De l'aube à l'aurore - L'ermite et le pèlerin - Tardajos (10 juin 2011)

Un monde à refaire

Cabo Fisterra

Tardajos, 10 juin 2011

Je pars peu après six heures.
Les « madrugaderos » (très matinaux) sont devant moi et la masse des pèlerins est derrière moi. Je jouis d'un agréable moment de solitude dans les bois jusqu'à Agés.

Le village d'Agés J'arrive au village dans le petit matin.

La joie qui m'a comblé hier ne me quitte plus. Mes pieds foulent le chemin, mais ma tête plane quelques mètres au-dessus du sol.

De loin en loin je vois un pèlerin devant moi.

Je vais déjeuner à las Cuevas, un bar d'Atapuerca.

Comme j'arrive au bar, j'en vois sortir... André !

Il a dormi ici, à seulement six kilomètres de San Juan de Ortega. Nous nous saluons chaleureusement. Il poursuit sa route avec ses deux compagnons tandis que je commande un copieux déjeuner. J'ai faim.
Le service est lent parce qu'il y a beaucoup de pèlerins. Je suis pressé de reprendre la route et je ronge mon frein.

Dès que je sors du bar, je trace pour rejoindre André.

L'homo antecessor Au passage, je salue l'homo « antecessor » d'Atapuerca.

On a trouvé ici, dans des grottes (« cuevas » en espagnol), des traces de présence humaine datant de plus d'un million d'années, une découverte qui prouve que la présence d'homininés en Europe est très ancienne.

Le chemin suit des sentes de moutons dans la rocaille.

Je rejoins André et ses compagnons à Cardeñuela Riopico.
Il se met à pleuvoir et nous mettons nos vestes imperméables.

Leurs sacs à dos disposent d'un sac imperméable avec lequel ils peuvent le couvrir. C'est très pratique. J'aurais dû acheter un sac à dos de ce genre, cela m'aurait évité de devoir trimbaler ces bruyants sacs en plastique.

André et moi échangeons nos informations.
Gaby et les deux Christian sont quatre-vingts kilomètres devant nous, à Frómista ou même plus loin. Je lui parle de mes cheminements avec Robert et Patrick.

Nous entrons ensemble dans Burgos.

André marche avec deux pèlerins, un couple d'amis, Pierre et Paul, qui sont partis ensemble de Saint-Jean-Pied-de-Port.

Ils ont l'intention de dormir à Burgos. Pour ma part, je préfère dormir en dehors des villes.

La traversée de la zone industrielle est longue et ennuyeuse, mais je trouve plus correct de la faire à pied quand on est pèlerin. Mes compagnons sont du même avis.

Il paraît que beaucoup de pèlerins prennent le bus à Castañares, ce qui leur permet de gagner une dizaine de kilomètres.

Le plus étrange, c'est que, bien que nous soyons vendredi, il semble que personne ne travaille à Burgos. Les magasins sont fermés. Je ne pourrai pas acheter de cartes postales. C'est plus grave pour André, qui voudrait trouver une pharmacie ouverte.

À l'entrée de Burgos, peu avant onze heures, un grand panneau indique neuf degrés centigrades, une température incroyablement basse ici en juin. André pense au climat en Écosse.

Peu avant d'arriver au centre, mes compagnons s'arrêtent pour manger. Ils ne consomment pas leurs aliments sur place comme je le fais. Ils les achètent, les transportent et les mangent quand un endroit leur convient.

Je n'ai pas de quoi manger.
Je leur dis que je vais jusqu'à la cathédrale, que j'irai au bar le plus proche de l'édifice et que je les y attendrai.

Je traverse la Plaza San Lesmes et à hauteur de la calle San Lesmes, je crois devoir suivre un petit cours d'eau vers la droite. J'arrive à un grand rond-point, après quoi j'emprunte sans conviction l'avenida de los Reyes Católicos.
Cela ne va pas, je vais vers le nord et pas vers l'ouest !

Je demande à un passant où se trouve la cathédrale. Il me ramène au rond-point, puis il me dirige vers la cathédrale par la calle de la Paloma.

Je lui demande pourquoi les magasins sont fermés un vendredi.
Il me dit que c'est la « fête du Corpus » (la Fête-Dieu / la fête du Saint-Sacrement), qu'à Burgos on la fête le vendredi qui suit la Pentecôte et que c'est une des plus grandes fêtes de Burgos.
Cette année, en Belgique, on la fête le jeudi vingt-trois juin, presque deux semaines plus tard.

Une des particularités de cette fête, c'est que les transports en commun sont gratuits. Parmi nos compagnons pèlerins, ceux qui auront pris le bus, auront eu une bonne surprise !

J'arrive devant la cathédrale.
C'est un immense monument d'un gothique flamboyant qui annonce le rococo, avec des dentelles en pierre plus prétentieuses que sérieuses. En bref il ne me plaît pas, je préfère la sobriété de l'art roman.
Je persiste à croire que Dieu est mort le jour où le gothique est né. Cette prétention de l'être humain à se vouloir maître des éléments me semble incompatible avec la foi religieuse.
Qui sait encore qu'à l'origine le gothique était un art profane boudé par le clergé ?

Je trouve un bar juste à côté de la cathédrale, un endroit idéal pour observer la place et repérer mes compagnons quand ils arriveront. En dépit de la fraîcheur, je m'installe à la terrasse. J'ai froid et je me couvre du mieux que je le peux.
Je commande un « bocadillo » et une bière.

Devant moi il y a la Puerta Real, une porte monumentale.
Je ne sais pas pourquoi, mais je m'imagine que mes compagnons viendront par la Porte Royale, cela fait bien. Je demande à la serveuse si c'est par là que passe le camino. Elle me le confirme.

J'attends, mais mes compagnons n'arrivent toujours pas.

J'ai l'impression qu'ils m'ont oublié et qu'ils sont allés à l'albergue.
Je demande où il se trouve. Il est au-dessus de la cathédrale, sur la calle Fernán González. Et c'est là aussi que passe le camino ! Il ne passe pas par la Puerta Real.

J'arrive à l'albergue de l'Asociación de Amigos del Camino de Santiago au moment où mes compagnons s'apprêtent à y entrer. Je demande à André le numéro de son portable et je lui donne celui du mien. Puis je les salue et je m'en vais.

Plus j'approche du parc El Parral, qui jouxte l'université de Burgos, plus il y a de monde. Le parc est bondé, c'est ici qu'a lieu la grande fête. Je tente de me frayer un chemin dans la foule. Plus moyen de voir les balises jaunes !

Il y a un bruit et une agitation insupportables. J'avance aussi vite que possible vers l'ouest, la direction la plus probable, sans trop savoir si je suis encore sur le camino.

Je sors de Burgos comme un zombie, assommé par le bruit, les odeurs et l'agitation. Je fais quelques kilomètres avant de pouvoir me remettre les idées en place.

Villalbilla de Burgos est un peu en dehors du camino.

Je m'arrête, je consulte mon topoguide et je trouve une « pensión » moins chère à Tardajos, trois kilomètres plus loin. Ce sont des kilomètres un peu pénibles après mes errances à Burgos, mon attente près de la cathédrale et la traversée de la fête.

Il est près de deux heures. Je suis fatigué. Je me force à aller jusqu'à Tardajos et je trouve sans peine la « pensión », qui se trouve sur la rue principale, presque au centre du village.

Camino gravé dans la pierre à Tardajos À Tardajos, le camino est gravé dans la pierre.

Je m'inscris et je m'installe.

Une pèlerine signale à sa compagne que les douches sont glacées parce qu'il n'y a pas d'eau chaude. Je me lave au lavabo. Il n'y a pas que l'eau qui est froide, le temps l'est aussi. Il fait très froid aux portes de la meseta !

Je fais un tour dans le village. Je découvre un gîte municipal. J'y rencontre des compagnons pèlerins.
Ils me demandent s'il y a moyen de manger à la pensión, car les magasins d'alimentation sont fermés. Je leur dis qu'il y a un menu pèlerin et qu'à mon avis ils peuvent venir, mais que c'est prudent de prévenir le patron, car il n'a pas l'air trop commode.

L'un d'eux marche en sandales.
Ce matin, un pèlerin lui a « emprunté » ses chaussures par erreur. Une des responsables du gîte a modifié le rangement des chaussures. Il chausse du 51 et son emprunteur du 47.

Incapable de chausser du 47, il a fait l'étape en sandales. Il me dit que mettre du 51 quand on chausse du 47, cela doit quand même se sentir. Son emprunteur prétend avoir juste remarqué que « ses » chaussures étaient plus confortables que d'habitude. Difficile de dire moins !
Comme son emprunteur loge à Burgos, huit kilomètres avant Tardajos, ils ont organisé un échange de chaussures via un taxi.

Il paraît que le temps va se réchauffer, dix-sept degrés aujourd'hui, vingt demain et vingt-trois après-demain.

Je m'interroge sur ma manière de marcher.
Je pourrais continuer à faire des grandes étapes et arriver à Fisterra bien plus tôt que prévu.
Par ailleurs, depuis le début de mon pèlerinage je marche plutôt seul et je n'ai pas fait l'expérience de faire partie d'un groupe. Et puis c'est bizarre de courir derrière André pendant des jours puis de le quitter dès que je l'ai retrouvé.

Bref, j'envisage de marcher avec André et ses deux compagnons.
Au moins cela me contraindra à ne pas courir comme un dératé. Je proposerai de participer à la caisse commune et j'écouterai ce qu'ils ont à me dire à propos de leur pèlerinage.

Demain je ferai une petite étape pour leur permettre de me rejoindre.

Je me demande où ils comptent s'arrêter.
J'espère que ce ne sera pas au refuge spartiate d'Arroyo San Bol, où il n'y a pas d'électricité, ce qui me poserait un problème avec mon appareil respiratoire.
Comme je doute qu'ils marchent trente kilomètres pour aller jusqu'à Hontanas, je pense qu'ils s'arrêteront à Hornillos del Camino.

Je vais souper.
Mes amis du gîte municipal sont là et sont contents d'avoir pu manger chaud sans que cela leur coûte cher.

Les deux pèlerines qui se plaignaient de l'eau glacée des douches ont décidé d'abandonner. Elles sont parties du Puy-en-Velay, mais elles ont connu quelques déboires en Espagne et elles en ont marre, surtout l'une des deux.

Le service de l'hôtel est fruste et sans délicatesse. Les serveurs décident unilatéralement quand nous avons fini de manger et nous retirent nos assiettes.
C'est la Castille, nous reculons de quelques décennies !
Mais le repas est bon.