Le temps
des prophètes
Il y a plus de quarante ans, le Club de Rome soulignait que les ressources de la planète ne sont pas
inépuisables et qu'une croissance sans limite est un dogme sans fondement. Depuis, les gouvernements
n'ont pas cessé de vouloir « relancer » la croissance pour résoudre les problèmes économiques et
sociaux.
Depuis quarante ans, on enrichit en vain les plus riches. Les plus lourdauds continuent à vouloir le faire
tandis que les moins lourdauds ont compris qu'alimenter le casino financier et ses délires nuisent à
l'économie réelle et tentent de trouver des moyens pour utiliser une partie de cet argent en vue
d'accroître l'offre ou la demande ou de créer des emplois verts.
Le résultat de tant d'inconséquence est la multiplication des impasses en matière d'emploi, de niveau
de vie, d'énergie, d'eau douce, de pollution, de finance, de biodiversité, de démographie, de
déforestation, de réchauffement climatique, etc.
Les famines, les canicules, les incendies, les guerres et les épidémies augmentent et continueront à le
faire tant que nous nous obstinerons dans cette voie.
En fait, la surconsommation des ressources par les privilégiés entraîne l'élimination physique des plus
pauvres et le basculement des classes moyennes dans la pauvreté. Ce processus ne cesse de s'amplifier
depuis une trentaine d'années.
Cela ne devrait pas entraîner la disparition de l'humanité, car au moins un certain nombre de privilégiés
et une minorité de pauvres s'en sortiront, mais cela balaiera notre civilisation et les valeurs dont
elle est porteuse.
Savoir si comprendre ce qui nous arrive nous rendra capables de réagir à temps et à bon escient est
une question intéressante, car elle nous permettra peut-être de mieux connaître le fonctionnement
des sociétés humaines.
Dans les sociétés, démocratiques ou non, la plupart des gens préfèrent communier avec les idées des
privilégiés plutôt que les combattre. C'est pour cette raison que la droite a toujours un petit
avantage sur la gauche.
Plus la gauche s'institutionnalise, plus elle tend à s'aligner sur l'idéologie des privilégiés, à
préférer, par exemple, l'économie de marché aux réformes des structures ou le capitalisme vert à
une société conviviale respectueuse de l'environnement.
Comme les privilégiés tendent à perpétuer le système dont ils bénéficient, les sociétés fortement
civilisées ont bien du mal à évoluer même quand cela devient indispensable.
C'est probablement ainsi que plusieurs civilisations se sont éteintes. Je pense notamment aux Mayas et
à la civilisation Haumaka de l'île de Pâques.
Comment l'être humain réagit-il face à des réalités qui mettent radicalement en cause ses manières habituelles de vivre et de penser ?
La réaction la plus simple et la plus immédiate est de nier les réalités dérangeantes. Il suffit
d'imaginer que ceux qui les mettent en avant, poursuivent des buts inavouables, par exemple,
commerciaux, politiques, personnels, etc.
En fait, nous avons bien plus l'habitude de vivre et de penser dans les histoires que nous nous inventons
et que nous nous racontons que dans la réalité concrète.
Les contes et les songes conviennent à nos convictions et à nos manières habituelles de penser tandis
que la réalité nous oblige à des efforts d'analyse, de réflexion et de synthèse qui nous sont
pénibles.
C'est pour cette raison qu'il nous est plus facile de croire à l'efficacité des dieux et des idéologies
sur le monde que de chercher à comprendre comment le monde fonctionne effectivement. L'histoire de
l'humanité le montre clairement !
La seconde réaction, la mobilisation de nos croyances, apparaît quand on est bien forcé d'admettre
qu'il faut faire quelque chose.
Là où le président Lula engage les Brésiliens à prier pour relancer l'économie après la crise des
subprimes, nous autres Européens affirmons que la science et la technique vont résoudre les
problèmes.
En fait, nous espérons notre salut de quelque force magique qui, paraît-il, a déjà résolu des problèmes
dans le passé.
C'est dans le même état d'esprit qu'est né le culte du dieu cargo à Vanuatu, en constatant que les
opérateurs américains, qui « priaient » dans le micro de leur poste de radio, obtenaient des
parachutages d'aliments et d'équipement.
Les partis traditionnels surfent sur ces deux premières réactions. Dans un premier temps, ils disent
que les problèmes sont gonflés et quand les chiffres ne leur permettent plus de le dire, ils
affirment que les experts trouveront des solutions.
Les partis radicaux partent du constat que ni la négation de la réalité ni l'espoir d'un salut magique
ne peuvent répondre aux problèmes auxquels nous sommes confrontés. Ils estiment qu'il faut un
changement réel.
Cela conduit à deux types de réactions, une fondée sur le passé et l'autre sur l'avenir.
La réaction fondée sur le passé bâtit un conte selon lequel tout était mieux dans le passé et qu'il
faudrait y revenir. C'est ainsi que l'on assiste à la sacralisation du passé, aux replis
communautaires et aux réflexes identitaires.
Ce qu'une opinion conformiste diabolise sous le vocable de « populisme » n'est qu'une réaction élaborée
aux impasses que nous rencontrons et devrait, me semble-t-il, mériter davantage de considération.
Comme il n'y a pas d'avenir dans le passé, le « populisme » propose de mauvaises solutions à de vrais
problèmes, car il enjolive des situations passées qui sont peu susceptibles de se reproduire dans
un contexte différent.
La réaction fondée sur le futur bâtit un songe. C'est le temps des prophètes qui nous disent qu'en
agissant de telle ou telle manière, nous allons résoudre certains problèmes qu'ils ont identifiés.
Par exemple, par rapport à la surconsommation, ils peuvent nous vanter la frugalité.
Notre manière habituelle de penser privilégie les songes aux solutions solides et bien étayées. La
multiplication des impasses favorise la multiplication des prophéties. Il faut pouvoir les
accueillir avec intérêt et avec indulgence, car c'est probablement dans ce foisonnement d'idées
nouvelles que nous trouverons certaines réponses.
Accueillons-les donc, mais ayons la lucidité de ne pas y croire trop vite !
En fait, personne ne possède seul les solutions. C'est à la démocratie participative de répondre,
celle des Indignés et du mouvement « occuper Wall Street ».
Cessons donc de les matraquer et de les empêcher de manifester (comme en Espagne) et mettons-nous
ensemble en vue de trouver des solutions aux grands problèmes auxquels nous allons devoir faire
face !