De l'aube à l'aurore - Goutte de sang - Vivre (3)

Un monde à refaire

Oradour
Goutte de sang

Vivre (3/4)

Et dire que je devrais être libre, pouvoir jouer et faire ce que je veux ! Je pense aux vacances de l'année passée, quand je courais dans les dunes avec des amis.
Je me souviens d'Anne, qui était ravissante dans son bikini aux couleurs vives. Sa peau brillait dans le chaud soleil d’été, elle fusionnait avec le sable doré et son rire était franc et beau. Elle était pure et lumineuse, je l’avais tout de suite distinguée.
Je me souviens de notre première rencontre. Je jouais avec des amis. Anne s’était jointe à nous, mais je voulais rester seule avec elle. Je l’avais attirée par un jeu simple : je venais en face d’elle, je la regardais fixement dans les yeux, puis je tombais à la renverse.
Anne riait, sans plus ; alors je recommençais. Finalement Anne céda : « Toi, tu sais te faire comprendre ! »
Elle s'est encourue, je l'ai suivie. Nous avons disparu dans les dunes, laissant le groupe à ses jeux. Nous nous sommes assis côte à côte dans le sable chaud. Je n’avais pas une intention précise, c'était juste une impulsion, mais j’en avais terriblement envie.
Nous avons parlé. Je me suis senti un peu mal à l’aise, intimidé. Nous nous sommes allongés sur le sable. Tout à coup, la tête de Luc a émergé de la crête de la dune. Il avait deux ans de plus que moi. Il est venu franchement.
De toute évidence, Anne et lui se connaissaient. Il s'est allongé de l’autre côté de la fille, qui ne s'arrêtait plus de rire. Ce rire augmentait ma gêne. Je me sentais joué. Une sorte d’écœurement me gagnait. Le jeu ne m’intéressait plus.
Puisque l’autre était là, je devais partir ! Ainsi je n'aurais pas à me laisser humilier. Je me suis levé et je m'en suis allé. Sans dire un mot ! Puisqu'Anne permettait à l’intrus de venir, je n’avais plus rien à faire ici. J'ai tressailli quand j’ai entendu la voix de la jeune fille.
- Où vas-tu ? Qu’est-ce qu'il te prend ?
J'ai continué posément mon chemin, sans rien dire et j'ai disparu de l’autre côté de la dune.

Les jours suivants, cette brève rencontre m'est sans cesse revenue à l'esprit. Je voulais m'excuser auprès d'Anne, lui expliquer mon attitude. Mais je voulais lui parler en l'absence de l'autre. J’avais une forte envie de me trouver seul auprès de ce beau corps gracieux.
Pour désarmer la méfiance de Luc, j'ai fait mine de ne plus m'intéresser à elle. Mais j'attendais une occasion favorable, espionnant tour à tour mon rival et la jeune fille. Ce jeu de cache-cache m'a plu. Un jour, je le savais, je trouverais l’occasion, c’était juste une question de temps.
Elle s'est présentée de manière inopinée, un matin où mon rival est parti en ville avec son père. J’ai été plus discret que la première fois. J'ai simplement proposé à Anne de faire un tour dans les dunes. Elle a minaudé : « Pourquoi pas ? »
Je ne m'attendais pas à une acceptation aussi facile. Je suis resté sans réponse. Elle m'a pris par la main : « Allons, viens » Nous nous sommes encourus tous les deux et nous avons roulé dans le sable. Puis nous nous sommes assis et nous avons parlé.
J’avais onze ans et demi. Et bien qu’elle fût plus jeune, elle semblait plus mûre, plus avertie, plus sûre d'elle. Je ressentais son ascendant comme un peu humiliant, mais je n'y attachais pas trop d'importance.
Enfin je me suis enhardi à lui poser la question qui me brûlait les lèvres.
- Tu ne m’en veux pas ?
- Pour quoi ?
Elle était sincèrement surprise.
- Pour la fois précédente ?
- Mais non, gros bêta ! Pourquoi tu es parti ? Tu aurais dû rester !
- Je te demande de m'excuser.
- Laisse tomber !
Elle s'est approchée de moi, c'était plaisant. Nous nous sommes serrés l’un contre l’autre. Ce jeu me paraissait interdit, mais il était d’autant plus enivrant qu’il semblait défendu.
- Tu sais embrasser ?
- Oui.
- Alors embrasse-moi !
J'ai hésité un bref instant avant de lui donner un baiser sur chaque joue, comme je le fais avec maman. Mais ici c'était tout différent, car cela me réchauffait le corps.
- Oh ! Toi alors ! Qu’est-ce que tu es timide !
Elle a glissé sur le côté, elle s'est levée et elle s'est encourue.
- Attrape-moi !
J'ai couru derrière elle. Nous étions tous les deux quasi nus dans la chaleur du sable et la lumière du grand soleil d'été.

Soudain la prison me gicle à la figure. Que tout cela est loin déjà ! Depuis j’ai rencontré Maude. Avec elle, c’est sérieux ; elle n’est pas l'amie d’un été ! Et maintenant je suis prisonnier de cet infect cachot et soumis aux tortures des méchants.
Mon corps est couvert de bleus et de blessures, un vrai désastre ! Mais je jouis déjà d'une première victoire, je vais survivre. En plus, l'armée de libération ne va pas tarder. Je pourrai témoigner, ressusciter Maude et la prolonger. Et les ennemis payeront pour leurs crimes.