De l'aube à l'aurore - La marche d'étoiles (1/10)

Un monde à refaire

Lune dans le ciel

La marche d'étoiles (1/10)

Aux laissés-pour-compte

Nuit d'hiver dans les bois

Qui es-tu, champi déchaux,
Petite flamme obombrant
Un cœur adolescent,
Un enfant ou bien moi-même ?


Sur l’autre rive les branches ne bougent plus, la rivière poursuit son pompeux discours, la nuit fait valoir ses droits, emprisonne l’enfant étendu sur l’herbe froide, frêle esquif égaré dans la brume ; celui-ci, apparemment insensible au gel, converse avec les étoiles ; dédaigneuse, la lune éclaire onze ans dont les yeux candides ternissent lentement.

Le froid entoure les jambes, cercle la tête, serre les bras, il perce la chemise en toile, l’enfant frissonne.

Cette liberté neuve emplit le délaissé d’effroi ; sur la rivière courent de grandes chenilles écumeuses, chaque arbre cache quelque être redoutable, sous la lune errent des fantômes. Des larmes ! Sa plainte soupire longuement, un violon en fin de veillée.


Il se lève, serre un livre contre la poitrine, les merveilleux récits qu’il est parvenu à sauver.

Le voici qui écarte les lianes et se fraie un chemin dans les hautes broussailles de la jungle ; le voilà qui longe l’Ourthe formidable et des loups l’escortent à pas feutrés.

Le chant régulier de l’eau rassure et engage à l’aventure ; l’enfant explore et conquiert la nuit que trahissent mille bruits fugitifs. Ici la feuille allongée d’un plantain cache un serpent, plus fin qu’un brin d’herbe mais plus dangereux qu’un cobra ; là-bas on vient de briser une branche, c’est le tigre boiteux, l’ennemi ! Va-t-il bondir ? Non, il hésite, il s’éloigne. Au milieu du chemin un espace dégagé est couvert de mousse, la lune lui confère une étrange teinte émeraude ; serait-ce une chausse-trape ? Le jeune garçon la contourne avec précaution. Plus loin le python géant dort, à peine dissimulé dans un arbre. « Surtout ne pas le réveiller, pense l’enfant. » Et il avance sur la pointe des pieds. Il évite ainsi un à un les pièges et découvre dans sa complicité avec la nuit un plaisir dense et profond.

Le chemin monte, la rivière s’éloigne, un croisement ! Marc hésite puis prend à gauche.

Plus loin on entend la rivière clapoter au bas de la pente déboisée. Un ami s’approche, l’enfant ralentit. Un loup peut-être ? Ensemble ils visiteront les bois. Un cri de frayeur ! Ce n’est que le tigre déguisé qui réclame sa proie, qui le poursuit ; le garçon fuit, dévale la pente, enjambe les branches mortes, mais il trébuche sur une souche, roule plusieurs fois sur lui-même, se relève et reprend sa course ; de terribles images défilent, bientôt ce sera la fin, le tigre va le dévorer ; l’enfant court plus vite encore.

Enfin la rivière ! Marc halète, tremble toujours ; tous ces arbres ne sont qu’incertitude, ces fourrés qu’appréhension, ces ombres qu’hostilité ; l’enfant passe de l’affolement à l’épouvante et de l’épouvante à la panique ; épuisé, il se laisse tomber sur le coteau, reste inerte, couché sur le sol, son cœur bat comme un tambour, il se veut sourd et aveugle, un long frémissement lui parcourt tout le corps.

Il attend.

Puis le petit garçon lève lentement la tête, examine craintivement les alentours ; peu à peu il se détend et retrouve le bruit rassurant de l’eau.

Enfin l’anxiété le quitte complètement ; il se lève, chancelle, assure son pas ; il masse le coude blessé.

Mais face aux arbres et aux abîmes il hésite ; les conifères prêtent à l’ombre des reflets infernaux. Quels êtres peuvent bien hanter de tels lieux ? Marc les voit. Des silhouettes, des spectres peut-être, vont et viennent, absorbés par un mystérieux et incessant labeur ; un silencieux combat oppose deux univers d’être diffus. Contre la peur l’enfant ne trouve de secours qu’en la dure terre gelée ; il la heurte du pied et son soulier trop grand lui meurtrit la cheville.