La Roche-de-Lajo, 3 mai 2011
Comme souvent, quand j'ai eu l'occasion de parler de mes ruminations, je passe une bonne nuit.
Au lever je ne trouve ni mon portable ni mon Akiléine. Je m'énerve un peu, et je les retrouve. Ils se sont égarés dans ma veste imperméable quand je l'ai roulée en boule.
Initialement j'avais prévu de loger au Sauvage, mais comme le gîte était complet, j'ai réservé un peu plus loin, à la Roche-de-Lajo.
Je pénètre dans le pays de la bête du Gévaudan, une large région de la Margeride entre Saugues, Mende, Langogne et Marvejols.
À la sortie de Saugues, un grand pèlerin en bois nous montre le chemin.
Il paraît que Santiago est à 1.480 kilomètres d'ici.
À partir du Puy-en-Velay, le chemin est bordé de symboles jacquaires. Cela me change du chemin entre Vézelay et le Puy-en-Velay.
L'étape est plate et facile. Je marche d'un bon pas. Je suis bientôt seul.
De gros nuages sombres roulent dans le ciel, l'orage menace.
J'ai oublié ma bouteille d'eau au gîte. J'ai déjà fait cette bêtise à Aubigny-les-Pothées et à Saint-Remy-en-Bouzemont. Voici que je remets cela à Saugues, dans la Margeride !
Je me rends au gîte de la Clauze, mais il n'y a personne.
Un peu plus loin de la fumée sort d'une cheminée. J'y vais et je demande de l'eau. La dame m'en donne
dans une belle et solide bouteille de jus de fruits.
Cette bouteille, je vais essayer de la conserver longtemps, c'est un vrai petit trésor. Je remercie
chaleureusement ma salvatrice et je reprends la route.
Après ce geste, je prends une photo de la tour heptagonale qui domine la Clauze.
Les tours à sept côtés sont rares.
Je prends en photo Chanaleilles et son clocher-mur.
J'en verrai sûrement dans le Midi et en Espagne. Mais on en trouve aussi dans le nord de la France.
À Chazeaux je m'assieds à une petite table de pique-nique. Je mange six petits-beurre et je rédige mon carnet de bord. Les nuages deviennent de plus en plus sombres et nombreux, la pluie menace.
En quittant Chazeaux, je vois un bar bien placé pour les pèlerins. Je pourrais m'y arrêter et laisser
passer la pluie.
Mais c'est depuis ce matin que les nuages menaçants roulent dans le ciel sans donner de pluie ! Il ne
pleuvra sûrement pas avant le Sauvage, qui n'est qu'à quatre kilomètres d'ici.
À l'entrée du bois, aux Narcettes, un petit ru forestier sympathique m'accueille.
Il ne pleut toujours pas et dans deux bons kilomètres je suis au Sauvage.
Je croise un promeneur en bras de chemise ! Nous parlons du chemin et du pèlerinage. Il est très
sympathique, mais il prend un risque en allant sans veste sous un ciel aussi menaçant.
Cela dit, il connaît sûrement le pays mieux que moi et mes craintes sont sans doute illusoires.
Subitement la pluie tombe, elle est dense et drue. Ce n'est pas une averse, mais des trombes d'eau.
En deux minutes je suis trempé de la tête aux pieds.
Je marche d'un bon pas. Loin devant moi, deux pèlerins marchent aussi vite qu'ils le peuvent.
J'arrive au Sauvage complètement trempé. Je me réfugie dans un grand fenil où se trouvent une dizaine
de pèlerins. Nous avons tous subi la même mésaventure.
J'essuie tant bien que mal mon portable et mon appareil photo et je les mets à l'abri dans mon sac à dos.
Peu à peu la pluie devient moins drue. Je gagne froid à ne pas bouger.
Un couple de Hollandais reprend la route. Je fais de même. Je marche d'un bon pas pour me donner chaud.
Peu avant la route bitumée je dépasse mes compagnons hollandais. Ils ne semblent pas bien connaître le français et nous échangeons en néerlandais. Nous nous plaignons du mauvais temps.
J'arrive à la chapelle Saint-Roch. La Roche-de-Lajo n'est plus très loin.
Un groupe de pèlerins français mangent à l'intérieur de l'abri. Le couple hollandais arrive sur le
parvis de la chapelle. Je les invite à nous rejoindre.
Mais ils ne parlent pas français et il n'y a pas d'échanges avec les pèlerins français. Comme cela
m'arrive souvent maintenant, je suis assis entre deux langues. Je parle néerlandais aux uns et
français aux autres.
Les pèlerins hollandais ne tardent pas à reprendre la route.
Les Français sont bruyants et hâbleurs, ils participent à un pèlerinage organisé, ils ne portent
que de petits sacs de promenade, mais il y a plein de bonnes choses dedans.
Leur chemin n'est pas le mien.
Ils m'offrent du roquefort, il me goûte bien. Cela fait deux mois que je n'en ai plus mangé.
Comme la pluie est moins drue, je repars.
Comme convenu je téléphone à mon hôtesse. Elle m'indique la route à suivre pour arriver chez elle.
Mais il y a un malentendu. Elle m'a donné l'itinéraire à partir de la chapelle Saint-Roch alors que je
crois qu'elle me l'a donné à partir de l'intersection du GR 65 et de la route de Roche-de-Lajo.
Arrivé à cette intersection, je constate que rien ne ressemble à la description de mon hôtesse. Je
lui téléphone et je comprends mon erreur. Elle me donne un nouveau chemin qui passe par une fontaine
au bas du village.
Peu après j'arrive au gîte.
Mon hôtesse, madame Jalbert, attend dix-huit personnes. Je suis un des premiers à arriver. Elle m'offre un thé et nous parlons de choses et d'autres. C'est simple et chaleureux.
C'est ainsi que j'imaginais l'hébergement avant de partir. Je ne m'attendais pas à tant de surenchères dans les repas et le confort.
Tout naturellement, dans ce gîte qui me convient, je compare la frugalité du pèlerinage et la frénésie de consommation de notre société. Nous en parlons. Nous sommes du même avis.
Le lieu est très agréable, il me plaît beaucoup.
L'ambiance du gîte est simple, mais naturellement simple, ce n'est pas comme le gîte des Fromentaux
à Mazel, où une simplicité empruntée s'inspire d'idées et de principes qui, même quand ils ne se
contredisent pas, s'opposent à l'appréhension correcte du réel.
Dans notre chambre, il y a la dame et le jeune garçon qui ont dormi dans la même chambre que moi au Puy-en-Velay.
L'enfant se prénomme Noam, il a dix ans et il est le petit-fils de la dame, une hospitalière qui
connaît bien le chemin.
Noam a voulu faire le chemin du Puy à Aubrac, une semaine de marche dans une belle région au relief
exigeant.
Il a du courage, ce gamin, pour faire ses vingt-cinq kilomètres par jour.
Le repas commence par un potage aux orties et un autre aux courgettes, à se partager. C'est très bon. Puis c'est semoule et merguez, ou bœuf, ou poulet. Et cela termine par un délicieux cake aux myrtilles. C'est simple et bon.
De nouveau, cela me fait penser à la manière dont j'imaginais le pèlerinage.
Le gîte est très ancien. La mère de notre hôtesse l'a tenu pendant longtemps.
Nous parlons du camino et aussi de la vie simple d'autrefois.
Un couple accompagne l'hospitalière et son petit-fils.
Ils tentent de réserver un hébergement à Aumont-Aubrac et ils ont la chance d'en trouver un, car les
places sont devenues chères. Je sais qu'à Nasbinals, l'étape qui suit celle d'Aumont-Aubrac, tout
est déjà pris.