Souffrir (4/4)
Un militaire entre dans la pièce. Il est âgé et fatigué, mais comme les soldats et Gants-blancs se
mettent au garde-à-vous, je présume que c'est un officier. Pas un général, mais au moins un colonel !
Je décide de l'appeler « Papi ». Il me toise de haut en bas. Que me veut-il ?
Cravate me regarde avec une lueur inquiétante dans les yeux.
- Avoue, gamin ! C’est plus facile et cela fait moins mal !
Papi plisse les yeux, pince les lèvres. Il semble à la fois présent et absent. Comtesse quitte la pièce,
plus fâchée que jamais. Papi la suit. À quel jeu jouent-ils ?
- Tu ne dis rien ? À ton aise !
Gants-blancs donne des ordres à Trompette et Balafre. Les deux soldats me saisissent sous les aisselles et
m’emportent dans la pièce voisine. Je me laisse faire, tout m'est égal, depuis longtemps ils ont
pulvérisé tout niveau acceptable d’injustice et de cruauté.
Mais soudain je réalise qu'ils m'ont préparé une torture pire que les autres. Je panique, je me débats,
follement ! Balafre me saisit les poignets, Trompette les chevilles. Ils me déposent sur une table en
bois et me maintiennent couché.
- Je te conseille de parler. Pour ton bien !
Le ton de Cravate est affable, presque gentil. Que vont-ils me faire ? Tous les supplices du moyen âge me
défilent dans la tête.
- J’ai rien à dire… laissez-moi, s'il vous plaît… j’ai rien fait de mal.
Cravate me fixe avec des yeux brillants.
- À ton aise ! Puisque tu ne veux pas parler, tu vas souffrir.
Cravate prend une boîte en carton et un marteau. Mon corps se révolte ; fou de terreur, je contracte
tous mes muscles, mais les soldats me maintiennent couché sur la table. Épuisé, je me calme et je
reprends des forces.
Cravate pose la boîte sur la table, il en retire un grand clou. Je panique, je me tortille en tous sens,
je ne veux pas qu'il me cloue. Cravate hésite, il fait durer le tourment, il déplace le clou vers mon
épaule, puis vers mon ventre.
Je ne suis plus qu’un petit animal fou de terreur. Le plafond tourne, l'espace tremble, les images fuient,
je vais m’évanouir. Je ressens une vive douleur dans la main gauche, le clou me pénètre dans la chair.
Cela dure, le bourreau s’y prend lentement et chaque coup de marteau résonne dans mon corps.
Ma seule chance est d’avouer ! Vite ! Dire que je suis franc-tireur, donner des noms, tant pis pour les
conséquences ! Le vide grandit devant moi, il m'aspire et je tombe dans le néant.
Les dunes ont des reflets mauves sous le ciel d'orage. J'avance à grand-peine sur ce plateau aux
formes changeantes. À chaque pas ma peau s'écorche au gravier pourpre. Au loin les nuées réfléchissent
l'enfer rougeoyant des hauts-fourneaux.
Un événement terrible va se produire, je le pressens ! Une corde me happe le poignet droit, je la saisis
du gauche, je résiste à la traction de toutes mes forces, mes pieds tracent des sillons dans le sable
carmin. Je me laisse tomber et c’est tout mon corps qui creuse une ravine.
Je résiste désespérément, une corde me happe l'autre poignet, les lanières s'écartent et m'étirent les
bras. Où m’emmène-t-on, distendu dans ces liens ? Des lanières s'emparent de mes chevilles.
J'aperçois un grand appareillage métallique.
Je hurle : « Je ne suis qu’un enfant ! Un enfant ! Laissez-moi ! Laissez-moi ! »
Je distingue mieux la machine infernale, elle dirige vers moi un éperon géant en acier, renforcé de quatre
nervures. Je me tortille en tous sens, mais j'approche inexorablement de la pointe cruelle,
l’empalement est inévitable.
La pointe de l’instrument me touche au milieu de l'abdomen. La pression augmente, la souffrance grandit.
La pointe me pénètre le corps, elle se fraie un chemin qu’elle évase peu à peu, elle brise tout sur
son passage.
Une horreur sans nom s’empare de moi. Des couteaux me saisissent le haut du corps, le lèvent au-dessus
des nuées et me hachent les bras. Libéré de mes liens, je tombe dans le vide. C'est une chute terrible,
des lambeaux de chair se détachent.
Je tombe lourdement sur le sol rocheux. D'immenses oiseaux de proie cerclent sous les nuages. Le ciel
devient noir d'encre, il se couvre de rapaces, ils piquent tous en même temps. Je n’ai pas de jambes
pour fuir ni de bras pour me défendre. Je hurle.