Le Vigan, 15 mai 2011
Je me lève tôt, car je crains que la journée ne soit chaude. En plus je dois ranger toutes les affaires que j'ai mises à sécher hier.
Une fois prêt, je sors de la chambre. Tout le monde dort. De nouveau, cette manie de se lever tard risque de m'envoyer dans la fournaise.
Je fais un petit tour sur le chemin que je prendrai tout à l'heure et je rencontre un grand chien noir.
Je déjeune un peu avant huit heures. Mon hôte est serviable et disponible.
Il me parle des grelots qui servaient autrefois à signaler les chevaux d'attelage aux passants. On en
fabriquait ici, d'où le nom de la maison, la « Grelottière ». Il me montre sa collection de grelots.
Je pars à huit heures et quart. Et je retrouve le chien noir sur le chemin. Il semble m'attendre. Je dois lui plaire. En tout cas il se met à marcher avec moi. Je le laisse faire.
Plus j'avance plus je suis inquiet. Ce chien est bien soigné, il doit appartenir à quelqu'un.
Peut-être croit-il que je ne fais qu'un petit tour ?
Je ne suis pas sur le camino ici. S'il me suit toute la journée, il va se retrouver au Vigan, bien
loin de chez lui.
Je le chasse. Il s'enfuit, mais son flair lui permet de me retrouver. En fait il joue avec moi. Il
ne me quitte qu'en vue de la Croix du Crouzol, à deux kilomètres et demi de la Grelottière.
Il me semble qu'il a l'habitude de vagabonder sur ces chemins.
La Croix du Crouzol (ou col de Magès) est un lieu superbe.
Je suis entre les gorges de l'Alzou et celles de l'Ouysse, sous le Pech Teylou et le village de Magès,
entre ciel et terre, avec des paysages splendides à n'en plus finir. C'est un lieu magique comme
je les aime !
L'aval, ce sont les gorges de l'Alzou, par où je suis venu.
À gauche, sur la butte, on aperçoit quelques maisons de la Fage.
L'amont, ce sont les gorges qui prolongent celles de l'Ouysse.
La rivière surgit de terre non loin d'ici, au gouffre de Cabouy.
Ce n'est qu'après avoir longuement contemplé le paysage que je prends conscience qu'il y a un marcheur un peu plus bas sur le chemin. Il parle à son portable. Je m'en approche et je reconnais Robert, le faux gendarme !
Il justifie ses dépenses à sa femme qui, apparemment, contrôle tout et estime invariablement que c'est exagéré. Il promet de dépenser moins, il lui assure qu'en Espagne cela coûtera moins cher.
Ceux qui critiquent son comportement devraient le savoir. Je ne lui donne ni tort ni raison, je crois seulement que le réel se fiche du bien et du mal, qu'il se situe par-delà toute morale et que plaquer des jugements moraux sur le réel ne fait que le rendre plus obscur.
Nous nous saluons et nous décidons de marcher ensemble. Il a logé chez son beau-frère qui habite dans la région. Il en a profité pour alléger son sac de trois à quatre kilos, ce qui lui permet de marcher plus à l'aise.
Il compte faire étape au Vigan.
Je lui parle du gîte municipal, non sans lui faire part des multiples réserves exprimées par la
responsable du gîte : c'est en construction, il n'y a pas de douches, l'aération est insatisfaisante,
et j'en passe.
Cela l'intéresse quand même. Il me propose de m'accompagner dans le gîte. Cela m'encombre un peu, car je
reprenais goût à la solitude.
Mais ainsi va la vie, elle va, elle vient ; un jour c'est ceci, le lendemain c'est cela. Je me fais à
l'idée.
À hauteur de Saint-Sauveur, l'Ouysse coule au fond des gorges, sous la ramure.
Le barrage du moulin de la Peyre est un lieu reposant.
Il y fait calme et frais, ce qui fait du bien dans la chaleur montante du jour.
À la fin de la combe de Millières, au lieu-dit le Puits, il y a un problème d'orientation.
Le chemin, bien tracé, se dirige vers le sud (vers la gauche sur la photo). Je suis d'abord tenté de
le prendre, mais je ne vois pas de balise. Après quelques recherches, je réfléchis et je vais à
contresens. Je prends le chemin mal tracé qui longe les arbustes à droite.
Cela donne l'impression de revenir sur ses pas. En fait nous longeons l'autre côté de l'étroite combe
le long de laquelle nous sommes arrivés.
Pour le reste, l'étape est facile. Nous marchons vite, mes pieds me font mal en arrivant au Vigan. Il faut dire que mes chaussures sont restées mouillées suite aux pluies de la veille.
Nous arrivons au gîte à une heure et demie. La responsable a laissé la clef dans un gobelet en plastique qu'elle a déposé dans un hangar voisin. Et elle a laissé le tampon et l'encre dans le gîte pour que nous puissions tamponner nos crédenciales nous-mêmes.
Le gîte est « moins pire » que je le craignais. Le principal problème est l'absence de douche ; il
n'y a qu'un minuscule lavabo.
Mes pieds sont rouges et irrités à cause de mes chaussures mouillées. Je ne parviens pas à les soigner
comme il faut.
Nous mettons le montant de l'hébergement, cinq euros, dans une enveloppe que nous glisserons demain dans la boîte aux lettres de la municipalité. C'est l'autogestion poussée à l'extrême.
L'après-midi, Robert propose d'aller prendre une bière. Le seul bar ouvert est celui des amateurs
locaux de football.
La Leffe est très répandue dans cette partie de la France ; j'en prends une en souvenir de ma deuxième
étape.
Robert s'intéresse au football. Il s'y connaît, il discute le coup avec les supporteurs locaux.
Pour moi, le « foot » est une terra incognita.
Je persiste à croire que dans ce sport on résoudrait bien des problèmes en mettant vingt-deux ballons
sur le terrain. Comme tous les joueurs auraient leur ballon, ils cesseraient de s'acharner sur ce
pauvre petit ballon unique.
Mais je me doute que ce n'est pas le but du jeu.
Robert me convainc d'aller au restaurant. J'hésite entre manger et dormir. Dormir m'a bien réussi
dans la première partie de mon pèlerinage.
Nous allons cependant manger une lasagne avec de la salade. Malheureusement je la digère mal.
Les lits sont durs, la petite chambre est étroite, il y fait chaud et il n'y a pas moyen d'aérer.
Je dors mal à cause de la chaleur et de ma mauvaise digestion.
Finalement la responsable du gîte n'avait peut-être pas tout à fait tort.