De l'aube à l'aurore - L'ermite et le pèlerin - Lentilles (30 mars 2011)

Un monde à refaire

Cabo Fisterra

Lentilles, 30 mars 2011

Le ciel est gris, mais il ne pleut pas. Je souhaite récupérer mon linge pour faire mon sac à dos, mais personne n'est levé. Je rédige mon carnet de bord. Je crains qu'aujourd'hui je parte tard.
Comme notre hôtesse a du mal à se déplacer, le déjeuner commence à huit heures un quart. Puis les couples viennent l'un après l'autre et le repas se prolonge.

Je paie et je m'en vais. À la sortie du village, le mari de mon hôtesse me rejoint en voiture ; il m'apporte ma bouteille d'eau. Je l'avais oubliée sur le comptoir. Je le remercie.
Je me rappelle la bouteille que j'ai oubliée à Aubigny-les-Pothées. Décidément je dois faire plus attention !

Je n'arriverai pas à Lentilles avant quatre heures. C'est l'occasion de tester si je peux marcher vite. Comme le terrain est plat, la progression est aisée. La seule difficulté est le cailloutis qui couvre le chemin. Je progresse avec une aisance qui me surprend.

Je passe non loin du lac du Der. Partout il y a des mares et des lacs, un vrai paradis pour les oiseaux. Le temps reste menaçant, il vente mais il ne pleut pas.

Outines me déçoit, le village me semble moins intéressant que ce que le guide en dit. Il y a des maisons à pans de bois, comme un peu partout dans la région. L'église est grande et est aussi à pans de bois.

Ce qui me plaît le plus, c'est que je passe « au milieu de nulle part ». Ce coin rural me fait penser au pays perdu cher à Jean-Louis Foncine (sauf que le Jura est très vallonné).
Ce vaste espace sauvage me renvoie à moi-même, petit suppôt de l'espèce humaine marchant en pleine nature.
Ce lieu n'a pas d'adresse géographique, il pourrait être partout, il est ouvert à tous les vents des lacs et de la plaine. C'est une enfilade de champs survolés par des oiseaux, une abondance de nuages pesants qui surplombent une terre mouillée morne et grise.
Je suis en Flandre, dans le plat pays chanté par Brel. Peut-être est-ce que je commence à aimer la Champagne ? En tout cas, la Champagne humide me plaît plus que la Champagne marneuse.

Envol de grues cendrées Peu avant Lentilles, un grand groupe de grues cendrées prend son envol.

Il y en a des dizaines, des centaines. Je prends une photo non sans devoir affronter quelques problèmes techniques avec mon appareil.

Église de Lentilles À Lentilles, l'église Saint-Jacques – Saint-Philippe est spéciale au point d'en être belle.

À mon point de vue, c'est la plus belle église depuis mon départ. Saint-Jacques-le-Majeur est fièrement debout au-dessus de l'entrée.

Pascal, mon hôte aime écrire, ce qui me change des passionnés de lecture. L'âge aidant, je préfère les écrivains aux lecteurs.

Il y a un qui fait quelque chose, dix qui en tirent des conférences et cent qui en parlent. Il arrive que l'un des cent dix explique à l'un comment faire. Alors celui-ci sourit et se tait, car il a quelque chose à faire.
Merci, Jacques Prévert.

« Tesqui » me suit partout, il est particulièrement affectueux. Il s'agit d'un border collie que Pascal a recueilli, efflanqué, mangé des poux, au poil trop long.
Au fait c'est plutôt le border collie qui a adopté Pascal.
Le chien abandonné le suivait sans cesse et Pascal lui demandait en vain : « T'es qui, toi ? T'es qui ? » D'où son nom ! D'après la vétérinaire il est resté longtemps abandonné. Pascal l'a fait vacciner, lui a mis une puce et l'a mené au toilettage.
Pascal a eu des problèmes personnels et Tesqui l'aide à se reconstruire. Nous parlons philosophie et nous sympathisons. C'est la première fois que je peux me livrer à mes ruminations depuis mon départ.

Je veux ouvrir les champs (ou les chants) de mes pensées en profitant du détachement que m'offre mon pèlerinage. Je veux retrouver le recueillement et la sensation qui me permettent d'aller plus loin dans ma recherche.

Nous échangeons longtemps ensemble, Pascal, Tesqui et moi. Mon hôte me dit que je devrais mettre tout cela par écrit. Il a sans doute raison.

Quand je vais dormir (tard), je constate que Tesqui s'en est pris à mon sac à dos, il en a rongé deux lanières. Rien de grave ! Tant pis, tant mieux ! Cela me fera un souvenir.
Ma longanimité me surprend : peut-être que je commence à devenir un vrai pèlerin !