Saint-Privat-d'Allier, 1er mai 2011
Je suis dans les premiers levés.
Le nombre élevé de pèlerins complique l'organisation dans les gîtes. Il paraît qu'environ trois cents
pèlerins partent du Puy-en-Velay aujourd'hui.
Je donne un donativo, j'écris dans le livre d'or et je déjeune.
Je baragouine un peu d'allemand à mon voisin germanophone.
Un pèlerin suisse a égaré son guide et ses documents d'orientation. Les hospitaliers lui donnent des
indications sur la route à suivre.
Certains pèlerins parlent de couper au court à Montbonnet, ils comptent suivre la grand-route et ne pas passer par le Lac de l'Œuf. Un hospitalier leur donne raison : les « vrais » pèlerins prennent au plus court et ne suivent pas les chemins balisés.
Je pars à sept heures moins le quart.
Je suis seul. Cela me semble étrange quand je pense à l'abondance des pèlerins en ville hier. On m'a dit
qu'une bonne centaine de pèlerins iraient à la bénédiction, cela n'explique donc pas tout.
Je suis probablement trop matinal.
Peu après le gîte des Capucins, je constate que j'ai oublié ma casquette. J'en ai besoin, car il va faire beau. Je retourne au gîte, mais je ne la trouve pas. Un hospitalier m'en donne une, il s'agit d'un cadeau d'un ancien pèlerin.
Les hospitaliers ont retrouvé les documents du pèlerin suisse, mais il est parti. Je pourrais les prendre pour les lui rendre, mais il y a peu de chances que je le rattrape. En plus il compte aller jusqu'à Monistrol-d'Allier alors que je m'arrête avant, à Saint-Privat-d'Allier.
Cela dit, la casquette fait mon affaire, car la journée s'annonce chaude. Elle ne protège pas la nuque, mais il me suffit de relever le col de ma chemise.
Je quitte le gîte à huit heures moins vingt.
À la sortie du Puy, un panneau donne la distance jusqu'à Compostelle : 1.521 kilomètres.
Pour moi, il y aura deux cents kilomètres de plus à cause de mon détour par Rocamadour et de ma prolongation jusqu'à Fisterra.
Dans la montée après le Puy-en-Velay, je dépasse quelques pèlerins. Certains se reposent sur un banc après avoir déposé leur sac, qui est visiblement trop lourd. Ils devront se décharger du superflu à la première occasion.
Pour moi, qui ai plus de mille kilomètres dans les pattes avec de solides grimpettes, la montée du
Puy est agréable. Elle est régulière, le sol est bon et elle n'est pas très dure.
Mais pour ceux qui débutent leur pèlerinage par cette côte, cela doit être différent. La montée est plus
forte que celle de Fralignes, en Champagne, une côte qui m'avait mis en difficulté.
En haut de la côte, un panneau signale que Compostelle est à 1.698 kilomètres.
Cela fait 177 kilomètres de plus que sur le panneau d'en bas.
Me serais-je éloigné du but ? Comment puis-je m'éloigner de 177 kilomètres en
vingt-deux minutes, à une vitesse de 482 kilomètres par heure ?
Cette particularité m'amuse. Je dis à quelques pèlerins qui me suivent qu'il faudrait peut-être faire
demi-tour puisque nous nous éloignons de Compostelle. Cela prouve en tout cas qu'il ne faut pas
trop faire confiance aux kilométrages indiqués sur les panneaux.
Peu avant la Roche, au carrefour du chemin qui mène à Brossac, un promeneur m'explique que les
« vrais » pèlerins vont à gauche, vers Brossac et suivent un chemin balisé avec des coquilles
jaunes, pour rejoindre le lac de l'Œuf, un passage obligé pour tout « vrai » pèlerin.
D'après lui, les « faux » pèlerins suivent le GR pour boire aux bars répartis le long du GR.
Ce gars fait la paire avec celui qui expliquait ce matin que les « vrais » pèlerins coupaient au
plus court et ne passaient pas par le lac de l'Œuf.
Quoi qu'on fasse, il y aura toujours quelqu'un pour dire qu'on a tort et quelqu'un
d'autre pour dire qu'on a raison.
Mais en général, ceux qui parlent haut et ont les mots « vrai » et « faux » au bout des lèvres ne sont
pas ceux qui agissent.
Je m'en tiens à ce que j'ai décidé, à savoir suivre le GR 65 au plus près.
Après la Roche, je longe le ravin du ruisseau de la Roche, un endroit sauvage comme je les aime.
Il y a peu de pèlerins, j'en vois un de temps à autre, soit devant moi, soit derrière moi.
J'arrive en pleine forme à Saint-Christophe-sur-Dolaison. Le temps est agréable, je m'assieds, je mange quelques petits-beurre et je rédige mon carnet de bord. Le moral est bon.De temps à autre des pèlerins passent, mais il ne semble pas y en avoir des centaines comme annoncé au Puy-en-Velay.
J'ignore si les chiffres sont gonflés, si les pèlerins partent plus tard ou s'ils empruntent d'autres chemins.
Je grimpe d'un bon pas jusqu'au lac de l'Œuf, qui n'est pas un lac, mais une tourbière asséchée.
Peu avant le Chier, à hauteur de Fontoubette, j'observe la Margeride (en arrière-plan), une superbe région que je vais traverser au cours des prochains jours.
Avant de descendre à Saint-Privat-d'Allier, je prends une photo de la vallée du Rouchoux.
La route qui passe sur le pont est la départementale 40.
Je marche d'un bon pas sur un petit sentier qui me rappelle les sentes pierreuses entre Vézelay et le Puy-en-Velay.
Et me voici déjà à l'entrée de Saint-Privat-d'Allier avec ce bâtiment élevé, long et étroit devant l'église.
J'ai fait ma première étape sur la Via Podiensis.
Quelques pèlerins sont attablés à un bar.
Je trouve aisément la Cabourne, le gîte où j'ai réservé.
Il y a des travaux de réfection. Le gîte ouvre à quatre heures. Il est une heure vingt. Je fais un tour
dans le village : il y a très peu de pèlerins, nous sommes une dizaine tout au plus.
Peu avant trois heures, le pèlerin suisse qui avait égaré ses documents, arrive à Saint-Privat-d'Allier.
Il est éprouvé par la marche et par la chaleur.
Il m'apprend qu'une hospitalière lui a rapporté ses documents à la sortie de la bénédiction des pèlerins.
Je lui demande pourquoi il s'impose de si longues étapes. Il m'explique qu'il n'a que trois semaines
pour arriver à Saint-Jean-Pied-de-Port, ce qui l'oblige à marcher plus de trente kilomètres par jour.
Je ne voudrais pas me mettre un tel carcan autour du cou !
Je lui souhaite bonne chance, nous nous saluons et je le vois monter vers Rochegude.
Je descends avec un pèlerin allemand au bar du Kompost'l.
Deux pèlerins descendent à Monistrol-d'Allier par la grand-route pour éviter la montée de Rochegude.
Chacun son chemin !
Nous sommes nombreux, mais bien moins que trois cents.
Ce qui a fort changé, c'est que je rencontre des pèlerins. Même s'il n'y en a que quelques dizaines, cela
fait foule par rapport à ce que j'ai connu. Cela donne un autre sens à ma marche.
La majorité de ceux que je rencontre sont partis du Puy-en-Velay, ils font leurs premières armes. Ils
vont marcher de mieux en mieux dans les jours et les semaines qui viennent.
Le repas nous est servi avec une demi-heure de retard afin de bien cuire la blanquette de veau.
Nous n'attendons pas en vain, car elle est excellente. J'ai rarement si bien mangé. Nous parlons du
Camino, des expériences vécues par certains pèlerins et du Canada, car il y a un Canadien à notre
table.