De l'aube à l'aurore - L'ermite et le pèlerin - Le Puy-en-Velay (30 avril 2011)

Un monde à refaire

Cabo Fisterra

Le Puy-en-Velay, 30 avril 2011

J'ai dormi neuf heures. Pourtant je suis fatigué. Jamais plus je ne ferai une étape comme celle de Retournac, trente-huit kilomètres dans un relief exigeant. C'est trop long et trop dur.

Je rends les clefs à l'hôtel-restaurant des Rives de l'Arzon.

Puis je grimpe vers Ceneuil. Le brouillard est très dense.

Au début de la côte, un panneau signale que je suis à 11,3 kilomètres de Lavoûte-sur-Loire. Au sommet, un kilomètre et demi plus loin, un autre m'apprend que j'en suis distant de 11,2 kilomètres.
Voilà que j'ai fait un kilomètre et demi pour progresser de cent mètres (si j'en crois les panneaux) !

Je monte jusqu'à Ceneuil, un village sur une butte au pied d'un puy, le Suc de Ceneuil, un endroit superbe avec un magnifique point de vue, sauf que le brouillard est à couper au couteau.
J'ai fait un détour et une montée bien inutiles !

Ceneuil dans le brouillard Par dépit je prends une photo du brouillard.

Cela dit, si j'ai fait ce détour, c'est parce que je le voulais. Je savais qu'il y avait du brouillard.

Ma manière de marcher a complètement changé. En Champagne j'étais toujours prêt à emprunter un raccourci ; maintenant je suis toujours prêt à faire un détour.

Je situe mon changement d'attitude à l'étape de Saint-Anthème, à hauteur de la Grande Pierre Bazanne. Un bref instant j'ai hésité à aller jusqu'à la pierre parce que c'était un détour de deux fois trois cents mètres, mais je l'ai quand même fait en dépit de la longueur de l'étape.

Deux jours plus tard, j'ai choisi le chemin le plus long entre Apinac et Retournac.
Et hier, si j'ai parfois gagné quelques centaines de mètres, c'était surtout pour éviter des difficultés.
Mon attitude vis-à-vis de la marche a changé. À présent je suis disposé à faire des tours et des détours et à faire de longues étapes.

Le chemin est bon, il est bien tracé et bien balisé. Néanmoins, les pectens européens de Saint-Jacques sont dans n'importe quel sens, ce qui ne les rend pas fiables pour suivre le chemin.

Quand j'arrive à Lavoûte-sur-Loire, le soleil s'efforce de percer le brouillard. J'espère voir le Puy-en-Velay par temps clair. La joie me gagne à l'idée de voir la ville et ses puys depuis la plaine de Rome.

Un ancien pont en ruine à Lavoûte-sur-Loire

À la sortie de Lavoûte-sur-Loire, un grand pont de chemin de fer surplombe le vieux pont en ruine. Je prends celui-ci en photo en évitant de montrer celui-là.

Le moulin de Lavoûte Polignac Près du château de Lavoûte Polignac, le moulin du même nom, un bâtiment moderne, évoque le style du château.

Ceyssaguet est en haut, près du petit bâtiment situé entre les deux sommets. Il y a trois cents mètres de dénivelée.
Un ancien pèlerin m'a fait une terrible description de la montée. Je la trouve rude mais régulière, je la grimpe sans peine.

La Loire à Lavoûte-sur-Loire D'en haut je fais mes adieux à la Loire, je ne la verrai plus.

Le pèlerin passe, l'ermite revient sans cesse.
Le pèlerin découvre, l'ermite approfondit.
Le pèlerin chemine, l'ermite rumine.
Le pèlerin est un investigateur, l'ermite est un expert.

Suis-je un philosophe des âmes ?
Quel niveau de vérité puis-je supporter ?
Qu'est-ce qu'un philosophe ?
S'agit-il de mettre en accord ce qu'on fait avec ce qu'on dit ?
Il s'agit d'une préoccupation de philologue et non de philosophe.
Clin d'œil à Friedrich Nietzsche !

Borie en pierre Près de la Barbeyre, je passe près d'une petite « borie » (un abri) en pierre en bon état.

Je me dirige vers Polignac. On peut aussi arriver au Puy par Tressac, mais je préfère suivre les balises.

La forteresse de Polignac

Polignac est dominé par une forteresse juchée sur une haute butte basaltique. On la voit de loin.

Pour arriver au village il faut monter, et la forteresse est encore plus haute.
Je me repose dans le village.

Dans la descente, juste après avoir traversé la départementale 13, je rencontre un pèlerin qui me connaît et que je ne connais pas. Il est arrivé un jour après moi à Notre-Dame-de-l'Hermitage et les hôtes du sanctuaire lui ont parlé de moi.

Cette nuit il a logé sous tente sous une pluie abondante. Il tente de sécher ses affaires. Les semelles de ses souliers se détachent.
Il compte se reposer quelques jours chez des proches qui habitent au Puy-en-Velay avant de poursuivre son pèlerinage. Quand il reprendra la route, il fera des étapes plus courtes.
Je lui souhaite « buen camino » et je continue vers le Puy.

Maintenant je suis à deux pas de la plaine de Rome, ce qui me donne des ailes.
Après une dernière montée j'y accède.

Notre-Dame de France Voici la statue de Notre-Dame de France, au-dessus du Puy-en-Velay.

Le Puy-en-Velay

Le Puy est en contrebas, je peux contempler la ville.

Je m'en mets plein les yeux, puis je descends. Je suis au Puy, je ne parviens pas à le croire.
Je passe une passerelle sur la Borne, j'arrive à l'Aiguilhe, j'ai l'impression de rêver, je marche sur un nuage. Je suis au Puy, je l'ai fait, je suis allé de chez moi au Puy-en-Velay !

Pas une seconde l'idée d'arrêter ici mon pèlerinage ne me vient à l'esprit. Cette fois je vais à Fisterra, c'est sûr !

Je tatonne un peu dans la vieille ville avant de trouver le gîte des Amis de Saint-Jacques, rue du Cardinal de Polignac. Je reçois un excellent accueil avec un maximum de précautions contre les punaises, mais de cela j'étais au courant déjà avant mon départ.

Partout dans cette ville, partout il y a des pèlerins. Moi qui ai marché seul ou quasi seul jusqu'ici, je suis déconcerté.

Je ne trouve pas la carte IGN de Nasbinals-Ginestouse, même pas dans un magasin de la FFRP. C'est un tronçon du chemin qui me préoccupe, car il est en pleine nature dans l'Aubrac.

Je reviens au gîte. Le verre d'accueil est à sept heures.
Je réserve quelques hébergements. Beaucoup d'endroits sont déjà pris. À partir d'ici je devrai réserver tôt si je veux avoir de la place. J'arrête mes réservations à l'étape de vendredi, celle de Saint-Chély-d'Aubrac.

C'est alors que je constate que je me suis trompé : le verre d'accueil est à six heures moins le quart.
Il est déjà sept heures moins vingt. J'y cours. J'arrive au moment où les pèlerins s'en vont.
C'est un milieu très catholique. Il y a une grande photo de Benoît XVI et beaucoup d'accents pieux pour la canonisation de Jean-Paul II.

Une canonisation ! Cela me semble affreusement anachronique. L'engouement pour ces comédies d'un autre âge subsiste en quelques lieux comme celui-ci.
Je ne suis même pas certain que beaucoup de Catholiques y attachent de l'importance. Ils sacrifient seulement à de vieilles traditions pour affirmer leur identité. Mais gare aux tentations et aux sentiments identitaires ! Ils sont porteurs des pires crimes.

En plus, ce que j'appelle le « paganisme catholique » me semble pesant au Puy-en-Velay, avec un culte marial indécent pour une religion monothéiste. Tout cela me donne la nausée. J'évite de passer par la cathédrale et je vais dormir. L'expérience de Vézelay m'a suffi.

Il y a des ronfleurs dans notre chambre, je dors assez mal.
Il y a aussi une dame accompagnée d'un enfant d'une dizaine d'années. Font-ils, eux aussi, le pèlerinage ? Faire des étapes de vingt à trente kilomètres, cela doit être dur pour un enfant.