De l'aube à l'aurore - Goutte de sang - Vivre (2)

Un monde à refaire

Oradour
Goutte de sang

Vivre (2/4)

La porte s'ouvre, Comtesse entre. Elle frissonne, la frileuse ! Alors que moi qui suis quasi nu, je sens à peine le froid ! Je suis fier de m'être autant endurci en si peu de jours.
- Alors, mon petit bonhomme, tu es debout ?
Son ton familier me dégoûte. Je ne suis pas son petit bonhomme. Je la déteste. Elle me regarde avec un mélange d'intérêt et de tendresse. Je détourne les yeux, je feins de l’ignorer.
- Tu te tais ?
Ce qui m'exaspère le plus, c'est son ton affectueux. Cela sonne faux.
- Tu es fâché sur moi ? Tu m'en veux ? C'est ça ?
Jamais de toute ma vie je n'ai examiné mes orteils avec autant d'attention.
- Tu voudrais me frapper, mais tu n'en as pas la force ? C’est ça ?
Elle remue le couteau dans la plaie, je contiens mes larmes.
- Bien ! Fais ta tête de mule ! Après tout, cela ne me déplaît pas.
Comtesse tente de lire sur mon visage l’effet de ses paroles, mais je reste aussi placide que possible.

Le silence se prolonge. Comtesse le rompt la première.
- Écoute, Olivier.
Je tressaute ; depuis ma capture, c’est la première fois qu’on m’appelle par mon prénom.
- Les soldats croient que tu es innocent.
Génial ! Finis les interrogatoires ! Je souris et je réalise que c’est la première fois que cela m'arrive depuis l’incendie de l'église.
- Alors, on ne va plus m'interroger, Madame ?
- Non.
Le cauchemar est fini.
Comtesse extrait une grande tartine de sa mallette.
- Il n'est plus question de t’affamer non plus.
Je bondis sur le pain et je le dévore à pleines dents. Il y a même du fromage entre les tranches, un vrai délice ! Cela me fait du bien, je me détends, la vie revient.
- Alors je suis libre, Madame !
- ...
- Vous… vous allez me libérer ?
- Oui, bien sûr… Enfin pas tout de suite. Tu fais mieux de rester ici... Et puis où irais-tu, tout seul ? Dehors c'est dangereux, c'est la guerre.
- Mais, Madame, je suis innocent, donc je suis libre.
- Juste un peu de patience, mon garçon.
- Libérez-moi tout de suite, s'il vous plaît. Je ne veux plus aller dans cet horrible cachot.
- Je te promets de te trouver une cellule plus confortable.
Pourquoi une autre cellule ? C'est inutile s'ils veulent me libérer. Comtesse ment.
- Mais pourquoi, Madame ? J’ai rien fait ! Laissez-moi partir !
- Non, pas tout de suite ! Nous ne voulons pas que tu tombes aux mains des terroristes.
- C’est pas vrai ! Menteuse !
Je bondis sur elle et je la frappe des poings et des pieds. Elle s'empare de mes poignets et me maintient à distance pour se prémunir contre mes coups de pied. Je suis trop faible, je cesse de la frapper, mais je la défie du regard pendant un long moment. Elle finit par me lâcher. Je râle.
- Et vous ?
- Quoi, moi ?
- Vous trahissez le pays ! Vous aidez les ennemis !
- Tais-toi, gamin ! Ne parle pas de ce que tu ne comprends pas ! Les étrangers sont venus ici pour rétablir la démocratie et l'économie de marché, et lutter contre l'obscurantisme et la violence des terroristes.
- Tout ce que vous faites, c'est tuer des gens et torturer des enfants.
Tout en parlant, je me rapproche de la porte.
- Je suis trop faible, alors vous en profitez pour me frapper !
- Mais ?! Je ne t'ai pas frappé, gamin.
Subitement je cours vers la porte, Comtesse appelle les soldats, j’atteins la poignée, mais je trébuche et je tombe lourdement sur le plancher. Elle me relève avec douceur.
- Petit idiot, veux-tu échapper à la mort, oui ou non ? Si oui, essaie de me faire confiance !
Je la fixe, à la fois stupéfait et terrifié. Elle ajoute, à voix basse : « Reprends des forces si tu veux être assez fort pour fuir ! »
Trompette et Balafre entrent dans la pièce. Elle leur donne des ordres brefs. Les soldats se saisissent de moi et m’emmènent. Je jette un coup d'œil derrière moi, Comtesse s'est assise et me regarde d'un air songeur.

Les soldats ferment la porte de ma prison à clef. Ils ont rempli d'eau mon cruchon, mais ils ne m'ont rien donné à manger. J'appelle, je crie à tue-tête, mais personne ne vient. Même s’ils m'entendent, ils ne comprennent pas ce que je dis, avec leur affreux sabir !
Au fait, pourquoi ces criminels ne sont-ils pas prudemment partis avec leurs complices ? Ils attendent quelque chose, mais quoi ? Je suis surpris de ne pas m'être posé cette question plus tôt.
Et que me veut Comtesse ? Elle me houspille pour que j'avoue, puis elle me donne à manger et parle de me libérer. Même si elle trahit les ennemis, je dois refuser son aide. Par dignité ! Et d'ailleurs les partisans ne vont pas tarder à me libérer et à la juger pour ses crimes.

Et dire qu'elle ose prétendre que les ennemis sont venus rétablir la démocratie et l'économie de marché ! La vérité, c'est qu'ils veulent se faire passer pour des blanches colombes, ces assassins acharnés à défendre les profits des nantis !
Leur sigle est un taiji couché, le blanc au-dessus du noir, la lumière qui vainc les ténèbres. Le blanc, c'est eux, la lumière ; le noir, c'est nous, les ténèbres. Ils prétendent nous apporter la liberté, la prospérité, l'humanisme et les valeurs occidentales. Bande de sinistres farceurs !
Les partisans ont aussi leur sigle, le triskèle, qui est d'origine celte selon mon frère et d'origine grecque selon ma sœur, qui l'appelle la trinacrie : trois feux tournants encerclent l'ennemi, les partisans venus des villes, des plaines et des collines.
Tout ce qu'on parvient à faire dire à des petits dessins !