De l'aube à l'aurore - Enseignement - La classe au quotidien

Un monde à refaire

Célestin Freinet
Tangram en primaire



La classe
au quotidien


PLAN DU TEXTE
1. Extraits de la consultation des enseignants du secondaire
2. Avis provisoire de la commission de pilotage sur cette consultation
3. Contrat stratégique pour l’éducation
4. Renforcer l’autorité
5. La discipline de travail
6. Les raisons du silence des politiques et des experts
7. Comment le gouvernement peut-il s’impliquer dans cette problématique ?
Notes et références


1. Extraits de la consultation des enseignants du secondaire

(…)

« À partir de ces trois récits, on peut résumer les principales dimensions de l'expérience enseignante que les résultats de la consultation et des analyses en groupe nous ont amenés à privilégier. Ces dimensions ne sont certes pas les seules, et d'autres seront également évoquées. Mais elles nous ont semblé les plus caractéristiques, notamment en comparaison avec ce que nous avait révélé la consultation des enseignants du fondamental (sans être pour autant absentes chez ces derniers).
Au cœur de l'expérience se trouve la relation avec les élèves et la tension entre les fonctions d'éducation et de socialisation d'une part, et celles d'apprentissage et d'instruction d'autre part. »

(…)

« « Les élèves sont de moins en moins demandeurs de connaissances ». Avant de commencer à enseigner, il faut sans cesse puiser au fond de soi l'énergie nécessaire pour tenter de les (re)motiver. Nombre d’enseignants déplorent que l'absentéisme gagne du terrain et que les certificats bidons, dispensés par des médecins complaisants, se multiplient. Le décrochage scolaire commence à s'observer également dans les écoles rurales. »

(…)

« Au quotidien, il est impératif de faire tourner l’établissement, et à cette fin d’exclure les éléments perturbateurs. Une forte demande émane des participants pour raffermir l’ordre dans l’école : non dans une optique restauratrice mais par souci d’installer un cadre favorable au respect par tous des droits et devoirs de chacun. Les enseignants ont une responsabilité vis-à-vis du groupe et ne peuvent laisser quelques élèves « pourrir l’ambiance de la classe ». »

(…)

« Le droit s’insinue très concrètement dans l’interaction pédagogique. Auparavant, la classe était régulée par des attentes implicites : le maître parle et les élèves écoutent. Cette norme même ne va plus de soi. Tout se négocie, jusqu’à la matière à étudier. Une participante fait allusion au cortège de règles que l’absentéisme oblige à inventer. « Tu refais ton contrôle ou pas ? Tu as zéro ou pas ? » Et pour les retards, quelle sanction ? Lorsqu’un retard de quelques minutes finit par entrer dans les mœurs, le dispositif de la classe commence à se déliter. Dans certains cas, les élèves entrent ou sortent du local à leur gré, s’expriment à voix haute à tout propos, apportent nourriture et boissons en classe … »

(…)

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2. Avis provisoire de la commission de pilotage sur cette consultation

À toutes ces questions (et bien d’autres), la commission de pilotage du système éducatif se contente de répondre :

« …le dispositif de recherche introduit, dans le repérage de ce vécu collectif, certains biais qui sont inévitables : dans sa tentative pour rester la plus fidèle possible au ‘ressenti’ des enseignants, l’enquête ne peut pas se centrer sur les mécanismes qui engendrent ce ‘ressenti’. »

Quant à ces « mécanismes qui engendrent le ‘ressenti’ », la commission de pilotage ne cherche même pas à les expliciter. Elle se contente de rappeler ses revendications habituelles.

C’est un peu court.

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3. Contrat stratégique pour l’éducation

Quand on voit le peu de cas que la commission de pilotage fait du vécu des enseignants, il ne faut pas s’étonner que le Contrat stratégique ne consacre quasi aucune place à une problématique aussi prégnante et aussi sensible que celle de la classe au quotidien.

On a quelques passages concernant la violence (3.4.2., 3.4.4.) et un texte général sur le « vivre ensemble » (3.4.4.). Mais la problématique récurrente (et usante) du travail quotidien en classe, ce n’est pas la violence (lire les témoignages des enseignants), mais la faible motivation des élèves envers le travail scolaire et leur attitude peu scolaire dans leur travail.

Il est piquant de constater que le Contrat stratégique s’inquiète du « temps perdu pour apprendre » (3.3.1.) et que parmi les nombreuses causes citées, jamais n’apparaît ni le comportement de l’élève ni la gestion quotidienne de la classe.

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4. Renforcer l’autorité

Ailleurs, le contrat stratégique évoque la « restauration de l’autorité » des enseignants (analyse et 2.6.). C’est à la fois trop et trop peu.

C’est excessif, parce qu’il est faux d’imaginer que l’autorité des enseignants aurait « disparu ». C’est au contraire parce que l’autorité est présente, bien que souvent mise à mal, que l’école continue à fonctionner. Il s’agit de « renforcer l’autorité », non de la « restaurer ».

C’est trop peu, parce qu’on imagine mal comment « se » mettrait en place ce renforcement de l’autorité :
- d’une part, les causes du déclin de l’autorité des adultes sont connues et ne sont pas propres à l’école ; on observe le même déclin dans les familles et dans d’autres lieux éducatifs (centres récréatifs ou de vacances, mouvements de jeunesse) ;
- d’autre part, l’époque où « Monsieur le Professeur » était un notable respecté à tel point que les parents commençaient par donner tort à leur progéniture avant d’examiner les reproches de l’enseignant est tout à fait révolue.

Au contraire, l’image de l’enseignant véhiculée par les médias est le plus souvent celle d’un pédant ridicule (comme dans les bandes dessinées « L’élève Ducobu » ou « Génial Olivier »). Ou encore, son activité consiste à s’occuper de tout sauf de l’instruction effective des élèves comme dans la série télévisée « L’instit ».

Or si l’autorité de l’enseignant a une chance de se renforcer, c’est bien en relation avec la spécificité de son métier qui est précisément de former les jeunes générations !

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5. La discipline de travail

D’ailleurs, la vraie question n’est pas l’autorité, mais la discipline de travail. Faut-il perdre son temps à critiquer ceux qui croient naïvement qu’il suffirait que le « bon éducateur » fasse preuve d’autorité pour que, par magie ou enchantement, l’école tourne rond. Ces apprentis-sorciers n’auraient-ils pas trop regardé Harry Potter ?

Dans la réalité quotidienne, ce qui est usant, c’est la dissipation des élèves, le plumier incomplet, le cahier manquant, les arrivées en retard et cet arrière-plan récurrent de je-m’en-foutisme souvent dépourvu de véritable agressivité du style « après tout c’est aussi bien ainsi ».

Si les élèves se mettaient au travail plus rapidement, s’ils faisaient un réel effort pour écouter, pour tenter de comprendre les explications et pour réussir les exercices, s’ils mettaient plus de cœur à l’ouvrage, bien des problèmes de l’enseignement seraient résolus.

Améliorer la discipline au travail apporterait des réponses à un grand nombre de questions soulevées par le Contrat stratégique. L’apprentissage serait plus efficace, les résultats scolaires seraient meilleurs, le niveau des acquis serait plus élevé, tout particulièrement en ce qui concerne les élèves faibles, le métier d’enseignant serait plus attractif, les disparités entre les élèves se réduiraient, il serait plus facile de gérer l’hétérogénéité, de pratiquer des stratégies de remédiation, de mettre en place l’évaluation formative ainsi que la pédagogie différenciée.

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6. Les raisons du silence des politiques et des experts

Ce qui est sidérant, c’est le contraste entre le bruit que ces considérations font dans la consultation des enseignants et dans les variables contextuelles de PISA et le silence des experts et des politiques alors que précisément ils prétendent s’appuyer sur cette consultation et sur PISA.

En fait, cette thématique les gêne. Il est bien plus facile de tenir un discours enthousiaste sur l’éducation et l’épanouissement des élèves que de prendre des décisions à propos de leur comportement et de la gestion de la classe.1

Quand on traite de la discipline de travail en classe, on navigue entre deux écueils, celui d’édulcorer la réalité des problèmes en se contentant de faire appel à la « bonne relation éducative » - une recette bien trop éculée que pour encore convaincre - et celui d’apparaître comme une défenseur ringard des « bonnes vieilles méthodes qui ont fait leurs preuves ».

C’est pourquoi il est plus facile et plus aisé pour les experts et les politiques de prétendre qu’en ces matières, un décret n’apporterait rien et que ces questions relèvent de la pratique professionnelle du corps enseignant.

Ce n’est pas vrai : c’est un problème de société !
Et à ce titre, cela concerne les politiques au plus haut point !

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7. Comment le gouvernement peut-il s’impliquer dans cette problématique ?

Il y a d’abord la question des règles et des sanctions. Il importe de clarifier et d’harmoniser le cadre général dans lequel peuvent fonctionner les systèmes de règles et de sanctions, comme les français l’ont fait récemment (en juillet 2000) pour les lycées et les collèges tout en accordant davantage d’autonomie aux établissements (les EPLE).

Il faut procéder de même pour l’enseignement primaire et maternel.

Il ne s’agit pas de copier ce qu’on fait en France. Il s’agit seulement de comprendre qu’en ces matières, une politique peut être menée et qu’elle doit faire partie du Contrat stratégique si on veut donner à ce Contrat la moindre chance de réussir.

À ce propos, je tiens à citer Philippe MEIRIEU :

« Pourquoi rêvons-nous tant d’une éducation où la sanction soit bien présente mais sans qu’il y ait un éducateur pour l’infliger ? Pourquoi cherchons-nous désespérément à ce que des sanctions, que nous jugeons nécessaires, indispensables même, adviennent au nom d’une simple « justice immanente », dans une « éducation naturelle » ? Que cherchons-nous à préserver là ? Que cherchons-nous à sauver ? Ne serait-ce pas parce que la sanction, transaction inévitablement imparfaite dans les choses humaines, nous met en face de notre propre fragilité et nous interroge sur notre légitimité même à éduquer ? ». Sans doute convient-il alors de ne pas être trop équitable ou trop injuste et de tenir, pour principe éthique, une maxime négative : « ne pas nuire ». »

Ce que MEIRIEU dit à propos des sanctions, on pourrait aussi le dire à propos d’assurer l’écoute en classe, de mettre en place une discipline de travail, de fixer des règles qui permettent aux apprentissages d’avoir lieu, de faire de la classe un réel lieu d’apprentissage.

Plutôt que de vouloir mettre en œuvre une éducation « idéale », c’est-à-dire qui irait de soi sans qu’on ne doive dire ou faire grand-chose, ne faudrait-il pas un jour enfin admettre qu’en toutes choses humaines, il y a d’inévitables transactions difficiles, des contraintes à expliciter, des règles à faire respecter, des habitudes à prendre ?

Là aussi, le gouvernement de la Communauté française pourrait fixer un cadre de référence pour les établissements et mobiliser un ou plusieurs groupes de travail en vue d’analyser comment ces problématiques peuvent être abordées et améliorées dans les établissements.

Une position claire de l’autorité publique, qui affirmerait sans ambages que si les élèves vont à l’école, c’est pour leur propre avenir et que les contraintes scolaires sont là pour leur assurer les meilleures conditions d’apprentissage, serait de nature à faciliter une mobilisation de la communauté éducative en vue de maîtriser ces problématiques.

Ne pourrait-on pas se mettre d’accord
sur ce qu’il convient d’exiger des élèves ?

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Notes et références
1. Si les politiques persistent à vouloir esquiver les problèmes réels parce qu'ils les trouvent difficiles, ils doivent aussi assumer leur responsabilité dans la montée de l'extrême droite.

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