Rupture
Liste des poèmes
Beau navire
Rive sans espoir
Monde futur
Enfants abandonnés
Adieu, nature
Il est mardi
Terre sans horloge
Peuple libre
La gloire des petits
Jeunes gens
Je suis
Tout geste
L'arbre de la voie
Pour un petit enfant
Clé des champs
Autre demain
Jour de mai
Rêves d'enfant
Salut, matin
Jour de printemps
Vivant
Exilés
Énigme
C'est un beau navire
Pour la grande errance
Et vaincre l'empire
De l'indifférence.
L'homme croît, la vague file
Et l'éperon orgueilleux
Tranche la mer fragile
D'un sillon périlleux.
C'est un beau navire
Pour un grand voyage,
Mais part le sourire
De notre visage.
Le soleil s'injecte d'eau
Et nous fouette sa peine,
Nous errons sur un radeau
Dans la mer incertaine.
C'était un beau navire
Mais il a disparu,
C'était un beau chavire
Auquel on a trop cru.
Il est une rive où notre marche s'arrête,
Une rive inconnue à l'espoir
Et étrangement privée de soleil.
Le sang de la marche y mène
Aux claquements sombres des drapeaux.
Une odeur immense emplit l'air,
D'encens et de terre humide mêlés
Aux senteurs des misères humaines.
Qu'il arrache, qu'il crie, qu'il hurle,
Qu'il étripe la terre d'un soc acéré,
Qu'il recouvre l'horreur d'argent sali,
Misère misères, écrasement de la faim !
Dans la nuit, les formes mouvantes
De la mort et de la douleur se mêlent
Pour un merveilleux et fastueux hymen,
L'autodafé des démunis,
La gloire des bien-pensants
Et la richesse de quelques-uns.
C'est la fête de l'argent !
Je vois un monde futur
En deux visions superposées.
La première me montre des enfants.
Ils sont rassemblés par milliers
Dans des instituts spécialisés.
Ils n'expriment aucun sentiment
Et personne ne les aime vraiment.
Mais on leur a inculqués
Des sciences par dizaines
Et des appareils commandent
Leur cœur et leur cerveau.
Ce sont des fantômes vides,
Des zombies, des robots
Qui ne cherchent que plaisir,
Richesse et puissance.
La deuxième me montre des adultes.
L'ennui leur pèse, tout autant que le confort.
Pour tromper leur ennui, ils regardent des films.
On y parle de héros et de saints,
De grandes figures disparues depuis longtemps.
Et quand l'un d'entre aux se redresse,
Le voilà critiqué dans les médias
Pour avoir combattu la mollesse et la facilité.
Des jeunes pousses naîtront dans notre terreau
Pour donner une chance à un monde nouveau.
Tout d'abord les gens ne verront rien,
Car les riches, les gouvernants et les médias
Traiteront ces jeunes pousses de mauvaises herbes.
Un autre monde naîtra lui aussi, espérons-le,
Issu des erreurs et des souffrances d'aujourd'hui.
La nature revivra, retroussons nos manches,
Et ce monde avide d'argent disparaîtra.
Mais ma crainte est que l'être humain
Ne se remette à vouloir la croissance
Au lieu de vivre simplement son temps
Comme un fidèle compagnon de la nature.
J'ai vu des instituts qui recueillaient partout
Des enfants, jeunes loups, perdus, abandonnés
Et leur infligeaient des insultes et des coups.
Pourtant je sais
Que tout enfant désire se bâtir un espace
Pour s'y fortifier l'âme dans l’agir et le sourire.
Adieu, nature aimée !
Déjà le vent m'entraîne
Dans la froide fumée
De la folie humaine.
Il est trop tard, nature,
J’ai franchi la clôture.
Déjà le mal m'enlace,
Me domine et m'angoisse.
Adieu, nature aimée!
Car la haine damnée
A ravagé ma joie,
Mon espoir et ma voie.
L'hiver est mon chemin.
C'est trop tard que je vois
Le lys fané en main,
Qu'il me reste de toi.
Mon esquif, mon étrave
Fend de funèbres flots
Je deviens l'humble esclave
Du sel des sombres eaux.
Plus de mot d'amitié !
Plus de chanson d'amour !
Ils sont partis le jour
De la grande pitié.
Doux printemps ? Bel oiseau ?
Que soufflais-tu, nature ?
Tendre vent ? Clair ruisseau ?
D'où me vient ce murmure?
Pourquoi encore aimer,
Laisser mon cœur saigner ?
Ai-je choisi le mal ?
Adieu, lointaine étoile,
Déjà le ciel se voile,
Voici l'ombre du val.
J'habite chez les hommes !
Méchant, mauvais nous sommes.
Avide est notre vie.
Tout amour est envie.
C'est l'éthique, nature,
Qu'enseigne l'être humain
À sa progéniture
Sans penser à demain.
Il est mardi,
Tout nous est dit.
Pour oublier
La pitié,
Il nous faut croire
En la victoire
Des fausses larmes,
Des mauvais charmes.
Car vient une heure
Pour qui tout pleure.
Ne pas penser,
Ne pas aimer,
Rien que mourir,
Ne plus souffrir
Des maux d'autrui,
Vivre en l'ennui.
Il est mardi,
Tout nous est dit.
Vous, peuple d'une terre sans horloge,
Vous qui pouvez vivre au rythme des saisons
En ignorant notre folle croyance
Dans la croissance sans fin de l'argent,
Vous ne vivez pas encore les délires
Dévoreurs de l'Occident,
Vous échappez pour quelque temps encore
À la tyrannie des machines,
Vous, peuple d'une terre sans horloge,
Vous qui n'êtes pas encore captifs de nos illusions,
Vous, peuple d'une terre sans horloge,
Vous ne cédez pas encore à nos vanités,
Vous pouvez savourer le temps qui passe,
Vous ne sacrifiez pas tout à la vitesse.
Vous, oui vous, le peuple sans horloge,
Dites-nous le chemin que nous devons emprunter
Pour sortir de notre misère !
S'il est une terre devant moi,
Je peux la labourer et la semer,
Apprendre à la connaître,
La comprendre et l'aimer.
Mais si l'on me jette à la tête
Des quincailleries mécaniques,
Que voulez-vous que j'en fasse ?
C'est un peuple libre,
Celui qui connaît ses faiblesses,
Qui apprend à lutter contre elles,
Lutte profonde, simple et discrète.
C'est un peuple libre,
Celui qui ne cède pas à ses envies,
Qui ne vit pas de sangs, d'injustices,
De mensonges, de puissance et d'or.
C'est un peuple libre,
Celui qui connaît ses faiblesses
Et qui veut les surmonter
Tel un enfant.
En quelques strophes je veux chanter
La glorieuse destinée des petits.
L'homme en noir est venu,
Il m'a dit : « Si tu veux le monde,
Domine-le, puis mène-le à l'amour ! »
Et j'ai compris la gloire des petits :
« Ils ne cherchent pas à dominer,
Mais nous apprennent à aimer. »
L'homme des chiffres m'est apparu
Dans une robe d'étoiles couverte de calculs,
Il m'a dit : « Si tu veux le monde,
Dissèque-le et cherche la vérité. »
Et j'ai compris la gloire des petits :
« Ils ne séparent rien et restent entiers
Face à l'univers et sa diversité. »
Le bel esprit m'est apparu,
D'un air faux et plein d'ironie
Il m'a dit : « Si tu veux le monde,
Apprends à parler, on t'écoutera. »
Et j'ai compris la gloire des petits :
« Ils savent le monde, car ils l'écoutent,
Ils ne désirent pas tant être écoutés. »
La théologie m'est apparue
Dans ses raisonnements alambiqués,
Elle m'a dit : « N'écoute pas les mythes,
Découvre le Vrai Sens de la Parole. »
Et j'ai compris la gloire des petits :
« Chaque jour qui naît leur suffit,
Chaque rayon de soleil leur est miel de vie. »
Adolescents, jeunes gens,
Vous le savez tous,
Le démon de l'être humain
S'appelle : « À QUOI BON ! »
Je suis l'hallali du monde,
Du monde qui va s'effondrer.
Je pourrais crier comme les chanteurs,
Taper, frapper, aveugler mon cœur.
Mais, frémissant de rage, je devine
Sur quelle grève
Ce rêve
S'achève.
Non, il est trop facile de s'aveugler ainsi.
Si des gens souffrent, pourquoi l'ignorer ?
Si on peut bâtir, pourquoi seulement chanter ?
Il faut que nous aidions, il ne faut pas crier.
Tout geste, même le plus petit,
Vaut bien plus que des pleurs et des cris.
Laissons les censeurs parler !
Laissons les puissants promettre !
Et sur notre petit lopin de terre,
Ouvrons-nous le cœur !
Sous l'arbre de l'orée je découvre ma voie.
Le signe du chêne n'est ni fût ni racine,
Mais l'oiseau qui chante dans sa ramure
Et sa feuille frêle qui virevolte au loin.
Sous le fardeau du savoir je cherche la grandeur du ciel.
Veille et travail m'oppressent, je cherche LA vérité,
Je démonte l'univers qui chante, je doute de mes pas,
Je calcule et je mesure, je fais l'art pour la mesure,
Je me proclame juge universel et je perds ma voie.
Mais sous l'arbre de l'orée se trouve mon chemin de lumière.
Je refuse un monde de parois qui soit tout entier codifié,
Je préfère un doux sentier ocré dans un monde de silence
Sous la majesté du ciel songeur, sur l'horizon nuageux la fleur.
Je crains les chiffres des mercenaires qui croient tout savoir de la terre.
La plus grande plaie est Pythagore et dire qu'on y croit encore !
Le plus profond abîme est le profit et dire qu'on en meurt chaque jour !
Enfant, le poète en moi veut retrouver ton pays de la joie.
Pour un petit enfant,
Pour un peu de lumière,
Pour un malade qui attend,
Pour un pauvre en prière,
Je demande un rien de paix
À ce monde qui tourne fou,
Je voudrais un peu de calme
Pour ces faibles cris,
Je vais demander
Aux radios de se taire,
Aux télés de s'éteindre,
Aux autos de parquer.
Je vais demander
À tous de se recueillir,
Je vais leur demander
D'écouter simplement,
Même si cela semble inutile,
D'écouter cet enfant,
De voir ce peu de lumière,
Ce malade qui attend,
Ce pauvre en prière.
Ce monde d'acier et d'argent,
Je le fuirai par le premier chemin venu.
Dès le crépuscule je me faufilerai,
Bien avant que le soleil n'éclaire vos usines
Et c'est sans regrets que je prendrai la clé des champs,
Sans remords, sans tristesse et surtout sans argent.
Rien ne peut m'empêcher de fuir un monde devenu fou,
Dévoré par la pollution, par le rendement et par les suicides.
Je préfère divaguer sur les sentiers et rêver en chemin.
Soleil après minuit est une heure immortelle,
Poteau indicateur vers une vie nouvelle.
Le rescapé du monde en folie et délire
Tourne un instant la tête afin de le maudire,
Puis il marche tout droit vers un autre demain,
Le cœur gonflé de joie à l'appel du chemin.
En ce jour de mai,
Je ne regarde pas en arrière,
J'emprunte la route sans idée de retour.
Même si je dois aller au désespoir, à l'échec,
Même si mon combat est un long chagrin,
Je décide de rompre les amarres,
De ne plus avoir de passé.
Ainsi je suis neuf, lavé de tout, au premier jour,
Car c'est ce qu'exigent les terres que je vais explorer.
Je ne renoncerai jamais à mes rêves d'enfant.
Si même je n'ai rien « compris » à la vie,
Je mourrai avec mes rêves d'enfant au creux de la main.
Ce sera ma dernière consolation et mon dernier désespoir.
Le matin se lève, un matin de printemps,
Avec une rosée vive, acerbe et pure
Et de clairs rayons de soleil drapant la hêtraie.
C'est qu'aujourd'hui naît sous d'autres auspices.
Je commence un long voyage, toujours de l'avant
Dans la brise fraîche et joyeuse de mai.
Je n'ai pas de mémoire et je ne veux pas en avoir.
Les terres que je veux explorer exigent une âme neuve,
Une âme de bébé.
Salut, matin !
Rien ne surpassera jamais une belle journée de printemps,
Rien ne surpassera jamais le crépuscule et le jour qui rêve,
Rien ne surpassera les blés ocrés dorés par le soleil,
Le vert des champs, la paix de ce qui est !
Ni vérité ni philosophie ni science !
Et s'il existe des règles et des principes,
S'il existe une existence réelle, plus profonde,
Plus puissante et plus vraie,
Nous ne pouvons y accéder qu'au travers
De ce qui nous ravit le cœur,
De ce qui nous émerveille,
De ce qui nous satisfait par sa nouveauté,
Par un songe de paix et d'espoir,
De confiance et de fidélité,
De générosité et de douceur vraie.
Que mon souci soit toujours d'être plus vivant que l'autre !
Et que cela ne soit même pas un souci, mais une manière d'être !
Je veux être toujours plus vivant,
Dispensant l'eau d'enfance,
Frais d’un rire matinal,
Avide et vorace,
Fier et conquérant,
Ainsi je veux être
Par désir de l'être humain réalisé.
C'est lorsque je danserai,
Que je chanterai,
Que je rirai
De ce que tous estiment sérieux et très important
Que je serai adulte.
Je veux être
Enfant joueur,
Adolescent destructeur
Et adulte rieur.
Dans le fond nous sommes peut-être tous des exilés.
Tous ceux que j'ai vraiment connus,
Pourtant perdus dans la foule anonyme,
Avaient aussi leur exil accroché au cœur.
C'est cet exil qui m'intéresse,
Cette part qu'on ne peut pas attacher
À un petit engrenage parfait qui grignote le temps,
À la jolie petite roue dentée du système.
Ligne d'erre, ami,
Errance que rien ne semble devoir arrêter
Si ce n'est la mort.
Je sais beaucoup de choses et vous les ignorez.
Je ne peux pas vous les dire, car je risquerais de vous brûler.
Vous ne pouvez les découvrir qu'en vous-mêmes, par vous-mêmes,
Et j'ignore complètement de quoi il peut s'agir.
Celui qui comprend vraiment cette énigme, sait beaucoup de choses !