Combre, 22 avril 2011
Je n'ai dormi que huit heures, mais je me rattraperai la nuit prochaine.
Mon hôte me conduit à l'église de Saint-Clément, ce qui lui fait un détour car il travaille à Lavoine. Je le remercie et nous nous saluons.
Je mets ma balise en route et je pars.
La montée vers Labruyère est rude mais courte. Je suis frais et je la grimpe au train. Puis je monte
vers le chemin de crête qui mène au roc des Gabelous.
La pente est pénible, elle est raide et pleine de cailloux et de cailloutis.
Au sommet j'accède à une allée qui suit la ligne de crête, mais je ne vois pas d'éolienne. Elles sont sans doute plus loin. Hier, elles m'ont paru éloignées sur le massif.
Comme je croise le GR de pays de la Montagne Bourbonnaise, un panneau signale que le GR 3 est fermé
de juin à novembre 2010 suite à la construction des éoliennes.
J'espère que mes compagnons pèlerins américains connaissent assez de français pour comprendre ce panneau.
Je vois les premières éoliennes dominer la forêt.
Au carrefour qui précède le bois de la Curat, la petite balise rouge et blanche du GR défie le grand panneau rouge et blanc qui interdit l'accès à toute personne à cause de l'« importante circulation d'engins de chantier ».
Tout le long du chemin, des panneaux interdisent à quiconque de passer « à cause des engins de chantier » qui sont très nombreux. Je n'en tiens pas compte.
Le chemin est bon et des petites montées interrompent sa monotone horizontalité.
Après quelques kilomètres, je vois, enfin ! un engin de chantier qui fait du terrassement près d'une éolienne, hors du chemin. Le conducteur et moi, nous échangeons un salut.
Ce chemin de crête plat et monotone est lassant.
J'arrive au roc des Gabelous.
C'est ici que les gabelous s'embusquaient pour attraper les contrebandiers du sel, qui tiraient parti des taxations différentes pratiquées dans la Loire et dans l'Allier.
Je n'ai vu qu'un seul engin de chantier et il était en dehors du chemin. L'importance de la circulation des engins est quelque peu surfaite.
Je ne trouve pas d'endroit où m'asseoir et je poursuis ma route. D'ailleurs cette allée monotone ne m'emballe guère. Je me dis qu'il vaut mieux m'arrêter au rocher Saint-Vincent, qui est une curiosité touristique : il y aura probablement un banc.
J'entre dans un petit bois peuplé de jeunes arbres, il s'en dégage une ambiance féérique et un parfum subtil qui lui donnent un air d'irréel, un « je-ne-sais-quoi » à la Jankélévitch.
J'aime bien ces endroits magiques où la nature séduit nos sens.
Peu avant le rocher Saint-Vincent, le GR 3 disparaît sous un amas d'arbres abattus en tous sens par les bûcherons.
Certains arbres portent encore une balise, mais très vite, le chemin balisé disparaît complètement.
J'avise un petit sommet et je repère un arbre précis, qui se trouve dans la bonne direction. Puis je
contourne les arbres et j'escalade les troncs pour atteindre cet arbre.
Une fois en haut, je remarque une amorce de chemin en prolongement de la direction que j'ai suivie.
Je m'y rends en zigzaguant entre les arbres et les fûts.
J'emprunte un chemin à peine tracé et je rencontre un chemin plus important qui, lui, est balisé.
J'ai retrouvé le GR 3 et peu après j'arrive au rocher Saint-Vincent.
Je surprends un chevreuil qui s'enfuit à mon arrivée.
Comme il n'y a pas de banc près du rocher, je poursuis mon chemin.
Je descends prudemment un chemin rempli de pierres et de cailloux. Je crois que j'y suis condamné pour longtemps, à toute cette pierraille.
Le chemin traverse un ruisseau et monte en direction de Lavoine.
J'ai une excellente vue du rocher Saint-Vincent à partir de la route.
Le GR traverse Lavoine, puis monte en direction du foyer de la station de ski de fond
de la Litte.
Je m'arrête à l'auberge qui se trouve avant le foyer, mais au contraire de ce que mes hôtes m'ont dit,
elle n'ouvre que sur réservation.
Je fais une brève halte au foyer.
Il y a moyen de manger et d'acheter des aliments. Mes hôtes du Couturon auront sans doute cru que je
parlais du foyer de la station de ski.
Je reprends la route.
Très vite, je découvre que les randonneurs ne sont pas les bienvenus. Des panneaux les prient instamment
de ne pas marcher sur les chemins qui servent de pistes de ski pour éviter de les abîmer.
Le GR 3 suit ces chemins. Il n'est pas possible de les éviter. Et peut-on sensément reprocher aux
marcheurs de faire des dégâts quand on voit ce que les motos et les machines des bûcherons font des
chemins ?
Cela dit, je pense que ces panneaux parlent des pistes quand elles sont enneigées.
Je grimpe à nouveau dans des éboulis. Mais cette fois, la fatigue et la chaleur rendent ma progression pénible.
Je passe en contrebas du Puy de Montoncel. Le puy culmine à 1.287 mètres et je passe à 1.198 mètres d'altitude.
J'emprunte une longue allée bien tracée.
Au col de la Charme, une affiche municipale interdit aux engins motorisés d'emprunter les pistes de ski.
Elle est très précisément collée sur une balise du GR, alors qu'il y a beaucoup de place et d'arbres autour.
Le col de la Charme, c'est le début de la descente.
Elle est raide, longue, couverte de pierres, de cailloutis et de gravier. C'est un terrible casse-gueule,
et il dure longtemps. Je progresse très lentement et très précautionneusement.
Tout est ultra-sec, surchauffé, et les résineux émettent des bouffées de chaleur. Tout cela peut flamber en un clin d'œil. Il y a du vent du sud-ouest, il est même assez soutenu par moments, mais il n'y a pas les nuages annoncés. On attend toujours la pluie.
Je force le pas jusqu'à la sortie de la forêt.
J'ai mal au dos, aux jambes et aux pieds.
Le mal au dos me surprend. J'ai marché neuf cents kilomètres avec mon sac à dos. C'est étrange de commencer à avoir mal maintenant.
Je m'offre une dernière petite halte sur la départementale 64 avant d'aller au gîte qui se trouve un bon kilomètre plus loin.
Au gîte, j'ai l'impression d'être le gêneur.
Au lieu de m'installer dans la première chambre du premier étage comme elles me l'avaient annoncé au
téléphone, mes hôtesses me relèguent dans un chalet en bois tout neuf, mais inachevé et à l'écart.
Je comprends mieux quand je vois un couple avec trois jeunes enfants. Le gîte est pour eux, la cuisine
aussi. Ce n'est pas grave, car je peux me débrouiller avec ce que j'ai.
Mes hôtesses ont probablement reçu d'autres réservations après la mienne et ont changé l'affectation de
leurs logements.
Le chauffage de mon chalet est coupé. Décidément c'est une manie en France. Or tout semble indiquer
que la nuit sera fraîche : nous sommes à plus de sept cents mètres d'altitude et le ciel est limpide.
Je chipote et je parviens finalement à mettre le chauffage en route, mais il a un défaut : il chauffe
à fond ou pas du tout. Je le coupe.
Mes hôtesses m'ont donné une couverture. Je donne un coup de chauffe assez bref et je coupe.
Le système de ventilation de la salle de bains démarre automatiquement quand on entre dans la pièce.
Il fait un bruit terrible et une fois qu'il est en route, il n'y a plus moyen de l'arrêter !
Je ne peux pas dormir dans un tel vacarme.
Je vais tripoter dans le tableau électrique.
Cela me rappelle les installations électriques que j'ai réalisées en tant qu'ingénieur civil électricien
et mécanicien. Je trouve le moyen de couper ce maudit ventilateur quand je le veux.
J'essaie de réserver à Saint-Yvoye, une chambre d'hôtes bien située par rapport au GR. Mais à chacune
de mes tentatives, j'obtiens la tonalité des abonnés non inscrits.
Encore un gîte qui a fermé ! Pourtant la publicité était encore sur Internet au moment de mon départ.
J'analyse la carte. Si je veux éviter de faire une trop longue étape, je dois quitter le GR 3 à Baracuchet et descendre à Saint-Anthème, où se trouve l'hôtel des Voyageurs. J'irai ensuite vers l'est pour retrouver le GR.
Je peux faire étape à Saint-Anthème, à Apinac et à Retournac, et récupérer ainsi le jour que je vais
perdre dimanche, mais cela va me faire de longues étapes.
Comme je marche mieux qu'au début, je décide de tenter le coup.
Je réserve à l'hôtel des Voyageurs de Saint-Anthème et au Centre d'accueil permanent d'Apinac.
Pour Retournac, j'ai une adresse au Mazel, un hébergement recommandé par le guide.
Je leur téléphone à plusieurs reprises, car à chaque fois ils me disent qu'ils ne savent pas si ce sera
possible et me demandent de retéléphoner plus tard.
La dernière fois, ils me disent simplement que cela ne posera pas de problème.
Pourquoi tant hésiter, puis accepter sans me poser de questions ? Enfin, le plus important, c'est que
j'ai mes hébergements.
La lanière qui sert à régler la hauteur de mon sac à dos est défaite.
C'est indirectement un souvenir de Tesqui, le border collie de Lentilles, qui a mordillé la lanière et
l'a raccourcie.
C'est sans doute la cause de mon mal de dos ! Je fais une réparation de fortune.
L'ampoule du jeudi dix mars est enfin cicatrisée. La cloque de sang s'en va et la nouvelle peau apparaît. Elle aura attendu l'ascension du Puy du Montoncel pour guérir.