De l'aube à l'aurore - La marche d'étoiles (2/10)

Un monde à refaire

Lune dans le ciel

La marche d'étoiles (2/10)

Nuit d'hiver dans les bois

Soudain Marc glisse et chute lourdement. Un trou ? Non, de la glace ! L’enfant reste couché sur le sol, car le contact de la boue séchée, ferme et dure, le rassure ; Marc s’y blottit.

La main saigne ; il s’accroupit, frotte la paume contre la chemise, ferme et ouvre le poing ; le genou fait mal lui aussi, Marc le masse ; ces écorchures le réveillent et le garçon réalise combien il est fatigué, il bâille ; puis la douleur diminue et le silence se fait en lui.

Le livre ! Où est le livre ? Il l’a lâché en tombant. Marc se met à chercher fiévreusement, à quatre pattes, il explore en tâtonnant cette noirceur sans espoir, mais ses mains ne trouvent rien ; le genou se déchire en frottant contre le sol, mais l’enfant n’en a cure ; où donc est le livre ? C’est qu’il peut être tombé fort loin ; Marc s’éloigne et cherche encore.

Un ennemi s’en est-il emparé ? Oui, c’est cela, on le voit fuir entre les épicéas ; dans ce cas le livre est définitivement perdu ; le garçon fouille rageusement les abords du chemin.

En vain !

Alors toute crainte le quitte pour une douleur plus profonde ; c’est d’abord un grand vide, puis la poitrine se serre au souvenir du trésor perdu, les larmes viennent ; il se met à genoux et se laisse aller à pleurer, sans mesure, maintenant tout est fini, maintenant tout est perdu.

Malgré les pleurs la poitrine reste contractée, le désespoir inonde le cœur du petit Marc, longtemps.

Enfin il se lève, alourdi de chagrin.

Il faut tout de même continuer, mais il ne peut plus marcher comme avant ; jamais il ne pourra ni jouer ni s’amuser ; la tristesse ne lâche pas sa proie, elle la serre fermement et la garrotte.

Le chemin rejoint la rivière et l’enfant entend la même eau couler avec la même assurance, le calme revient peu à peu ; le petit garçon s’apaise et les larmes tarissent ; la paix revient en lui, triste paix.

Il frissonne, éternue, poursuit sa route.

Les loups l’escortent toujours, mais ils ont le pas résigné de l’enfant ; c’est le tigre qui a pris le livre, méchant comme il est ! À moins qu’un singe en vadrouille ne lui ait joué ce tour ! Il faudra demander au python d’aller dévorer tous les singes.

Où est le livre ? À présent tout est différent ; Marc observe la rivière : qu’elle est calme ! Il s’assied sur le talus et laisse les larmes couler.

Il pleure longtemps et cela le soulage.


Un semblant de courage naît du bruit de l’eau et sensible à cette force paternelle, l’enfant se lève ; des genoux monte la fatigue qui vibre dans les jambes ; l’angoisse l’étreint peu à peu dans la solitude, les fantasmes reviennent ; mais l’enfant se sent étranger à toutes ces frayeurs, il enfouit profondément en lui la souffrance due au trésor perdu.

Puis vient la nausée, le dégoût complet de ces abîmes de nuit qui jamais ne finissent ; il faut en terminer, mieux vaut se laisser tomber sur le chemin et dormir, dormir…

Mais le devoir lui fait reprendre la route ; jusqu’au bout l’explorateur luttera. Qui sait les dangers que cache la forêt ? Peut-être les chiens rouges vont-ils surgir et tout détruire sur leur passage ? Marc prend peur et accélère le pas.

Bientôt la crainte s’efface devant le sommeil, l’enfant bâille et les paupières trop pesantes se ferment ; il somnole longtemps.

C’est à peine s’il remarque que les arbres s’espacent et que le chemin disparaît ; c’est une poupée mécanique qui marche.

Brusquement le sol se dérobe, Marc s’étale dans l’eau glacée et ce coup de fouet le réveille en sursaut ; il tente de se relever, mais il retombe, la jambe droite ne suit pas, le genou est ouvert ; il se traîne et s’assied au bord du ruisseau. Il doit se plaindre, mais qui l’écouterait ? L’eau s’est emparée d’un soulier, pourtant il faut continuer, Marc le sait, mais il ne veut plus, il ne peut plus ; les jambes nues sont trempées, glacées ; les oreilles font mal. Dans tout cela il y a une injustice immense et Marc est incapable de la faire partager.

Il se lève lourdement ; la fatigue, la douleur, la nuit et le froid composent un mélange écœurant, un dégoût profond dans lequel s’anéantit ce qu’il subsiste de courage.

Le genou ne saigne plus, mais plier la jambe reste pénible ; le pied se pose nu sur le sol glacé, s’écorche aux brindilles et aux aspérités ; Marc serre les dents et poursuit son effort ; il boite pour diminuer la pression du pied sur le sol puis va à cloche-pied, mais il progresse trop lentement et à chaque pas risque de perdre l’équilibre à cause du trop grand soulier, il s’entête tout de même et s’essouffle ; puis il abandonne sous l’effet de la fatigue.

Le garçon parcourt un chemin, hélas ! tapissé de pierraille ; il avance au mépris de la douleur et se limite à pousser un petit cri quand un caillou trop acéré lui déchire la plante du pied.