à Tardajos. Je ne comprends pas la logique de certains commerçants en León et en Castille. Ils semblent nonchalants envers les clients. Dateraient-ils d'avant le culte moderne de l'argent ?
Nous décidons de déjeuner à Villavente, dix kilomètres plus loin. Il y a deux bars dans le village.
Le ciel est limpide, mais nous bénéficions de la fraîcheur matinale. Le chemin est une ligne droite et plate de cinq kilomètres que nous avalons rapidement, mais sur les quatre derniers kilomètres nous marchons moins vite.
À Villavente, c'est la fête. De toute évidence, elle a commencé hier. À neuf heures du matin, des
jeunes gens éméchés et recrus de fatigue errent sur la route aux abords de la salle des fêtes.
Ils crient et ils chantent, la sono donne à fond.
Suite à la fête les deux bars sont fermés. Nous ne pourrons déjeuner qu'à Hospital de Órbigo, cinq
kilomètres plus loin.
Le camino passe devant « Molina Galochas », une belle casa rural. Elle me semble très calme, je doute même qu'il y ait des pensionnaires. Pierre veut aller demander si nous pouvons y déjeuner. Je lui dis qu'il y a peut-être un bar dans trois kilomètres, à Puente de Órbigo.
Pierre se rend à la casa rural. Je crains que ce ne soit une perte de temps. En fait, aucun de nous ne croit que cela va marcher. Pierre sonne, on lui ouvre, il entre dans la maison. Nous attendons son retour. Peu après, Pierre reparaît sur le seuil et nous fait de grands signes.
Je vais à sa rencontre et je dis à nos compagnons de me suivre. Nous entrons dans la maison. Quelques locataires de la chambre d'hôtes déjeunent. Nous sommes admirablement bien reçus. Pierre a l'occasion de chanter en jouant de la guitare et du piano.
Notre hôtesse improvisée nous fait écouter des chansons françaises. Elle a une sœur et cinq cousines à Toulouse. Elle remplit gratuitement d'eau minérale la gourde de Pierre et ma bouteille.
Un pont incroyablement long traverse le río Órbigo et permet d'accéder à Hospital de Órbigo.
À Santibánez de Valdeiglesias, c'est la fête de l'été. Une puissante sono est prête à fonctionner. Pierre estime que s'arrêter à Justo de la Vega pour manger, c'est trop loin. Il a raison : c'est à huit kilomètres d'ici et seulement à quatre kilomètres d'Astorga.
Je n'ai pas faim et mes intestins ne sont pas au mieux. Je laisse mes compagnons se restaurer et je m'assieds sur un banc devant le refuge paroissial.
Plusieurs pèlerins attendent de pouvoir y entrer, d'autres pèlerins arrivent. Mais à cause de la fête du village, il ne reste que trois places libres. Le propriétaire met des matelas pour que les pèlerins puissent loger.
Mes compagnons ont bien mangé. Il nous reste douze kilomètres à faire, sous un soleil de plomb !
Nous passons devant une halte pittoresque peu après Santibánez de Valdeiglesias.
Cette carrière du Bierzo serait-elle une ancienne mine d'or exploitée par les Romains ?
Nous arrivons à la croix de Santo Toribio.
De là, nous pouvons voir Astorga dans la vallée, cinq kilomètres plus loin.
Après la croix, une forte descente mène au río Tuerto.
L'entrée d'Astorga est décorée d'un immense pecten.
Astorga est une ville jacquaire importante. Ici, à environ deux cent septante kilomètres de Santiago, le Camino francés, la voie mozarabe et la voie de la Plata se rejoignent.
Nous arrivons à Astorga vers trois heures.
L'albergue municipal est loin de la cathédrale. Nous préférons aller à l'albergue privé San Javier, grand mais agréable. Le dortoir compte cent lits, le déjeuner est à six heures et demie.
À cinq heures de l'après-midi, je constate que mes compagnons sont partis sans rien me dire. Je me
souviens de Burgos, où je les ai attendus en vain dans le froid sur une terrasse.
La fatigue et la chaleur augmentent à mon énervement. Et puis, en prenant de l'âge je deviens lunatique.
Je me rends à l'hôtel Gaudí, où nous comptions prendre un verre ; ils ne sont pas là. Je les cherche
pendant deux heures dans Astorga. Je finis par bien connaître la ville.
Je trouve un restaurant près du gîte qui sert des repas à partir de sept heures du soir, ce qui est tôt
pour l'Espagne.
Je téléphone souvent à André, mais il ne décroche pas. Je vais trois fois à l'hôtel Gaudí, je ne les
trouve toujours pas.
Finalement j'en ai marre. Je décide de partir seul demain, je ferai des étapes d'environ quarante kilomètres. Demain je serai à El Acebo, puis je ferai étape à Villafranca del Bierzo, Alto do Poio, Ferreiros, Palas de Rei, Santa Irene et je serai à Santiago le 26. Le 29 je serai à Fisterra.
Je vais souper à sept heures. Comme je suis à table, je vois la tête de Pierre passer de l'autre
côté de la fenêtre du restaurant. Je lui fais signe, il me voit. Mes compagnons comptaient manger
ici.
Nous mangeons ensemble. Je leur explique ce qu'il s'est passé.
Pierre me dit qu'il y a deux hôtels Gaudí, l'un à côté de l'autre. C'était dans l'autre qu'ils se trouvaient. J'ai fait tout le tour de la ville pour rien !
Nous allons boire un verre de cognac au « bon » hôtel Gaudí. Nous avons décidé de boire un verre de cognac à chaque fois que nous ferions étape dans une ville où se trouve une cathédrale.
La nuit il fait très chaud. Je retire mon tee-shirt et je reste en slip, hors de mon lit, mais je suis en eau tellement je transpire. En plus ma digestion est difficile. Je passe une nuit blanche.