De l'aube à l'aurore - Goutte de sang - Lutter (1)

Un monde à refaire

Oradour
Goutte de sang

Lutter (1/4)

La clarté matinale m'ouvre les paupières. Mes muscles sont moulus. Ces salauds auraient pu prévoir une paillasse, et aussi une chaise ! Même pour des commodités aussi élémentaires je vais devoir me battre.
Je me lève, je balance les bras, je marche de long en large pour réduire l’engourdissement. Je défripe mon top et je l’enfile. J'ai froid, j’ai faim. Près de la porte je vois le cruchon. Boire me fait du bien. Mais ils ne m'ont rien donné à manger.

Des plans d’évasion se bousculent dans ma tête, tous plus ou moins irréalistes. J'en suis à l'idée de desceller le barreau et de l'employer pour briser la serrure quand j'entends des pas dans l'escalier !
Rapidement je m’accroupis face à la porte et je croise les mains dans le dos. La clef tourne, je frémis. C'est ce nigaud de Trompette, il entre sans méfiance, il approche, il se penche. D’un bond je franchis la porte et je bondis vers l’escalier. J'y trouve Balafre !
Je feins de passer à gauche, je me glisse à droite et je bute contre sa jambe, qu'il a promptement lancée devant moi. Je tombe lourdement sur les marches. Il me relève et me ceinture, Trompette me ramène les bras dans le dos et me boucle des menottes autour des poignets.
J'écume de rage, je leur envoie des coups de pied dans les tibias. Ils me prennent sous les aisselles et m'emportent au rez-de-chaussée. La porte d'entrée est à droite, ils m'emmènent à gauche. Mieux vaut me laisser faire !
Ils me font entrer dans une petite pièce aux volets baissés. Il y fait bon et chaud, je me trémousse de plaisir. Derrière un imposant bureau en bois verni est assis Gants-blancs, toujours en tenue impeccable.
Debout, en retrait de lui, se trouve une femme vêtue de noir. J'ai l'impression de l'avoir déjà vue, mais où ? Elle est moins antipathique que les guerriers. Elle a l'air à la fois gentille et sévère, une institutrice ! Je la trouve aristocratique et je décide de l'appeler « Comtesse ».

Quatre adultes m’entourent, Comtesse, Gants-blancs, Balafre et Trompette. Je me sens exposé et sans défense avec mes poignets entravés. Gants-blancs m’indique un tabouret ; il est affable mais distant.
- Jeune, parle !
- Qu'est-ce que je dois dire, Monsieur ?
Tout de suite il se fâche.
- Jeune, parle !
Déconcerté j'insiste.
- Mais Monsieur, je ne sais pas ce que je dois dire.
Gants-blancs dit quelques mots à Comtesse dans la langue des occupants. Je trouve qu'elle a de l'allure avec son maquillage et son fume-cigarette. Elle s'approche de moi avec un air enjôleur.
- Ce que Monsieur veut, jeune homme, c'est que tu répondes à ses questions.
Elle s'exprime dans un français impeccable, c’est une compatriote, une collabo sans foi ni loi, elle fait partie des gens que Pierre abhorre ! Je me retiens de lui cracher au visage ; en fait j'ai bien trop peur pour oser le faire.

Comtesse écoute attentivement Gants-blancs avant de se tourner vers moi.
- Le Monsieur veut connaître ton nom.
- Delval, Madame.
- Et tes prénoms ?
- Olivier, Madame.
- Et ?
- Je ne sais plus, Madame… Ah oui ! René, comme mon parrain.
- Ton âge ?
- Douze ans, Madame.
- Ta date de naissance ?
- Le vingt-cinq décembre deux mille vingt, Madame.
Gants-blancs nous interrompt et Comtesse lui fait rapport.
L'interrogatoire se poursuit selon le même rituel, ce qui lui confère un tempo lent. Comtesse me demande le nom, les prénoms et l'âge de mes parents, de mon frère et de ma sœur. Elle veut savoir si d'autres personnes vivaient sous notre toit.

Puis elle m'interroge sur ma sortie nocturne.
- Où étais-tu hier matin ?
- À la Chaire-à-Prêcher, Madame.
- Qu'est-ce que tu faisais là ?
- Je me promenais, Madame.
- À quelle heure ?
- Euh... tôt, Madame, avant le lever du soleil.
- Il se lève vers cinq heures en cette saison !
- Euh... oui, Madame.
- Et tu trouves normal de te balader en forêt à cinq heures du matin ?
- Non, Madame... euh... enfin, oui. Si j'ai envie, pourquoi pas ?
- Où sont tes papiers d’identité ?
- À la maison, Madame.
- Où habites-tu ?
- Dix-sept, rue du Marché, Madame.
- Peux-tu te servir d’une arme à feu ?
- Oh oui, Madame !
Pierre me l’a appris et j’en suis fier, mais je regrette aussitôt ma réponse.
- Combien d’attentats as-tu commis ?
- Mais… aucun, Madame !