De l'aube à l'aurore - Les non-dits d'Olivier - La mesure de toutes choses

Un monde à refaire

Oradour
Goutte de sang

La mesure de toutes choses

« Les êtres humains se prennent pour la mesure de toutes choses et cela les conduit à la démesure. » (in Goutte de sang, page 135, lignes 5 et 6)

En fait, Protagoras d'Abdère a dit : « L'homme est la mesure de toutes choses, pour celles qui sont, de leur existence et pour celles qui ne sont pas, de leur inexistence. » Selon lui, la valeur que nous accordons aux choses ne résulte que de conventions, elle n'est jamais absolue.

Dans « Goutte de sang », les occupants parlent ainsi de « démocratie », d'« économie de marché », d'« humanisme » et de « liberté » tandis que les partisans parlent de « patrie », de « liberté » et de « civilisation ».
Derrière tous ces grands mots se cachent des représentations simplifiées du monde que nous prenons pour des vérités, que nous saturons de sens en nous racontant des histoires et en accumulant des anecdotes pour les illustrer.
Rien ne prouve que le cerveau humain soit rationnel. Il est bien plus probable qu'il soit fonctionnel, c'est-à-dire que ces raccourcis et ces simplifications nous permettent d'agir sans devoir examiner le réel dans toute sa complexité.

Tout cela serait supportable si nos cœurs humains ne s'enflammaient pas aussi vite aux claquements des oriflammes avec une ardeur et des cristallisations qui n'ont rien à envier aux passions amoureuses de Julien Sorel décrites par Stendhal.
C'est ainsi que les guerres mobilisent les foules et que les conflits écrasent les innocents !

De la même manière, aujourd'hui, l'argent sert-il moins à échanger des biens et des services qu'à produire de l'intérêt par la spéculation financière. Que cette spéculation entraîne la pollution, le chômage, la malnutrition et accroisse les inégalités est devenu une évidence !
Pourtant celui qui dispose d'une grosse somme d'argent court vite chez son banquier pour savoir combien il peut en tirer sans prendre trop de risques. Et s'il ne le fait pas, il y a suffisamment de gens autour de lui pour lui dire qu'il est idiot.

Alors que nous ne supporterions pas que l'enfant du voisin ressemble à un petit affamé, que nous refuserions qu'il meure de faim, nous supportons qu'il en meure des millions au nom de l'intérêt « produit » par l'argent, que nous trouvons « normal ».
Et pour nous disculper et continuer à croire à nos « vérités », nous sommes prêts à inventer mille et une histoires, à prétendre que les lois de l'économie sont intangibles, à désigner d'autres coupables, à charger des boucs émissaires.

Et pendant ce temps, les enfants meurent de faim, la planète est de plus en plus polluée, le réchauffement climatique est là...
Ainsi souffre l'innocent, ainsi meurt-il du simple fait que nous croyons trop à des vérités tout compte fait très singulières !

« Les êtres humains se prennent pour la mesure de toutes choses et cela les conduit à la démesure. »
Merci, Olivier.

Pourrions-nous devenir assez méchants envers nous-mêmes que pour regarder nos « vérités » avec méfiance, que pour questionner nos représentations simplifiées du monde, que pour relativiser ces histoires que nous ne cessons pas de nous inventer ?

Francis Gielen, 17 novembre 2013