Pamplona, 3 juin 2011
À sept heures vingt je suis sur la route.
Pour ce que j'en sais, l'étape se résume à quelques petites montées suivies d'une forte descente
vers Zubiri, puis d'un chemin plat le long du río Arga pour arriver à Pampelune ou même à Cizur
Menor si je me sens en forme.
Cela fait quarante kilomètres assez faciles, mais hier j'en ai fait trente-trois en traversant les
Pyrénées.
En fait j'espère rattraper certains de mes compagnons du Puy-en-Velay, notamment André.
Si je fais des étapes de quarante kilomètres et eux des étapes de trente, je gagnerai dix kilomètres
par jour. S'ils ont septante kilomètres d'avance, je les rattraperai en une semaine.
Ce n'est vrai qu'en partie, car maintenant ils sont entraînés et marchent plus vite.
L'aménagement du gué du río Sorogain est simple et pratique, c'est une conception que j'ai déjà rencontrée en Irlande.
Le chemin est bien tracé, mais il y a plus de montées que je m'y attendais, et elles sont dures ! Mes efforts d'hier me les rendent pénibles.
Avant Larrasoaña, je ne rencontre que deux pèlerins, un sportif qui marche très vite et disparaît rapidement et un jeune Espagnol, tout aussi rapide, que je rejoins de temps à autre parce qu'il s'arrête souvent.
Je passe sur une passerelle à hauteur de Zubiri.
La région me plaît, elle me rappelle les Ardennes et le Jura, avec des chemins boisés, parfois boueux et défoncés et un climat frais et humide. Je me sens un peu chez moi.
La grande usine de magnésie de Zubiri est un désastre industriel comparable à celui du gaz de Lacq.
Ici on produit du magnésium pour l'alimentation et la dépollution. Et on pollue toute la région, de Zubiri à Larrasoaña !
Les déchets minéraux rejetés par l'usine sont répandus sur des hectares.
Le camino zigzague entre poussières et rejets.
J'arrive à Larrasoaña peu avant midi, c'est une contre-performance. Je paie mes efforts d'hier.
Mais Cizur Menor n'est plus qu'à vingt kilomètres et comme le chemin suit le río Arga, je me dis que cela devrait aller.
Un pont romain sur le río Arga permet d'aller à Larrasoaña.
Sur la place principale, trois pèlerins abandonnent leur bâton et prennent un taxi.
Les bâtons oubliés sur le banc en pierre symbolisent la fin du pèlerinage.
Ainsi un jour la vie s'arrête.
Moi aussi un jour je laisserai mon bâton sur un banc quelque part.
Le bar du village est fermé, je me demande comment je vais manger.
En revenant vers le pont, je vois un couple de jeunes pèlerins s'affairer autour de deux
distributeurs.
Ils parlent anglais. Je leur dis que je cherche de la nourriture. La pèlerine me montre qu'un des
distributeurs offre des sandwiches. Je la remercie. Ouf ! J'ai de quoi manger.
Le long du río Arga, le chemin est une succession de montées et de descentes pour éviter la grand-route. Ma belle descente régulière et facile est une fiction.
Je photographie des maisons et des collines près d'Irotz.
Le relief est marqué dès qu'on quitte la grand-route et les rives du río Arga.
La ville d'Arre annonce déjà Pamplona.
La joie me gagne à l'idée d'arriver à Pamplona, la ville des taureaux.
Mithra, salut ! Salut à toi !
Salut à tous les dieux morts !
Le jugement dernier des dieux est pour bientôt.
Je traverse le pont de Trinidad de Arre, sur le río Ultzama, à l'entrée d'Arre.
Je suis content, car j'en ai marre de monter et de descendre sans cesse.
J'ai l'impression de mettre un temps infini pour atteindre le pont Magdalena, à l'entrée de la vieille ville.
Il y a encore cinq kilomètres jusqu'à Cizur Menor.
Je vois un albergue sur ma gauche, la casa Paderborn, et je m'y rends. Cizur Menor, ce sera pour
demain.
L'albergue est très accueillant.
Doris, une des hospitalières, a une ascendante qui porte le même nom que le mien (Gielen).
Elle me dit que c'est un nom d'origine allemande. C'est du niederdeutsch alors, parce que le berceau
de ma famille, c'est le Limbourg, qui s'étend sur une partie de la Belgique (Hasselt et Limbourg),
des Pays-Bas (Maastricht) et de l'Allemagne (Aachen / Aix-la-Chapelle).
Je m'installe et je prends une douche.
Il est trois heures et demie. Après Larrasoaña, j'ai marché plus vite.
Je visite la ville et je fais quelques achats. Moi qui n'aime pas trop les pierres taillées, je trouve la ville très agréable. Pampelune vaut la visite.
Je ne me sens pas vraiment fatigué.
Si je m'étais reposé une demi-heure à Pampelune, je serais allé sans peine à Cizur Menor, mais j'aurais
raté un bon moment dans la ville.
En coupant mes étapes en deux, je peux facilement faire quarante kilomètres par jour.
Je vais au restaurant recommandé par le gîte.
À ma table il y a un Suédois et un Roumain. Nous échangeons en anglais.
Le Roumain habite à Barcelone et il travaille ici. Il loge dans la ville et il mange dans ce restaurant. Le plat du jour (ou « menu pèlerin ») coûte dix euros et il est très bon.
Le Suédois est un pèlerin qui est parti de Saint-Jean-Pied-de-Port et va à Santiago de Compostela. Il me fait remarquer que ma chemise est d'origine suédoise. Il est vrai qu'elle porte un petit drapeau suédois. Elle est très agréable et très confortable.