De l'aube à l'aurore - Goutte de sang - Lutter (2)

Un monde à refaire

Oradour
Goutte de sang

Lutter (2/4)

Gants-blancs demande à Comtesse de lui faire rapport. Avant qu'elle ait terminé, il se lève furibond, empoigne une latte métallique, cingle violemment le sous-main et m'apostrophe vertement. Comtesse traduit.
- Avoue que tu es un franc-tireur ! Ou un espion ! Avoue ou on te torture !
Ils sont tous en colère, sauf Trompette qui garde cet air bonasse du niais qui ne comprend pas de quoi il retourne. Devant ces paires d’yeux fixes et brillants et le visage sanguin de Gants-blancs, je prends peur.
- Je… j’ai rien fait.
- Pourquoi es-tu revenu au village ?
- J'allais chez moi, Madame.
- À d’autres ! N’importe quel gosse sain d’esprit aurait fui !
- J'avais faim, Madame.
- Et qui serait assez fou pour venir ramper devant les soldats ?
- J'avais froid, Madame.
- Tu nous prends pour des idiots ?
- Oh non, Madame, pas du tout !
La trouille me prend tout le corps.
- Alors réponds ! Que fabriquais-tu devant la maison communale ?
Que dire ? J'ai peur qu'ils me frappent.
- Chez moi il y avait du pain.
- Et ici, devant la maison communale ?
- J’ai eu peur, je me suis enfui.
Comtesse parle à Gants-blancs. Celui-ci s’assied, apparemment calmé.

Comtesse reprend ses questions.
- Connais-tu Jean Bonergues ?
Je tressaille. Jean est le frère cadet de mon ami Jacques. Mieux vaut ne pas me compromettre ! La question à propos de l’arme à feu m'a servi d'avertissement.
- Euh… non, Madame.
- Et Pierre Delval ?
- C’est mon frère, Madame.
- C’est un terroriste ?
Ben oui ! Pierre détestait l’occupant, il allait souvent chez monsieur Bonergues. Que dire ?
- Ton silence est un aveu ! Je te conseille de ne pas nous mentir !
Gants-blancs allume une lampe de bureau et en dirige le faisceau sur mon visage. Comtesse poursuit l'interrogatoire.
- Je pourrais te parler d'actes criminels commis par ton frère, c’est très révélateur !
Je rougis, mais c'est injuste, ils n’ont pas le droit de m’imputer les délits de mon frère.
- Je n’ai rien à voir, Madame.
- Tu mens !
- Je suis innocent.
J'ai oublié le « Madame » que ma bonne éducation requiert, mais je trouve qu'elle exagère. Et puis l’éblouissement de cette lampe est insupportable.
- Tu continues à prétendre que tu ne connais pas Jean Bonergues ?
- Non, Madame !
- Alors tu n’es pas Olivier Delval !
- Mais si !
- Ton frère allait souvent chez monsieur Bonergues, le père de Jean.
Comment sait-elle cela ? C'était secret. Le coup est rude, je me tais.
- Qu’en dis-tu ?
Si elle sait, nier me perd. Mais elle ne sait rien, elle ne peut pas savoir, Pierre prenait trop de précautions. Elle pêche en eau trouble, elle ne m’aura pas avec un piège aussi grossier.
- Je ne le connais pas, Madame.
- C’est inutile, petit. En niant, tu avoues que tu nous caches des choses.
Je voudrais arrêter, reprendre mes esprits, réfléchir à ma défense. Je suis innocent et ils me traitent comme un coupable.
- Allons ! Avoue ! Nous savons tout.
Dois-je encore nier ? Leur assurance n’est peut-être qu’une ruse.
- Non.
Comtesse se fâche.
- Résumons ! Tu assistes à l’incendie, tu descends au village et nous te capturons près de la maison communale. C’est ce que tu prétends ?!
- Oui, Madame.
- En pyjama ?
- Euh... oui, Madame.
- Tu as fugué ?
- Non, Madame.
Comtesse me regarde avec pitié. Elle me toise de haut en bas avant de parler à Gants-blancs. Mon escapade n'est pas une fugue, c'est juste une bêtise de gosse, je n'ai pas envie d'en parler.