La marche d'étoiles (4/10)
Mais la nature se met à vibrer.
Le vent se lève, les étoiles se voilent, un sourd martèlement parcourt le ciel, silence ! L’univers retient sa respiration. Inquiet, Marc se lève.
La terre s’arque sous l’effort, puis reprend son souffle ; le vent s’installe en pays conquis et les ramures frémissent longuement ; les nuages effacent le ciel et l’obscurité s’approfondit.
Ensuite au rythme ininterrompu d’un roulement de tambour, des armées venues de toutes parts viennent s’échouer autour de l’enfant ; la rumeur profonde vient même du sol et l’univers s’électrise tout entier.
Une immense coupole de tourmentes murmure et emprisonne le garçon.
Puis tout se calme.
Quel monstre a bien pu naître de ce grandiose spectacle ? Un flocon de neige tombe, puis deux, dix, cent. Bien vite la neige s’empare de l’espace.
Marc a repris la route. Sur les champs, à perte de vue, la neige tombe, froide et indifférente ; elle tisse inlassablement une robe de mariée sur la terre consentante ; une lueur étrange, d’un bleu blanchâtre, inonde cette cruelle beauté.
Le vent augmente et la neige tombe plus drue ; des voiles majestueux tourbillonnent, virevoltent, s’enroulent autour de l’enfant.
Le vent souffle avec plus de force encore et des écharpes de grêle frappent durement le jeune garçon, l’aveuglent ; il se protège de l’avant-bras.
Puis ce sont des verges de glace qui le fustigent, sifflent, l’écorchent, s’en vont et reviennent plus brutales encore.
Marc chasse les grêlons glacés du visage et très vite ses mains roidissent ; la glace glisse le long du cou et en fondant s’empare de la chaleur si précieuse au corps. L’enfant ferme son col, glisse sa chemise sous sa culotte, serre les bras sur la poitrine et enfonce davantage la tête entre les épaules pour lutter contre la tempête ; les jambes sont des marbres glacés et les pieds des bois douloureux.
La grêle cesse et la neige prend le relais.
Déjà celle-ci forme une couche épaisse ; l’enfant préfère la neige molle aux cailloux du chemin, le pied s’y pose doucement en creusant la belle prairie blanche et s’il frissonne parfois quand le pied nu blesse l’étendue glacée, qu’y peut-il ? De toute manière ce monde n’est rien d’autre qu’un piège du froid.
L’austère blancheur règne partout, elle s’étend jusqu’aux nuages à l’horizon ; le petit garçon ressent tout son isolement et toute sa faiblesse devant cette puissance inflexible qui lui construit une blanche prison de souffrance. Tout petit dans le grand monde, abandonné, rejeté par les hommes ! « Rien ne m’aime, pense-t-il dans son désarroi. »
Il lutte seul, l’anxiété l’atteint par petites secousses, dures et précises, et chaque secousse réduit ses espoirs ; il ne parvient pas à comprendre pourquoi personne ne vient à son secours. Quelle faute a-t-il pu commettre pour qu’on se désintéresse à ce point de son sort ?
Tout est dur, trop dur, tout est fort, trop fort dans cette neige victorieuse ; sa chemise trempée ne le protège plus du froid et il est nu face au gel ; s’il pouvait jouir d’un feu, ne fût-ce que d’un petit, d’un peu de chaleur ou d’un abri ! Mais l’appel de l’enfant reste sans réponse et la neige resserre d’instant en instant son étreinte cruelle, Marc ne peut pas y échapper.
Alors il abandonne ; se coucher sur la neige, se laisser aller et dormir, comme ce serait bon et facile ! Finis les problèmes ! Finie la douleur ! Finie la fatigue ! Mais quelqu’un en lui résiste et se révolte ; peut-être le salut est-il tout proche, juste derrière le rideau de neige ?
L’explorateur de l’antarctique ne peut laisser tomber les bras si près du but, il doit rassembler tout son courage et poursuivre son calvaire.
Même si c’est désespéré !