De l'aube à l'aurore - La marche d'étoiles (7/10)

Un monde à refaire

Lune dans le ciel

La marche d'étoiles (7/10)

Nuit d'hiver dans les bois

Les idées s’éclaircissent ; c’est effectivement d’un village qu’il approche ; tout est simple maintenant, il suffit de demander l’hospitalité ; on va le prendre, le frictionner, lui donner des vêtements chauds, il va pouvoir manger et se reposer.

L’aviateur a traversé les montagnes et les glaciers, il retrouve enfin la chaleur des maisons ; c’est pour ce refuge que son courage et sa volonté sont restés en éveil, c’est pour ce paradis qu’il a mené cette lutte simple et absolue où il a mis tout ce qu’il est.

Marc désire de l’aide, mais aussi, si c’est possible, un peu d’affection.

Il glisse sur le verglas et tombe durement sur le sol. Quel étrange cauchemar ! Sa maladie ne l’a pas quitté, sa lucidité n’est que partielle ; il essaie de se relever, mais glisse encore ; alors il se met à quatre pattes et se redresse ; puis il plie le genou sain, aussi fort qu’il le peut encore et il se redresse en vacillant. Marc est brisé ; il comprend qu’il ne peut plus tomber, il ne se relèverait plus.

Il se dirige vers la maison la plus proche et frappe sur la porte avec une main qui n’est plus qu’une masse inerte ; la chaleur du seuil brûle atrocement les pieds ; ce supplice doit lui aussi encore être subi.

Joie ! Quelqu’un vient ouvrir, un homme est là devant lui ; l’enfant veut parler mais n’y parvient pas, sa bouche n’exprime aucun son, le froid ajoute ce piège aux autres.

Entre-temps l’homme a reculé en sentant l’haleine fétide, un dégoût terrible le prend devant ce corps ravagé.

Car qu’est devenu l’enfant ?

Les pieds blessés sont gonflés et souillés de taches bleues et noires qui s’étendent sous la plante et rayonnent vers la cheville ; les jambes, roidies et marbrées, réfléchissent une lumière jaune verdâtre à l’exception d’un genou, bleu, fortement gonflé et infecté ; de la glace reste prise dans la trame de la culotte ; la chemise pend lamentablement, figée et trempée et chaque pli renferme des glaçons ; les bras seuls semblent vivants, mais les mouvements restent maladroits, gourds, sans suite ; les mains n’ont plus de doigts et ressemblent à des moignons ; et surmontant ce corps monstrueux, une tête hagarde, livide, des yeux étrangement translucides, presque vitreux, des cheveux égarés dans des filets de glace.

Vision de ce qui fut un petit garçon.


L’homme a la nausée à la vue du malade et il chasse le vagabond ; Marc ne bouge pas, il est décontenancé ; alors l’étranger le menace, l’injurie ; le jeune garçon n’arrive pas à y croire ; l’ennemi rentre en claquant la porte.

L’enfant reste un moment immobile et tente de comprendre ce qu’il vient de se passer, puis il se jette sur la porte et la tambourine avec démence ; les pleurs roulent sur ses joues.

Soudain la porte s’ouvre et l’ennemi surgit, une fourche à la main ; le petit garçon recule devant l’arme, puis s’enfuit en titubant ; il s’arrête un peu plus loin, regarde la maison, ne parvient pas à l’admettre.

À présent Marc veut tout faire pour se tirer d'affaire ; mais il sait que personne ne l’aidera jamais, qu’il devra toujours se débrouiller tout seul ; de cet abandon naît une énergie neuve et l’enfant se sent la force de réussir son aventure.

Il est le passager clandestin d’un grand navire cruel, il en parcourt sans cesse les couloirs, mais les portes des cabines restent fermées, obstinément ! Sa seule erreur est d’être différent, de ne pas avoir de billet ; mais comment l’acheter, ce fameux billet ? À quoi ressemble-t-il ?

Ce n’est plus le moment de pleurer, il faut accepter les faits tels qu’ils se présentent, si durs soient-ils.

Au carrefour il aperçoit, sur un promontoire à droite, un petit bâtiment dont la porte est entrouverte ; l’instant d’après le jeune garçon pénètre dans la chapelle ; voici au moins un lieu dont on ne le chassera pas, il peut espérer y trouver le calme et la paix.

Néanmoins les personnages de pierre ont la cruelle fixité de la neige et le froid s’insinue par les fentes ; Marc n’a rien gagné en se réfugiant dans un lieu pareil, il n’y a rien à attendre de ces effigies auxquelles s’accrochent tant d’espoirs illusoires ; il faut briser ces statues, mais l’enfant est trop affaibli que pour le faire et d’ailleurs il sait très bien qu’il n’en a pas le droit.

Seul le froid hante ces lieux, il cercle le petit garçon, le tient entre ses mains ; Marc se lève et se met à marcher pour échapper à l’engourdissement.