De l'aube à l'aurore - La marche d'étoiles (5/10)

Un monde à refaire

Lune dans le ciel

La marche d'étoiles (5/10)

Nuit d'hiver dans les bois

Ensuite vient une oppression sourde et lancinante qu’il connaît bien ; elle le prend au ventre comme un grand vide douloureux, elle croît lentement et l’étreint de l’intérieur ; c’est la faim, la faim maîtresse du corps. « Maintenant c’est fini, dramatise Marc. Qui va me donner de quoi manger ? ». Il relève la tête et crie à tue-tête : « J’ai faim, j’ai faim ! ». Mais ses cris se perdent dans le silence feutré de la neige ; alors il pleure son abandon à grosses larmes chaudes.

Avec résignation il poursuit sa marche et s’apaise lentement.

Le trappeur guide son traîneau vers la ville ; à perte de vue la neige recouvre le pays ; il a fallu calmer une querelle entre les deux chiens-loups de tête, mais à présent on file à belle allure ; le chasseur fait claquer son beau fouet en cuir ; les peaux sont belles et nombreuses, il pourra en tirer un bon prix ; il y a aussi le piège à faire réparer. Holà ! Le piège glisse hors du traîneau ; Marc tente de le récupérer, mais il perd l’équilibre et roule dans la neige ; le temps de se relever et les chiens ont disparu. Que faire seul dans l’impassible immensité glacée ?

La gorge est irritée ; avaler de la salive calme un peu la douleur, mais ne réduit pas l’inflammation.

Le petit garçon perd courage.

« À quoi bon continuer de marcher ? Tout seul je ne peux pas m’en sortir. »

« Pourquoi aller tout droit ? Pourquoi ne pas tourner ? Toutes les directions sont également mauvaises. »

« Qui m’indiquera la route à prendre, celle qui mène à la maison, au feu, au repas et au lit ? »

« Sur cette terre désolée, je suis un étranger ; ce n’est pas ici mon pays, il y a longtemps que j’aurais dû m’en aller. »

Marc s’accroupit ; il décide de ne plus bouger et d’attendre du secours.

Quelques mètres plus loin, sur la gauche, des taches sur la neige ! Il s’y rend en quelques bonds : ce sont des traces de pas ! Quelqu’un vient de passer, nain ou enfant ; sa joie bondit, il est sauvé. Fougueusement Marc suit la piste du salut, rai de lumière dans sa détresse. Les traces le mènent d’où il vient ; il a dû rater la maison du salut de peu.

La neige tombe paisiblement avec méthode et douceur, elle dresse un paysage irréel autour du garçon frigorifié ; depuis qu’il est soulagé, il ressent toute sa fatigue, il bâille longuement en imaginant l’accueil de ses sauveurs.


Des traces rejoignent les premières à demi effacées par la neige ; tout espoir, tout bonheur tiennent dans cette route.

La neige cesse de tomber. L’enfant tousse.

À présent, ce sont trois personnes qui l’ont précédé sur ce sentier ; ce n’est plus une maison, mais un village qui l’attend.

Soudain Marc s’arrête. Ces traces, ce sont des pieds nus tout semblables aux siens ! Il comprend qu’il suit ses propres traces de pas, que depuis tout ce temps il tourne en rond.

Alors une douleur aiguë le traverse comme une lame en acier, la souffrance ne cesse pas de croître, donne le vertige. La déception est trop grande, Marc va crier ; il lance sur le plateau une plainte insensée de toute la force de ses (petits) poumons, puis il s’écroule sur le sol.

Des larmes lourdes et aigres crevassent ses joues ; l’angoisse de la faim, l’inexorable fixité du monde enneigé, le ridicule tragique de sa petitesse et ce froid intense qui brûle la chair ! Ses pleurs sont silencieux, lucides, désespérés.

Incroyablement seul !

Un désir fou le prend de s’enfouir dans cette neige fragile et glacée pour y disparaître, pour quitter ce monde trop méchant ; il s’agenouille, une force en lui s’y refuse.

Le voici couché sur la neige ; avec volupté il pense : « C’est la paix, le calme, la fin ! ». Il ferme les yeux.

La neige fond et une eau glaciale imbibe ses vêtements, court sur la peau ; un frisson le parcourt tout entier ; à cause du froid l’enfant ne trouve pas ce sommeil qu’il désire comme un dernier soulagement, n’étant capable de nier le désespoir qu’en refusant de vivre.

Il restera longtemps ainsi.